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juste n'est pas une loi; c'est un abus de pouvoir, une tyrannie. «Quod fit injuste, nec jure fieri potest (1). Les lois humaines qui ne s'accordent point avec la loi naturelle ne sont pas de vraies lois. « Si lex humanitus posita in aliquo a lege naturali discordet, jam « non erit lex, sed legis corruptio (2). » Dans le doute si la loi est injuste, si la chose ordonnée est légitime ou non, on doit l'observer; la présomption est en faveur de celui qui commande.

On ne doit pas regarder comme injustes les lois qui semblent permettre certains usages peu conformes, et même contraires aux règles de la morale chrétienne. Tolérer un abus, ce n'est point l'approuver; de là cette maxime de droit: «Non omne quod licet honestum est. » Les lois civiles ne peuvent défendre tout ce qui est défendu par la loi naturelle : « Lex humana non omnia potest

* prohibere quæ prohibet lex naturæ (3). »

110. Quatrièmement, il est nécessaire pour une loi que le précepte soit stable, permanent. Une loi doit durer tant que l'état des choses ou le besoin qui en a été l'occasion ne change point. Le législateur meurt, la loi ne meurt pas.

Cinquièmement, c'est un précepte qui est dans l'intérêt d'une société, d'une communauté, d'une corporation plus ou moins forte: « Finis legis est bonum commune (4).». Omnis lex ad bo«num commune ordinatur (5). »

111. Sixièmement, la loi doit émaner du supérieur, qui a le droit de gouverner, le pouvoir de commander. Ce pouvoir, dans l'ordre temporel comme dans l'ordre spirituel, vient de Dieu : «Non est potestas nisi a Deo (6). » C'est à ceux qui sont chargés du gouvernement ecclésiastique ou politique qu'il le communique plus ou moins directement, et avec plus ou moins d'étendue, suivant le rang qu'ils occupent dans l'Église ou dans l'État. « Per me reges « regnant, et legum conditores justa decernunt (7). »

112. Enfin, la loi doit être publiée. Soit que la promulgation tienne à l'essence d'une loi, comme le pensent plusieurs auteurs, soit qu'on ne la regarde que comme une condition indispensable, elle est, de l'aveu de tous, absolument nécessaire pour rendre une loi obligatoire. Tant qu'une loi n'est pas promulguée, elle n'a pas plus d'effet qu'un simple projet. « Leges instituuntur, cum promul« gantur (8). » On ne peut être tenu d'observer des préceptes qu'on

(1) S. Augustin, de Civit. lib. xix. c. 21. quæst. 95. art. 2. - (3) Ibid. quæst. 96. art.

-

(2) S. Thomas, Sum. part. 1. 2.

(4) Ibid. art. 1. (5) Ibid.

2.

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ne connaît point: « Si non venissem et locutus fuissem eis, pecca« tum non haberent (1). » Ce qui a fait dire à saint Thomas: « Promulgatio ipsa necessaria est ad hoc quod lex habeat virtutem « suam (2). ■

113. On distingue les lois divines et les lois humaines. Les premières sont naturelles ou positives, suivant qu'elles émanent nécessairement ou librement du Créateur. Parmi celles des lois divines qui ne sont que positives, les unes sont appelées mosaïques, parce qu'elles ont été promulguées par Moïse; et les autres, chrétiennes ou évangéliques, parce qu'elles ont été données par JésusChrist. Les lois humaines sont ecclésiastiques ou civiles. Les premières regardent l'ordre spirituel; les dernières, l'ordre temporel.

CHAPITRE II.

Des Lois divines.

114. Pour ne pas nous écarter de notre but, nous nous bornerons à donner quelques notions de la loi naturelle, de la loi mosaïque, et de la loi chrétienne.

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La loi naturelle, considérée comme étant la raison divine qui prescrit d'observer l'ordre et défend de le troubler, s'appelle loi éternelle : « Lex æterna, dit saint Augustin, est ratio divína vel • voluntas Dei ordinem naturalem conservari jubens, perturbari « vetans (3). » Si nous l'envisageons dans l'homme, auquel Dieu prescrit, par la connaissance qu'il lui en a donnée, la pratique des devoirs naturels, c'est-à-dire des devoirs qui découlent des rapports que nous avons soit avec le Créateur, soit avec nos semblables, la nomme loi naturelle. La loi naturelle n'est donc, comme le dit saint Thomas, qu'une impression de la lumière divine en nous, qu'une participation de la loi éternelle dans une créature raisonnable: « Quod pertinet ad legem naturalem, nihil aliud est quam impressio divini luminis in nobis ; unde patet quod lex naturalis « nihil aliud est quam participatio legis æternæ in rationabili creatura (4). »

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(1) Joan. c. 15. v. 22. - (2) Sum. part. 1. 2. quæt. 90. art. 4. — (3) Lib. xx/Ì, Contra Faustum, c. 27. — (4) Sum. part. 1. 2. quæst. 91. art. 2.

115. La loi naturelle ordonne, défend et permet ; nous devons faire ce qu'elle ordonne, et éviter ce qu'elle défend : mais nous pouvons indifféremment faire ou omettre ce qu'elle permet, pourvu que l'on se conforme d'ailleurs aux lois positives qui règlent, dans l'intérêt de la religion et de la société, certaines choses au sujet desquelles la loi naturelle garde le silence.

La loi naturelle a été promulguée dès le commencement. Aussi, comme le dit l'Apôtre, les gentils, qui n'ont pas la loi (écrite), font naturellement ce que la loi commande; ils sont à eux-mêmes leur propre loi; ils montrent que l'œuvre de la loi est gravée dans leur cœur; et leur conscience leur en rend témoignage. «Gentes quæ legem non habent, naturaliter ea quæ legis sunt faciunt (1). » De là cette pensée de saint Thomas Promulgatio legis naturæ est ex hoc ipso quod Deus eam mentibus hominum inseruit naturaliter cognoscendam (2).

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Toutefois, Dieu n'a jamais abandonné l'homme à ses propres lumières. Il s'est révélé à nos premiers pères et aux patriarches, même avant la promulgation de la loi de Moïse.

116. Tous les hommes n'ont pas la même connaissance de la loi naturelle; cette connaissance est plus ou moins parfaite, plus ou moins étendue, suivant qu'on a plus ou moins de capacité, plus ou moins d'instruction. « Veritatem omnes aliqualiter cognoscunt, « ad minus quantum ad principia communia legis naturalis. In aliis vero quidam plus et quidam minus participant de cognitione veritatis; et secundum hoc etiam plus vel minus cognoscunt legem • æternam (3). » La loi naturelle est gravée dans les cœurs, il est vrai; mais il faut en lire les caractères, et cela n'est pas toujours aisé souvent les passions, les préjugés, les habitudes invétérées troublent la vue, et alors on ne voit plus rien (4).

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117. On peut donc ignorer quelques points de la loi naturelle. Mais cette ignorance peut-elle être invincible? Pour résoudre cette question, nous distinguons les principes de la loi, les conséquences prochaines qui en sont immédiatement déduites, et les conséquences éloignées, dont on ne saisit que difficilement le rapport qu'elles ont avec les principes d'où elles découlent. Or, quiconque a l'usage de raison, pour peu que ses facultés intellectuelles soient développées, ne peut ignorer invinciblement les premiers principes de la loi naturelle, ni, généralement, les conséquences qui en dérivent immé

(1) Rom. c. 2. v. 14 et 15. — (2) Sum. part. 1. 2. quæst. 90. art. 4. — (3) S. Thomas, Sum. part. 1. 2. quæst. 93. art. 2. (4) Bergier, Dict. de théologie,

art. Loi naturelle.

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I.

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diatement. Les vérités premières et fondamentales sont à la portée de tous, elles se rencontrent partout.

118. Quant aux conséquences éloignées, on peut certainement les ignorer d'une ignorance invincible, qui excuse de tout péché. Soutenir le contraire, ce serait prétendre que tous les hommes peuvent acquérir les mêmes connaissances en morale, le même degré de science pour tout ce qui appartient au droit naturel ; ce serait prétendre l'impossible. « Unanimis Theologorum sen« tentia est, in conclusionibus mediatis et obscuris seu remotis « a principiis utique dari et admitti debere ignorantiam invinci« bilem (1). »

La loi naturelle, étant fondée sur la constitution native de l'homme, ne peut pas plus varier que la nature humaine. On ne peut donc, en aucun cas, obtenir dispense de cette loi : « Præcepta « Decalogi sunt omnino indispensabilia (2). ›

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119. La loi mosaïque est ainsi appelée, parce qu'elle a été promulguée par Moïse. On distingue, dans cette loi, la partie morale, la partie cérémonielle qui réglait ce qui avait rapport au culte divin, et la partie civile et judiciaire qui concernait la police du peuple juif. La partie morale n'était point nouvelle; c'était la loi naturelle, dont les règles générales sont contenues dans le Décalogue.

La loi de Moïse n'était que pour un temps; elle devait disparaître à la venue du Messie, comme une ombre devant le soleil de justice. Cette loi a donc été abrogée par la loi évangélique. Si la loi naturelle, qui en était la base, est toujours obligatoire, ce n'est point en vertu de la promulgation qui en a été faite par le législateur des Hébreux, mais bien parce qu'elle est éternelle, et qu'elle appartient à l'Évangile.

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120. La loi chrétienne ou évangélique est celle qui nous a été donnée par Jésus-Christ, le sauveur du monde. Dans cette loi, comme dans la loi mosaïque, on distingue le dogme, la morale et le culte; et outre les préceptes qui sont obligatoires, l'Évangile contient plusieurs conseils qui n'obligent pas : Præceptum importat necessitatem; consilium autem in optione ponitur ejus cui « datur (3). » Parmi les conseils, les uns s'adressent à tous les hommes, d'autres ne sont que pour ceux que Dieu appelle à un genre de vie plus parfait; tels sont les conseils touchant la pauvreté et le célibat.

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121. A la différence de la loi mosaïque, qui n'était que pour le

(1) S. Alphonse de Liguori, de Legibus, no 171. — (2) S. Thomas, Sum. part. 1. 2. quæst. 100. art. 8. · (3) Ibid. quæst. 108. art. 4.

peuple juif, et qui ne devait durer qu'un certain temps, l'Évangile est pour tous les siècles et pour tous les hommes. Il doit faire de toutes les nations un seul peuple, une seule famille. C'est pourquoi Notre-Seigneur n'a point établi de lois civiles ni politiques. On peut être chrétien et citoyen partout, quelle que soit la forme des gouvernements.

122. Toutefois, la loi chrétienne n'est devenue obligatoire que par la promulgation que les Apôtres et leurs successeurs en ont faite. Tandis qu'une loi n'est point promulguée, elle ne saurait avoir aucun effet. Nul n'est obligé de croire ce qu'il ne peut connaître; nul ne peut connaître l'Évangile, s'il ne lui est annoncé : • Quomodo credent ei quem non audierunt ? Quomodo audient sine « prædicante (1)? » Les peuples qui n'ont jamais entendu parler de Jésus-Christ ni de sa doctrine, sont précisément dans l'état où se trouvaient les gentils avant la venue du Messie. Ils n'ont pour règles de conduite que les principes de la loi naturelle, et quelques traditions plus ou moins obscures qu'ils ont conservées de la révélation primitive.

123. Quoique l'Évangile renferme plusieurs préceptes qui ne sont que de droit positif, qui dépendent uniquement de la volonté de Dieu, il n'est susceptible d'aucune dispense proprement dite. L'Église, toujours assistée de l'Esprit-Saint, a mission pour interpréter les commandements de son divin maître, pour juger des circonstances où ils obligent et où ils cessent d'être obligatoires; mais elle ne peut, malgré l'étendue de ses prérogatives, y déroger en aucun point. « Amen dico vobis, donec transeat cœlum et terra, « iota unum aut unus apex non præteribit a lege, donec omnia « fiant (2). » « Cœlum et terra transibunt, verba autem mea non * præteribunt (3). »

CHAPITRE III.

Des Lois ecclésiastiques.

124. On entend par lois ecclésiastiques celles qui émanent du Souverain Pontife et des évêques préposés au gouvernement de l'Église. On distingue les lois écrites et les lois non écrites ou in

(1) Rom. c. 10. v. 14. - (2) Matth. c. 5. v. 18. (3) Ibid. c. 24. v. 35.

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