Page images
PDF
EPUB

et contre celui qui s'en était emparé dans le principe. Seulement, en cas d'éviction, le vendeur sera tenu de rendre à l'acheteur le prix qu'il en a reçu.

931. Pour ce qui regarde les fruits de la chose d'autrui, le possesseur n'est point obligé de restituer ceux qu'il a consommés de bonne foi, sans en être devenu plus riche. Il n'est point obligé non plus de rendre les fruits industriels, quoique existants; car ils sont moins le produit de la chose que de l'industrie du pos

sesseur.

Quant aux fruits naturels et civils, ils appartiennent au propriétaire, à moins que la loi ne les accorde au possesseur de bonne foi. Or, le Code qui nous régit dispose, en faveur de ce possesseur, de tous les fruits perçus durant la bonne foi, sans distinguer s'ils sont consommés ou encore existants, s'ils sont industriels, naturels ou civils. « Le simple possesseur fait les fruits siens, dans le cas où il « possède de bonne foi (1). » Nous pensons qu'on peut, au for intérieur, se conformer aux dispositions de cette loi; elle ne doit pas moins servir de règle, au tribunal de la conscience, que la loi sur la prescription: soit que les effets de la prescription dépendent principalement de la possession de bonne foi, soit qu'ils dépendent principalement de la loi, soit qu'on les fasse dépendre également de l'une et de l'autre, nous avons les mêmes raisons, les mêmes motifs de suivre la loi qui dispose des fruits en faveur du possesseur de bonne foi. Que la possession soit plus ou moins longue, cela est indifférent; car c'est à la loi à déterminer la durée de la possession, eu égard à la nature des choses qui en sont l'objet (2). Mais il faut remarquer qu'aux termes de la loi, le possesseur n'est de bonne foi que quand il possède comme propriétaire, en vertu d'un titre translatif de propriété, dont il ignore les vices, et qu'il cesse d'être de bonne foi du moment où ces vices lui sont connus (3).

ARTICLE II.

Du Possesseur de mauvaise foi.

932. Celui qui possède de mauvaise foi la chose d'autrui est obligé de la rendre à qui de droit, si elle subsiste encore; ou d'en payer la valeur, si elle ne subsiste plus. Il doit aussi restituer les fruits qu'il a perçus, et ceux dont il a privé le propriétaire. Car les

(1) Cod. civ. art. 549. —(2) MM. Vernier, Receveur, Carrière, et autres auteurs modernes. (3) Cod. civ. art. 550.

"

fruits naturels ou inaustriels de la terre, et les fruits civils, appartiennent au propriétaire par droit d'accession, res fructificat domino (1). Mais il peut prélever sur les fruits qu'il est obligé de restituer les dépenses qu'il a faites pour les recueillir et les conserver. Suivant le Code civil, « les fruits produits par la chose n'ap" partiennent au propriétaire qu'à la charge de rembourser les « frais des labours, travaux et semences faits par des tiers (2). » Il peut également conserver les fruits qui dépendent uniquement de son industrie; le maître d'une chose n'a aucun droit aux fruits qui n'ont pas été produits par elle. « Fructus mere industriales restituere « non tenetur, disent les théologiens, quia causa illorum fructifera « ad ipsum pertinet, licet sit malæ fidei. Hinc thesaurii, quæstores, receptores, telonarii et alii similes, qui ex pecuniis alienis sibi « commissis vel apud se depositis lucrum faciunt, negociando, cambiendo, ludendo, etc., hujusmodi lucrum restituere non tenentur. Peccant quidem contra fidelitatem et obedientiam, si hæc invito «< domino faciant, sed non contra justitiam commutativam (3). »

a

"

Enfin, le possesseur de mauvaise foi est tenu de réparer entièrement le dommage qu'il a causé au prochain, en usurpant ou en retenant sciemment et injustement le bien d'autrui. Mais il a droit à ce qu'on lui tienne compte de toutes les dépenses nécessaires et utifes qu'il a faites pour la conservation de la chose (4). Si le propriétaire ne remboursait pas les dépenses qu'il aurait été obligé de faire lui-même, ou celles qui ont réellement augmenté la valeur de la chose, il s'enrichirait aux dépens d'autrui; ce qui serait contraire à l'équité.

933. Le possesseur de mauvaise foi n'est point dispensé de l'obligation de restituer, quoique la chose qu'il possède injustement vienne à périr entre ses mains par cas fortuit, sans qu'il y ait de sa faute. L'obligation qu'il a contractée de restituer la chose ou d'en rendre l'équivalent ne s'éteint point par la perte de cette même chose, pour la restitution de laquelle il est en demeure, à partir du moment qu'il est de mauvaise foi. Cependant, suivant le sentiment le plus commun et le plus probable, il faut excepter le cas où la chose eût également péri entre les mains du propriétaire, lors même que la chose eût été volée par celui chez lequel elle périt. L'intérêt étant la mesure des actions, dit M. Duranton (5), le propriétaire de la chose volée ne peut en réclamer le prix lors

(1) Cod. civ. art. 547.- (2) Ibid. art. 548.-(3) Mgr Bouvier, le P. Antoine, etc. (4) Cod. civ. art. 1381. — (5) Traité des Obligations. tom. u. no 1625.

-

qu'elle aurait dû périr chez lui, si elle ne lui eût pas été ravie; car, dans cette hypothèse, le vol ne lui ayant fait aucun tort, ce serait vouloir s'enrichir aux dépens d'autrui. On ne peut objecter l'article 1302 du Code civil, portant que, de quelque manière « que la chose volée ait péri ou ait été perdue, sa perte ne dispense « pas celui qui l'a soustraite de la restitution; » car cette disposition ne regarde que le for extérieur, ayant pour objet de punir le vol et la violence; quod ita receptum est odio furti et violentiæ (1). C'est pourquoi, comme l'observe Toullier (2), cette rigueur est personnelle à celui qui a soustrait la chose, et ne s'applique point à ses héritiers.

934. Il résulte de ce qui vient d'être dit, que si le champ, le pré, la vigne ou la maison qu'on retient injustement, viennent à être détruits par un tremblement de terre, une inondation, ou le feu du ciel, le possesseur de mauvaise foi n'est point obligé de les rétablir; il suffit qu'il les restitue dans l'état où ils se trouvent par suite de l'accident qui eût également frappé le propriétaire. Il en est de même de toute autre chose volée qui périrait, sans la faute du voleur, dans le même temps et dans le même accident; par exemple, dans le même incendie où elle aurait péri entre les mains du maître. Mais si, au contraire, la chose a péri, même par cas fortuit, après l'accident qui a frappé le propriétaire, il est certain que le voleur est tenu d'en restituer la valeur; car il se trouvait en demeure à l'égard du propriétaire, avant la perte de la chose.

En est-il de même pour le cas où la chose eût dû infailliblement périr plus tard entre les mains du propriétaire? Paul retient injustement le cheval de Pierre : ce cheval périt entre les mains de Paul; si on suppose qu'il eût dû périr certainement, quoique plus tard, entre les mains de Pierre, Paul sera-t-il obligé, en cons cience, d'en rendre la valeur? Il n'y sera pas tenu, si le cheval, au moment où il a été volé, était atteint du mal ou du vice qui devait infailliblement le faire périr un peu plus tard; car alors il est vrai de dire que le vol a été sans résultat pour le propriétaire, sauf toutefois les services qu'on aurait pu tirer de ce cheval, et pour lesquels le maître aurait droit de réclamer une indemnité. Mais il y a plus de difficulté pour le cas où le cheval, n'étant point malade lorsqu'il a été volé, devait cependant, comme on le suppose, périr plus tard entre les mains du maître, par suite d'un

[merged small][merged small][merged small][ocr errors]

malheur indépendant de la volonté des hommes. Cependant il nous paraît plus probable que Paul serait tenu, dans le cas dont il s'agit, de payer la valeur du cheval à Pierre. L'obligation que Paul a contractée en volant le cheval de Pierre, subsiste, de l'aveu de tous, après la perte du cheval. Or, on ne voit pas comment cette obligation, pour laquelle Paul serait en demeure, pourrait s'éteindre par un nouveau malheur qui survient à Pierre (1).

Nous ne dispensons les possesseurs de mauvaise foi de restituer la chose qui a péri, qu'autant que la chose eût certainement péri entre les mains du propriétaire; dans le doute si elle eût également péri, nous pensons qu'on doit se déclarer contre le possesseur injuste en faveur de l'innocent, c'est-à-dire, en faveur du propriétaire : « In dubio melior est conditio innocentis. >>

935. Le possesseur de mauvaise foi est tenu de restituer la chose dans l'état où elle est, lors même qu'elle aurait beaucoup augmenté de valeur depuis qu'il la possède. Cette augmentation profite au maitre; et cela, même dans le cas où le maître, si la chose ne lui eût pas été enlevée, eût dû la consommer avant qu'elle eût pu augmenter de valeur. Ainsi, par exemple, si un propriétaire avait dû vendre un agneau à l'époque où il valait cinq francs, et que celui qui a volé cet agneau l'eût tué à une époque où il en valait dix, c'est la somme de dix francs et non celle de cinq que le voleur devra rendre au propriétaire. Mais si quelqu'un tue l'agneau d'autrui lorsqu'il ne vaut que cinq francs, il suffit qu'il restitue cette somme, quoique l'agneau ait dû plus tard augmenter de valeur entre les mains du maître : cela suffit toutes les fois que le maître peut se procurer un autre agneau pareil au premier avec la somme qu'on lui restitue.

Quand il est question d'un dépérissement naturel et inévitable qu'eût également et certainement essuyé le propriétaire, il nous semble qu'en lui remettant la chose telle qu'elle est, et telle qu'elle serait devenue chez lui en cas qu'il en eût conservé la possession, le devoir de la justice est suffisamment rempli, si d'ailleurs on le dédommage du tort qu'on lui a causé en le privant d'une chose dont il aurait tiré parti; mais on ne peut dispenser le détenteur injuste d'une plus forte restitution, qu'autant qu'on est certain que le propriétaire eût vendu ou consommé la chose dans le temps de sa moindre valeur, et que le possesseur de mauvaise foi n'en a pas retiré d'avantage (2).

(1) S. Liguori, lib. ш. n° 621.—(2) Conférences d'Angers, sur la Restitution, conf. I. quest. 3.

[merged small][ocr errors]

30

936. Ce que nous disons de l'augmentation ou de la diminution de la valeur intrinsèque des choses doit également s'entendre de l'augmentation ou de la diminution de la valeur extrinsèque, c'est-à-dire du prix, qui varie suivant les temps. Ainsi, lorsqu'on a pris une chose que le maître voulait conserver pour la vendre plus tard à un plus haut prix, par exemple, du blé que le maître était résolu de ne vendre que dans une saison de l'année où il vaut davantage, on doit restituer au propriétaire le prix qu'il en aurait tiré. La restitution doit toujours être en proportion du tort qu'on a fait : « Omnis restitutio facienda alicui, dit saint Thomas, com« mensurari debet secundum quantitatem damni illati (1).

a

་་

[ocr errors]

937. Ici se présente une question, savoir: si les acquéreurs où possesseurs actuels des biens ecclésiastiques, c'est-à-dire, des biens du clergé et des églises de France, usurpés par l'assemblée nationale et vendus par ses ordres au profit de l'État, sur la fin du dixhuitième siècle, sont obligés à quelque restitution envers l'Église? Nous répondons qu'ils ne sont obligés à rien; l'acquisition desdits biens, quoique injuste et sacrilége dans le principe, a été ratifiée et légitimée par le concordat de 1801, dont l'article x111 est ainsi conçu: « Sanctitas Sua, pro pacis bono felicique religionis restitu«tione, declarat eos qui bona Ecclesiæ alienata acquisiverunt, molestiam nullam habituros neque a se, neque a romanis ponti«<ficibus successoribus suis : ac consequenter proprietas eorumdem « bonorum, reditus et jura iis inhærentia, immutabilia penes ipsos « erunt atque ab ipsis causam liabentes. » Nous trouvons la même disposition dans la bulle du pape Pie VII, du 27 juillet 1817, pour la nouvelle circonscription des diocèses. Or, cet acte authentique du saint-siége est pour le for intérieur comme pour le for extérieur; ceux qui possèdent les biens dont il s'agit peuvent donc en disposer à volonté comme de leurs biens patrimoniaux ou d'autres biens légitimement acquis. Il en est de même des biens ecclésiastiques dont le gouvernement était détenteur à l'époque du concordat de 1801, et qui ont été vendus depuis, comme l'a déclaré plusieurs fois la Sacrée Pénitencerie, ainsi que Pie VII, dans un bref adressé à l'évêque de Poitiers, le 20 octobre 1821. Voici la réponse de ce Pape : « Ast omnem certe dubitationem tollunt nos« tra quæ pluribus de eo argumento consultationibus dedimus res«ponsa: declaratum enim fuit haud semel ut ex iis bonis quæ a gubernio quod tunc dominabatur occupata fuerunt ante memo(1) Opuscul. LXXIII. c. 20.

a

« PreviousContinue »