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ment qu'elles sont volontaires, on distingue néanmoins le libre arbitre du volontaire. Tout acte libre est volontaire; mais tout acte volontaire n'est pas libre. Par volontaire on entend l'acte qui se fait avec connaissance, en vertu d'un penchant, d'une inclination qui nous y porte plus ou moins fortement. Si ce penchant était irrésistible, l'acte qui en résulterait ne serait pas un acte contraint, puisqu'il ne viendrait point d'une force extérieure, il serait done volontaire; mais il ne serait pas libre; il serait le résultat de la nécessité, qui est incompatible avec la liberté.

15. L'acte libre est celui qui se fait avec connaissance et avec choix, celui auquel notre volonté se porte avec la faculté de faire le contraire. Ainsi, par exemple, l'amour du bien en général est un sentiment volontaire et nécessaire. Mais l'acte par lequel notre volonté se tourne d'elle-même vers tel ou tel bien en particulier, réel ou apparent, est un acte volontaire et libre, un acte humain par conséquent (1). Ici, l'homme agissant par choix peut s'arrêter à un parti, de préférence au parti contraire. Ce n'est donc pas sans fondement qu'on met de la différence entre le volontaire qui est libre et le volontaire nécessaire. Aussi, l'Église a-t-elle condamné solennellement l'erreur de Baïus et de Jansénius, qui prétendaient que tout mouvement volontaire, quoique nécessaire, était véritablement libre, ne regardant comme contraire à la liberté que la coaction, la contrainte ou la violence, et abusant de quelques expressions de saint Augustin (2).

CHAPITRE III.

Des Causes qui peuvent nuire au volontaire et au libre arbitre.

16. Les causes qui peuvent nuire au volontaire et au libre arbitre sont au nombre de quatre: l'ignorance, la concupiscence, la crainte, et la violence.

(1) Nous n'excluons point la grâce, sans laquelle, comme la foi nous l'apprend, l'homme ne peut absolument rien dans l'ordre du salut. — (2) Les bulles de S. Pie V, l'an 1567; de Grégoire XIII, de l'an 1579; et d'Urbain VIII, de l'an 1641, ont condamné les propositions suivantes, avancées par Baïus : «Quod « voluntarie fit, etiamsi necessario fiat, libere tamen fit.» « Sola violentia << repugnat libertati hominis naturali. » Et le pape Innocent X, par une bulle du 31 mai de l'an 1653, a condamné comme hérétique cette autre proposition, tirée des écrits de Jansénius d'Ypres : « Ad merendum et demerendum in statu na<< turæ lapsæ, non requiritur in homine libertas a necessitate, sed sufficit iia bertas a coactione. »>

ARTICLE I.

De l'Ignorance.

L'ignorance, en morale, est un défaut de science ou d'instruction en matière d'obligations. L'instruction n'est pas nécessaire à tous au même degré; elle doit varier suivant la position qu'on occupe dans la société. Un simple citoyen, un simple fidèle n'est pas obligé d'en savoir autant qu'un magistrat, que le prêtre, dont les lèvres sont dépositaires de la science. Mais il est des obligations dont la connaissance est nécessaire à tous. « Omnes, dit saint Tho« mas, communiter scire tenentur ea quæ sunt fidei et universalia « juris præcepta ; singuli autem quæ ad eorum statum vel officium " spectant (1). »

17. On distingue plusieurs espèces d'ignorances: l'ignorance de droit et l'ignorance de fait; l'ignorance invincible et l'ignorance vincible; l'ignorance crasse et l'ignorance affectée. L'ignorance de droit est celle qui a pour objet la loi ou l'extension de la loi, soit qu'il s'agisse d'une loi divine, naturelle ou positive; soit qu'il s'agisse d'une loi humaine, ecclésiastique ou civile. L'ignorance de fait est ainsi appelée, parce qu'elle tombe sur un fait particulier, ou sur quelques circonstances de ce fait. On ignore si le mariage entre parents est prohibé jusqu'au quatrième degré; c'est une ignorance de droit. Si au contraire on ignore que telle ou telle personne est parente à une autre à un degré prohibé, c'est une ignorance de fait.

18. L'ignorance invincible est celle qu'on n'a pu surmonter, moralement parlant, par les moyens ordinaires, eu égard à la position du sujet, laquelle n'est certainement pas la même pour tous. On reconnaît que l'ignorance ou l'erreur est invincible de la part de celui qui agit, lorsqu'il ne s'élève dans son esprit aucun doute, aucun soupçon, aucune idée, pas même une idée confuse, touchant la malice de l'action qu'il croit permise. « Invincibilis est, «< dit saint Alphonse de Liguori, quæ moraliter vinci nequit, cum nulla cogitatio, nec dubium erroris venit in mentem operantis, • nec etiam in confuso, dum operatur, vel cum actionis causam « ponit (2). »

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L'ignorance invincible, de droit ou de fait, rend nos actions involontaires, et les disculpe aux yeux de Dieu. On ne peut ni mériter

(1) Sum. part. 1. 2. quæst. 76. art. 2.

- (2) De Conscientia, no 3.

ni démériter que par un acte libre; un acte ne peut être libre qu'autant qu'il est volontaire; il ne peut être volontaire qu'autant qu'il se fait avec connaissance, ce qui ne saurait avoir lieu dans le

cas d'une ignorance invincible. « Non tibi deputatur ad culpam,

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⚫ dit le Docteur de la grâce, quod invitus ignoras, sed quod negligis « quærere quod ignoras (1); ou, comme s'exprime saint Thomas: « Si sit talis ignorantia, quæ omnino sit involuntaria, sive quia est invincibilis, sive quia est ejus quod quis scire non tenetur, talis ignorantia omnino excusat a peccato (2). » Ce qui est vrai même de l'ignorance en matière de droit naturel, comme l'a décidé le pape Alexandre VIII, en condamnant cette proposition : « Tametsi detur ignorantia invincibilis juris naturæ, hæc in statu naturæ lapse operantem ex ipsa non excusat a peccato formali (3).

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19. L'ignorance vincible est celle qu'on peut moralement surmonter, en prenant les moyens que prennent communément les personnes sages et prudentes de la même condition, vu l'importance ou la gravité des obligations qu'on est obligé de connaître. L'ignorance vincible a lieu dans celui qui, ayant quelque doute, quelque soupçon sur la malice de son action, et sur l'obligation d'examiner si elle est réellement bonne ou mauvaise, néglige cependant cet examen. « Vincibilis est quæ, cum debeat et possit vinci ab operante, vel quia errorem jam advertit, vel saltem dubitat « de errore, advertitque simul ad obligationem illum vincendi, negligit illum vincere. » Telle est la notion que saint Alphonse de Liguori nous donne de l'erreur ou de l'ignorance vincible (4). On voit que cette ignorance vient de la négligence. Si la négligence est grave, l'ignorance qui en est la suite est une ignorance crasse ou grossière. Si, outre cette négligence, il y a dessein formel ou propos délibéré d'éloigner les moyens de s'instruire, l'ignorance devient affectée. Le caractère de cette ignorance est la crainte de connaître des obligations qui contrarient nos penchants; on désire de les ignorer, afin de s'en affranchir plus facilement : « Scientiam via« rum tuarum nolumus (5); » ou, comme dit le Prophète : « No«luit intelligere ut bene ageret (6). »

20. L'ignorance vincible n'excuse pas entièrement du péché; car elle n'empêche pas que l'action dont elle est la cause ne soit volontaire : « Non totaliter excusat a peccato, dit saint Thomas (7) : ce

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(1) De libero arbitrio, lib. 1. cap. 19. ·(2) Sum. 1. 2. quæst. 76. art. 3. (3) Décret du 7 décembre 1690.- (4) Theol. moral, de Conscientia, no 3. (5) Job. c. 21. v. 14, — (6) Psalm. 33. — (7) Sum. 1. 2. quæst. 76. art. 3.

qui suppose toutefois qu'elle excuse en partie. En effet, cette ignorance diminue le volontaire, et par conséquent la malice du péché : « Talis ignorantia diminuit voluntarium, et per consequens pecca« tum. C'est toujours le même docteur qui parle (1). »

Mais il n'en est pas de même de l'ignorance affectée; elle augmente le volontaire et la malice du péché. « Contingit quandoque quod talis ignorantia directe et per se est voluntaria; sicut cum « aliquis sua sponte nescit aliud, ut liberius peccet; et talis igno<< rantia videtur augere voluntarium et peccatum; ex intentione « enim voluntatis ad peccandum provenit (2).

ARTICLE II.

De la Concupiscence.

21. La concupiscence, en général, est un désir ardent, un mouvement intérieur, un penchant qui nous porte plus ou moins fortement vers un objet sensible et agréable à la nature.

On distingue, dans l'école, la concupiscence antécédente et la concupiscence subséquente. La première est ainsi appelée, parce qu'elle prévient le consentement de la volonté. Si la volonté la fait naître ou l'excite, ou se soumet à son empire, on la nomme concupiscence, passion subséquente.

La concupiscence de sa nature n'est point un péché; les mouvements déréglés qu'elle produit, sans que la volonté y prenne part, ne sont point libres; ils ne peuvent par conséquent nous être imputables. Aussi l'Église a-t-elle condamné cette proposition de Baïus « Concupiscentia, sive lex membrorum, et prava ejus de«sideria, quæ inviti sentiunt homines, sunt vera legis inobe« dientia (3). »

22. La concupiscence excuse de tout péché les actes qui en sont la suite, lorsqu'elle est d'une telle violence qu'elle nous ôte la présence d'esprit, l'usage de raison; à moins cependant que la passion qui produit ces actes ne soit volontaire dans sa cause. Mais si la concupiscence ne fait que troubler l'esprit sans suspendre l'usage de la raison, elle n'excuse point entièrement du péché. Voici ce que dit le Docteur angélique : « Si talis sit passio quæ totaliter involuntarium reddat actum sequentem, totaliter a peccato excu

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(1) Sum. 1. 2. quæst. 76. art. 4. (2) Ibidem. (3) Voyez les Constitutions de S. Pie V, de Grégoire XIII et d'Urbain VIII, contre les erreurs de Baïus.

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sat; alioquin non totaliter. Circa quod duo consideranda videntur. Primo quidem, quod aliquid potest esse voluntarium, vel secundum se, sicut quando voluntas directe in ipsum fertur, vel secundum suam causam, quando voluntas fertur in causam et non in effectum, ut patet in eo qui voluntarie inebriatur ex hoc << enim quasi voluntarium ei imputatur quod per ebrietatem com« mittit. Secundo considerandum est quod aliquid dicitur volun« tarium directe vel indirecte; directe quidem id in quod voluntas fertur; indirecte autem illud quod voluntas potuit prohibere, sed non prohibet secundum hoc igitur distinguendum est, quia passio quandoque quidem est tanta quod totaliter aufert usum rationis, sicut patet in his qui propter amorem vel iram insa«niunt; et tunc si talis passio a principio fuerit voluntaria, impu«tatur actus ad peccatum, quia est voluntarius in sua causa, sicut ⚫ etiam de ebrietate dictum est. Si vero causa non fuerit volun«taria, sed naturalis, puta cum aliquis ex ægritudine, vel aliqua hujusmodi causa incidit in talem passionem quæ totaliter aufert « usum rationis, actus omnino redditur involuntarius, et per conR sequens totaliter a peccato excusatur. Quandoque vero passio non « est tanta quod totaliter intercipiat usum rationis, et tunc ratio ⚫ potest passionem excludere divertendo ad alias cogitationes, vel impedire ne suum consequatur effectum, quia membra non applicantur operi nisi per consensum rationis; unde talis passio non totaliter excusat a peccato (1). »

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23. Mais si la concupiscence antécédente, quand elle n'est pas tellement forte qu'elle domine les facultés de notre âme, n'excuse pas entièrement du péché, elle en affaiblit au moins la malice, sans toutefois le rendre toujours véniel. « Si igitur accipitur passio « secundum quod præcedit actum peccati, sic necesse est quod diminuat peccatum.... in quantum minuit voluntarium (2). »

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Ce que nous disons de la passion qui nous porte au mal s'applique également au penchant qui nous porte au bien. Les actes qui en dépendent ne sont pas aussi louables, toutes choses égales d'ailleurs, que s'ils étaient faits par un choix tout à fait libre. « Si « bona passio præcedat judicium rationis, ut scilicet homo magis ex passione quam ex judicio rationis moveatur ad bene agendum, << talis passio diminuit bonitatem et laudem actus (3).

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24. Pour ce qui regarde la concupiscence appelée subséquente,

(1) Sum. part. 1. 2. quæst. 76. art. 7.- (2) Ibid. art. 6.

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