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CHAPITRE V.

Des Lois introduites par la coutume.

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141. Une coutume peut certainement acquérir force de loi. Mos populi Dei et instituta majorum, dit saint Augustin, pro lege « sunt tenenda, et sicut prævaricatores legum divinarum, ita contemptores consuetudinum ecclesiasticarum coercendi sunt (1). Aussi, on définit la coutume un certain droit établi par l'usage, lequel, à défaut d'une loi écrite, est reçu comme loi : « Consuetudo « est jus quoddam moribus institutum, quod pro lege suscipitur, « ubi deficit lex (2). ›

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142. Mais un usage n'a la vertu d'introduire une loi qu'autant qu'il réunit certaines conditions, sans le concours desquelles il demeure impuissant. Premièrement, l'usage doit être, dans son objet, juste, et d'une utilité publique. Ce qui est contraire à la loi de Dieu, à la décence, au bon ordre, ne peut évidemment ètre l'objet d'une loi.

143. Secondement, l'usage doit être général, c'est-à-dire qu'il doit être adopté par la plus grande partie de la communauté ou du corps qu'il concerne. L'usage qui n'est suivi que par quelques partieuliers, quelque utile qu'il soit, n'a pas force de loi.

Troisièmement, il est nécessaire qu'il soit public; car il ne peut être obligatoire qu'autant qu'il est connu. D'ailleurs, il est nécessaire que les actes puissent parvenir à la connaissance du législateur, puisque le consentement au moins tacite de celui qui gouverne doit intervenir pour sanctionner l'usage et lui donner force de loi.

144. Quatrièmement, un usage ne peut se convertir en loi que par des actes libres de la part des sujets qui l'introduisent. Les actes qui se font par suite de la violence, par erreur ou par ignorance, ne peuvent concourir à établir un usage obligatoire. Quelque ancien que soit cet usage, s'il ne s'est établi que par la fausse supposition d'une loi qui n'existe pas, ou par une interprétation forcée qui donne à une loi plus d'étendue qu'elle n'en a, il ne peut avoir par lui-même le caractère sacré de la loi : « Ad consuetudinem re

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« quiritur, dit saint Alphonse de Liguori, ut actus sint liberi, non « autem per vim, aut metum, aut ignorantiam positi, puta, si po« pulus censeat existere legem, quæ revera non est (1). »

145. D'après ce principe, qui n'est point contesté, nous ne regardons point comme un empêchement dirimant du contrat de mariage, la séduction, que les théologiens français confondent avec le rapt; car l'usage général sur lequel ils s'appuient pour faire un empêchement de la séduction, ne s'est établi en France que par une fausse interprétation du concile de Trente.

Cinquièmement, il est nécessaire que l'usage ait été constamment observé pendant un certain temps. La coutume étant un droit fondé sur l'usage, cet usage doit être constaté par la répétition des mêmes actes durant plus ou moins de temps, afin que le législateur puisse juger s'il est dans l'intérêt général des sujets.

146. Mais quel temps faut-il pour cela? Les auteurs ne s'accordent pas. Les uns demandent le même temps que pour la prescription. Les autres pensent que les lois sur la prescription ne sont point applicables à la question dont il s'agit; que l'on ne peut déterminer, d'une manière précise, le temps nécessaire pour qu'une coutume oblige; qu'il faut plus ou moins de temps, suivant qu'on a plus ou moins de raisons de présumer que le législateur approuve l'usage et le ratifie. En effet, plus un usage est public, plus il est général et fréquent; plus il est important dans son objet, moins il faut de temps pour le convertir en loi. D'après ce sentiment, que nous adoptons, nous avons une règle sûre pour discerner parmi les différentes pratiques de l'Église, dont quelques-unes sont de temps immémorial, quelles sont celles qu'on doit regarder comme étant de précepte ou de simple dévotion. Nous en jugerons par les instructions ou les décisions des premiers pasteurs, dont l'autorité est nécessaire pour rendre une pratique obligatoire.

147. Enfin, il faut que l'usage soit sanctionné par le législateur. C'est au Pape et aux évêques, en matière ecclésiastique, de juger s'il est plus expédient de convertir une pratique en loi, que de l'abandonner à la piété des fidèles, sans leur en faire une obligation. Aussi, que d'usages dans l'Église, usages anciens et pieux, qui n'obligent point les fidèles! Tel est, par exemple, l'usage de recevoir les cendres le premier jour du carême, de prendre de l'eau bénite en entrant dans l'église, de réciter l'Angelus au son de la (1) De Legibus, no 107. Voyez les Théologies de Poitiers, de Toulouse, de Legibus; Collet, de Legibus, cap. vn; les Conférences d'Angers, sur les Lois, conf, xi. quest. 1. etc., etc. — Voyez le t. 11. no 797, etc.

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cloche trois fois le jour, de faire une prière immédiatement avant et après le repas.

148. Dire que si ces pratiques de dévotion et autres du même genre n'obligent pas, c'est que les fidèles qui les observent n'ont pas l'intention de s'obliger, ce serait, ce nous semble, assigner aux lois ecclésiastiques une tout autre originé que celle qu'elles doivent avoir, d'après l'ordre établi par Jésus-Christ. Il n'appartient qu'au Souverain Pontife et aux évêques d'obliger les fidèles par une loi.

Ici nous ne parlons que de la coutume qui introduit une loi, coutume que nous appelons ultra legem. Nous examinerons, plus bas, ce qui a rapport à la coutume qui explique, ou modifie, ou abroge une loi.

CHAPITRE VI.

De l'Obligation qui résulte des Lois.

149. Les lois ecclésiastiques ou civiles, écrites ou non écrites, obligent en conscience, sous peine de péché mortel ou véniel. Une loi qui ne lie pas la conscience n'est point une loi proprement dite. Mais il ne peut y avoir de péché mortel que lorsqu'on transgresse une loi en matière grave; et toutes les fois qu'il y a matière grave, la transgression, si elle est d'ailleurs suffisamment libre, est mortelle; à moins que le législateur n'ait déclaré ne vouloir obliger, même en matière grave, que sous peine de péché véniel (1); ce qui arrive rarement. C'est une règle générale, que l'étendue d'une obligation se mesure sur la nature des choses qui en sont l'objet.

150. On reconnaît qu'une loi oblige sous peine de péché mortel, 1o lorsque la matière est grave en elle-même; 2° lorsque la matière, sans être grave en elle-même, est regardée comme telle par ceux qui sont capables d'en juger, soit à raison du caractère des personnes que la loi concerne, soit à raison de la fin que se propose le législateur. Ce qui est peu important à l'égard des simples fidèles, peut être matière suffisante pour un péché mortel à l'égard des clercs et des personnes consacrées à Dieu. 3° Quand le législateur commande, en vertu de la sainte obéissance, sous peine de la ma

(1) S. Liguori, de Legibus, no 143.

lédiction de Dieu, sous peine de péché mortel. 4° Quand une chose est défendue sous peine d'une excommunication majeure, d'une suspense, d'un interdit à encourir par le fait, ipso facto. Des peines aussi graves ne s'infligent que pour une faute mortelle. Si ces peines ne sont que comminatoires, il n'est pas certain que la loi oblige sous peine de péché mortel, à moins que la censure ne doive s'encourir sans une monition particulière, ou qu'il ne soit constant d'ailleurs qu'il y a matière grave: «Nisi dicatur quod « censura incurratur sine alia monitione; vel nisi de se materia sit « gravis (1). » 5o Lorsque, d'après l'usage, les docteurs s'accordent généralement à reconnaître une faute mortelle dans la transgression d'une loi. Dans le doute si une loi oblige sous peine de péché mortel ou de péché véniel seulement, elle n'est pas censée obliger sub gravi (2).

151. Il y a péché mortel toutes les fois que la transgression d'une loi, même en matière légère, est accompagnée du mépris formel ou pour la loi, ou pour le législateur considéré comme tel : « In quacumque materia contemptus formalis legis aut legislatoris, « quod est contemnere legem seu superiorem qua superior est, « semper est peccatum mortale (3). »

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Toutefois, il peut y avoir péché grave, sans qu'il y ait mépris formel ni pour le législateur ni pour la loi; le mépris implicite, qui est inséparable de toute transgression volontaire, suffit en matière grave pour le péché mortel. Il est même assez rare que le péché devienne mortel à raison du mépris; car il ne faut pas confondre le mépris formel du législateur, considéré comme tel, avec le mépris qu'on a de lui, soit à cause de son inhabileté, soit à cause de ses défauts personnels.

152. Les lois qui sont tout à la fois préceptives et pénales obligent en conscience, et ne peuvent être violées sans péché; une loi ne perd pas son caractère, elle ne cesse point d'être morale, parce qu'en commandant ou en défendant quelque chose, elle prononce des peines contre les infracteurs. Elles obligent même avant la sentence du juge, quand les peines qu'elles infligent sont purement spirituelles. Ainsi, les excommunications, les suspenses qui ne sont point comminatoires, s'encourent par le seul fait, ipso facto. Il en est de même des irrégularités. Si la loi est privative d'un droit (1) S. Liguori, de Legibus, nos 140, 144, 146. (2) Le même docteur, Instruct. pratiq. pour les Confesseurs, des Lois, n° 27. de (3) Le même, Legibus, no 142. Voyez aussi Collet, Bailly, les Conférences d'Angers, sur les Lois, etc.

à échoir dans l'avenir, la peine s'encourt encore avant toute sentence, pourvu toutefois que le coupable ne soit pas forcé de subir cette peine avec infamie, comme serait la peine d'être privé de la voix active et de la voix passive, en matière d'élections. Quant aux clauses privatives d'un droit acquis, elles n'ont leur effet qu'après la sentence qui décerne la peine ou constate la culpabilité. « Si pœna consistit in privatione alicujus juris acquisiti, puta in « beneficio, electione, etc., tunc semper requiritur declaratio ju« ridica vel pœnæ, vel saltem criminis, etiamsi pœna imponatur « ipso facto incurrenda, nulla expectata declaratione (1). »

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153. On ne s'accorde pas sur la question de savoir si les lois civiles qui annulent certains actes, les contrats, par exemple, dont l'homme est naturellement capable, doivent être suivies au for de la conscience, comme au for extérieur. Il y a de fortes raisons pour et contre. Nous reviendrons sur cette question, en parlant des contrats.

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154. Pour ce qui regarde les lois purement pénales, elles n'obligent pas en conscience : « Lex pure pœnalis est quæ nullum dat præceptum, v. g. qui hoc fecerit, solvat pœnam; et hæc non obligat in conscientia, etiamsi pœna sit gravissima (2). Avonsnous en France des lois purement pénales? Il ne paraît pas ; mais il ne faut pas confondre une loi proprement dite avec un simple règlement de police.

155. Les lois fondées sur la présomption de droit, à raison du danger attaché à certaines actions, obligent, même dans les circonstances où les inconvénients qu'on a voulu prévenir n'existent pas. Quand un acte est défendu à cause du danger pour certains inconvénients, le motif de la loi subsiste toujours. Mais il n'en est pas de même de la loi fondée sur une présomption de fait; car alors, ou ce que la loi présume est réellement arrivé, ou non. Dans le premier cas, la loi oblige; dans le second, elle n'oblige point. Ainsi, par exemple, s'il est faussement établi en justice que votre cheval a causé tel ou tel dommage à votre voisin, et si, par suite de cette présomption fausse, le juge vous condamne à le réparer, vous n'êtes tenu d'exécuter la sentence que parce que vous y êtes forcé, que pour éviter le scandale; et vous pouvez, dans l'occasion, user de la compensation pour vous dédommager. Il en serait de même pour l'héritier qui, pour n'avoir pas fait l'inventaire, serait condamné à payer toutes les dettes du défunt, quand, dans le fait, ces dettes dépasseraient la valeur de l'héritage (3).

(1) S. Liguori, de Legibus, no 148.—(2) Ibidem, no 145,—(3) lbidem, no 100.

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