Page images
PDF
EPUB

R

a

présentement les choses nécessaires à la vie. Or, dans ce cas, qui n'arrive que rarement, on peut, sans se rendre coupable de vol, prendre du bien d'autrui les choses sans lesquelles on ne peut sortir ou se garantir de cette extrémité; car alors tous les biens deviennent communs, au moins quant à l'usage. « Si adeo sit evi« dens et urgens necessitas, comme le dit saint Thomas, ut manifestum sit instant necessitati de rebus occurrentibus esse sub« veniendum, puta cum imminet personæ periculum, et aliter « subveniri non potest, tunc licite potest aliquis ex rebus alienis << suæ necessitati subvenire, sive manifeste sive occulte sublatis; << nec hoc proprie habet rationem furti vel rapinæ (1). » Cette doctrine est professée par tous les moralistes; cependant, elle ne doit être produite qu'avec beaucoup de circonspection, à raison du danger pour plusieurs de se faire illusion sur la distinction entre la nécessité extrême et la nécessité grave. Nous ferons remarquer aussi que, suivant le sentiment le plus probable et le plus communément reçu, celui qui a consommé la chose d'autrui qu'il s'est appropriée par suite d'une extrême nécessité, est tenu d'en rendre au maître l'équivalent, du moins s'il s'agit d'une chose de grande valeur, et si d'ailleurs, au moment qu'il l'a consommée, il possédait d'autres biens, ou s'il avait l'espoir probable d'en acquérir (2). Nous ajouterons qu'il ne serait plus permis à celui qui est pressé par une nécessité extrême de prendre la chose d'autrui, s'il ne pouvait la prendre sans jeter le maître de cette même chose dans une même nécessité: «In pari causa melior est conditio possidentis.

985. Ce n'est point voler que de reprendre son bien qu'on retrouve entre les mains de celui qui nous l'a pris, ou qui le retient injustement, quoiqu'on le prenne de son autorité privée. Ce n'est point non plus un vol de prendre à quelqu'un l'équivalent de ce qu'il nous doit certainement, suivant la rigueur du droit; comme ce n'est point une injustice si nous refusons de payer une dette à celui qui refuse lui-même de nous payer, quoiqu'il soit à terme, une dette certaine, et équivalente à la somme que nous lui devons. C'est ce qu'on appelle compensation. Mais pour que la compensation soit licite, soit au for extérieur, soit au for intérieur, elle doit réunir certaines conditions, ainsi que nous l'avons fait remarquer plus haut (3). Un domestique se rend coupable de vol en usant de compensation, lorsque, s'imaginant que son gage est trop faible, il vole

[blocks in formation]

quelque chose à son maître pour égaler son salaire à ses peines, ou sous prétexte que d'autres domestiques gagnent plus que lui. C'est une injustice qu'il doit réparer, ou en restituant autant que possible ce qu'il a pris, ou, s'il ne peut le restituer sans de trop graves inconvénients, en indemnisant son maître par des services particuliers auxquels ne l'oblige pas sa convention. Aussi le saint-siége a censuré la proposition suivante: «Famuli et famulæ domestica «possunt occulte heris suis surripere ad compensandam operam « suam, quam majorem judicant salario quod recipiunt (1). » Ce que nous disons des domestiques s'applique aux artisans, aux ouvriers qui se persuadent être en droit de prendre quelque chose à celui qui les emploie, prétendant qu'ils ne gagnent pas assez.

ARTICLE II.

Du Vol et des injustices des époux, des enfants de famille, des domestiques et des ouvriers.

986. La femme doit respecter les droits de son mari, et le mari doit respecter les droits de sa femme, en observant exactement leurs conventions matrimoniales. La femme se rend coupable d'injustice, en prenant, pour en jouir elle-même, ce qui appartient au mari; et celui-ci s'en rend également coupable, s'il s'approprie ou s'il dissipe ce qui appartient en propre à la femme. Les intérêts matériels de l'un et de l'autre sont distincts. Mais, pour que le vol entre époux soit péché mortel, il doit être d'une valeur beaucoup plus considérable que le vol entre personnes étrangères : ce qui, cependant, ne peut se déterminer qu'au jugement d'un homme prudent, eu égard et aux différentes circonstances du vol, et aux dispositions plus ou moins bienveillantes du mari pour sa femme, ou de la femme pour son mari.

987. Le mari pèche contre la justice, soit en prenant à sa femme, malgré elle, de ceux de ses biens dont elle a la libre et entière administration, soit en disposant, par des donations déguisées, des biens de la communauté, au profit de ses parents ou de ses enfants d'un premier lit, à l'insu et contre le consentement de la femme; soit en employant les mêmes biens ou pour réparer des injustices qui lui sont personnelles, ou pour les dissiper par son libertinage, le déréglement de ses mœurs, par l'entretien d'une femme de mauvaise

(1) Innocent X, décret de 1679.

vie, d'une femme adultère(1); soit en recourant à la fraude ou à la violence, aux menaces, pour déterminer sa femme à consentir à un engagement ruineux, ou à l'aliénation d'un immeuble qui doit rester sans remploi. Le mari pèche encore contre la justice, s'il refuse à sa femme ce qui lui est nécessaire pour s'entretenir convenablement, suivant sa condition. Dans ces différents cas, il est dû récompense, indemnité à la femme ou à ses héritiers. Enfin, un époux, le mari comme la femme et la femme comme le mari, pèche contre la justice à l'égard des héritiers de son conjoint, lorsque, à la mort de celui-ci, la communauté étant dissoute, il divertit ou recèle des effets de la même communauté; ce qui n'arrive que trop fréquemment.

988. La femme pèche contre la justice, lorsque, malgré l'opposition de son mari, elle prend une somme considérable des biens de la communauté, ou des revenus de ceux de ses biens dont elle n'a point la jouissance, pour se livrer au jeu ou pour faire des dépenses superflues et luxueuses, soit en habillements, soit en meubles. Mais on ne doit point regarder comme coupable de vol une femme qui prend dans les biens de la communauté ce qu'il lui faut pour s'entretenir modestement suivant sa condition, ou pour procurer aux enfants un habillement convenable, et autres choses indispensables à la famille, lorsque le mari, dissipateur ou avare, les laisse manquer du nécessaire.

La femme pèche encore contre la justice, si, contre le gré de son mari, elle distrait les biens de la communauté au profit de ses parents; mais elle ne pécherait point, si elle prenait, pour cela, sur les revenus de ses biens paraphernaux, ou des biens dont elle a la jouissance et l'administration. Elle ne pécherait point non plus, en prenant une somme modique sur les biens communs, pour soulager la misère de son père ou de sa mère, ou de ses enfants d'un premier lit, dans le cas où elle n'aurait pas d'autres biens à sa disposition le mari ne peut raisonnablement le trouver mauvais. En est-il de même pour ce qui regarde ses frères et sœurs? Une femme peut certainement, par des aumônes modérées, secourir un frère ou une sœur qui se trouve dans la nécessité; elle peut faire, pour un frère ou pour une sœur, au moins ce qu'elle peut faire pour un étranger. Or, une femme peut très-bien, quelles que soient les dispositions de son mari, faire quelques légères aumônes à quiconque se trouve vraiment dans le besoin.

989. La femme qui s'est rendue coupable d'une injustice envers (1) Voyez, ci-dessus, no 690.

son mari doit la réparer le plus tôt possible, en prenant les moyens qui dépendent d'elle. La restitution devient facile, toutes les fois que la femme a présentement la jouissance de quelques biens. Si elle n'a rien en jouissance, elle est obligée de léguer à son mari, ou aux héritiers de son mari, une somme équivalente au tort qu'elle a fait. Mais ce legs serait généralement sans objet, si les enfants de la femme étaient ceux du mari, étant par là même héritiers de l'un et de l'autre.

990. Un enfant pèche en prenant le bien de ses père et mère, à leur insu et contre leur volonté : « Qui subtrahit aliquid a patre «< suo et matre, et dicit hoc non esse peccatum, particeps est ho« micidæ (1). » C'est un péché contre la justice, plus ou moins grave, suivant que le vol est plus ou moins considérable, eu égard et à la fortune et aux charges du père de famille. Pour qu'il y ait ici péché mortel, il faut que le vol soit, toutes choses égales, d'une valeur bien plus grande que s'il était commis par un étranger: et s'il s'agit du vol d'un fils unique, il faut une somme plus forte encore que si le père ou la mère avait d'autres enfants. Mais ce n'est pas un vol, pour un enfant, de prendre à son père ou à sa mère ce qui lui est indispensablement nécessaire pour se nourrir et s'entretenir convenablement suivant sa condition, lorsque le père ou la mère le lui refuse obstinément, si d'ailleurs l'enfant remplit exactement, par l'obéissance et le travail, les devoirs de la piété filiale. Quiconque travaille a droit aux aliments; ce qui, aux termes du droit, comprend le logement, la nourriture et l'habillement.

991. Un fils qui fait valoir les biens paternels, en travaillant avec son père ou au nom de son père, a-t-il droit aux gains ou à une partie des gains qu'il fait; et, en cas de refus de la part du père, peut-il user de compensation, en prenant secrètement une ou plusieurs sommes équivalentes à ce qu'il prétend lui être dû? Non : les gains dont il s'agit rentrent, comme nous l'avons fait observer plus haut (2), dans le pécule profectif, sur lequel les enfants n'ont aucun droit; tout ce que gagne un fils, demeurant et entretenu dans la maison paternelle, fait partie de ce pécule : « Quod ex patris occa «sione profectum est, hoc ad eum reverti debet (3); » à moins que ce fils ne fasse un commerce séparé, ou qu'il ne soit en société avec son père. D'après le même principe, nous pensons que le fils d'un marchand, d'un maître d'hôtel, n'a pas droit d'exiger un salaire de

(1) Proverb. c. 28. v. 24.— (2) Voyez le n° 683, etc. lib. u. tit. 9.

(3) Justinien, Instit.

son père, ni, par conséquent, d'user de compensation, dans le cas où il ne l'obtiendrait point. « Cum hæc sententia sit valde probabilis, " dit saint Alphonse de Liguori, ideo si pater negaret salarium, vel « filium puderet illud petere, minime potest filius occulte sibi illud « compensare (1). Ne dites pas qu'étant privé d'un salaire, ce fils serait de pire condition qu'un domestique; car quel est le domestique qui ne préférât la condition de ce fils à la sienne; et quel est l'enfant de famille qui voulût passer, comme tel, pour un mercenaire, consentant à être traité par son père, pour le présent et pour l'avenir, comme un homme à gages? Ce que nous disons s'applique aux enfants majeurs qui demeurent et travaillent avec leurs parents, comme aux enfants mineurs (2), lors même qu'ils travailleraient beaucoup plus que leurs frères et sœurs. Celui donc qui, sous ce prétexte, aura pris une somme considérable à son père, sera obligé de la restituer, ou, s'il ne le peut pas, d'en tenir compte à ses cohéritiers, lors du partage de la succession; à moins que le père, comme il arrive assez souvent dans le cas dont il s'agit, ne lui en ait fait remise, d'une manière plus ou moins expresse. Il serait encore dispensé de rapporter cette somme à la masse des biens à partager, s'il avait la certitude que tous ses cohéritiers ont pris, soit avant, soit après l'ouverture de la succession, de quoi se compenser suffisamment.

992. Un enfant pèche contre la justice, en prenant à ses parents des denrées ou autres choses, pour les vendre et en dépenser l'argent dans les cabarets, ou le faire servir à la débauche, au libertinage. Il en est de même s'il emploie à des usages criminels ou illicites l'argent qu'il a reçu de son père pour payer les frais de son éducation ou pourvoir à des besoins réels. Mais si, tout considéré, la somme dont il abuse n'est pas considérable, il obtiendra facilement le pardon de son père, en manifestant surtout, par sa conduite, de meilleures dispositions.

993. Les domestiques se rendent coupables d'injustice, lorsqu'ils n'ont pas tout le soin qu'ils devraient avoir du bien de leurs maîtres, ou qu'ils se permettent de leur prendre certaines choses, sans avoir leur consentement. Ce vol est même plus odieux que le vol fait par un autre qui serait étranger à la maison, parce qu'il y a abus de confiance: «Quin etiam, dit le Catéchisme du concile de Trente, eo « sunt detestabiliores quam reliqui fures qui clavibus excluduntur,

(1) Lib. III. no 544.-Voyez aussi de Lugo, Sanchez, Sylvius, etc.- (2) Voyez le Code civil commenté dans ses rapports avec la théologie morale, art. 387.

« PreviousContinue »