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222. Le péché même mortel n'exige pas nécessairement l'advertance actuelle de la malice de l'acte, pour le moment où l'on transgresse une loi. Car il peut arriver, comme il arrive en effet, qu'une action soit formellement mauvaise et imputable à péché, sans que celui qui en est l'auteur la reconnaisse présentement comme telle. Ce qui a lieu, quand on viole une loi par suite, ou d'une ignorance moralement vincible et coupable; ou d'une passion, d'une habitude volontaire dans sa cause; ou de l'inconsidération avec laquelle on se porte à un acte, malgré le doute ou le soupçon qu'on a sur la malice de cet acte, ou au moins sur le danger qu'il y a de faire une chose sans examiner si elle n'est point contraire à la loi. Par conséquent, l'advertance virtuelle, qui est suffisante pour le volontaire indirect, suffit par là même pour pécher même mortellement.

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223. Mais un péché ne peut être imputable qu'autant que l'advertance de la part de celui qui le commet est au moins virtuelle. L'advertance interprétative ne suffit pas pour le rendre formel. Ce sentiment nous paraît plus probable que le sentiment contraire, et nous pensons qu'on peut l'adopter dans la pratique. En effet, un acte ne nous est imputé qu'autant qu'il est directement ou indirectement volontaire. Or, pour qu'un péché soit indirectement volontaire, il est nécessaire que l'acte qui en est l'objet ait été prévu, saltem in confuso, comme le dit saint Alphonse de Liguori (1), ou, ce qui revient au même, que celui qui pose la cause ait quelque idée, une idée au moins confuse, et de la liaison qui se trouve entre cette cause et l'effet, et de la malice de l'effet qui doit probablement en résulter. Pour imputer à quelqu'un l'effet d'une cause, faut qu'une certaine connaissance actuelle de la malice de l'objet ait précédé, du moins dans le principe, de manière que, par suite du volontaire direct, l'effet devienne indirectement volontaire (2). D'ailleurs, l'advertan interprétative suppose, dans le système contraire, l'obligation et par là même la possibilité, pour celui qui agit, de remarquer la malice de l'acte et de ses suites. Mais comment la remarquer, si elle ne se présente pas à l'esprit ? Et comment s'y présentera-t-elle, s'il y a absence de toute advertance actuelle; si celui qui agit n'a pas même la pensée de l'obligation d'examiner ce qu'il fait ; s'il n'éprouve aucun doute, aucun soupçon, soit relativement à cette obligation, soit relativement au danger qu'il peut y avoir à poser telle ou telle cause? « Deficiente omni advertentia expressa, non est potentia (moralis et relativa) ad

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(1) S. Liguori, de Act. hum. no 10. — (2) S. Liguori, de Peccatis,

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vertendi, et ideo nec obligatio, cum, nulla obligatio liget, nisi « prius quodammodo agnoscatur (1). »

224. Concluons donc avec le même docteur que, pour pécher mortellement, il faut toujours être actuellement éclairé sur la malice de l'acte, ou sur le danger de pécher, ou sur l'obligation de s'enquérir de ce danger, à moins qu'on ne l'ait aperçu dans le principe, quand on a posé la cause de l'acte subséquent (2).

225. Le consentement libre de la volonté est également nécessaire pour le péché. Il n'y a pas de péché qui n'ait la volonté pour principe: « Voluntas est principium peccatorum,» dit saint Thomas (3). Mais il suffit que le consentement soit indirect, c'est-àdire que l'acte soit volontaire dans sa cause; ce qui a lieu quand celui qui agit prévoit, au moins confusément, les suites mauvaises de son action.

226. La volonté peut agir, relativement à l'objet qui lui est proposé par l'entendement, de trois manières différentes : 1o en consentant positivement au péché; 2° en résistant positivement; 3o en ne consentant ni ne résistant, mais en demeurant neutre, negative se habendo. Or, on pèche en consentant positivement; mais on ne pèche point en résistant, quand la résistance est positive et absolue. Quant à celui qui demeure neutre ou passif, sans résister ni consentir positivement aux mouvements de l'appétit sensuel vers un objet qui est matière pour le péché mortel, les uns prétendent qu'il pèche mortellement; d'autres pensent qu'il ne pèche pas; mais cette opinion est communément rejetée : suivant plusieurs docteurs, il pèche; mais son péché n'est que véniel, si d'ailleurs le danger du consentement n'est pas prochain. C'est le sentiment de saint Alphonse de Liguori (4).

227. Mais lorsqu'il s'agit de délectations charnelles, nous sommes obligés, sous peine de péché mortel, de résister positivement, parce que ces mouvements, quand ils sont violents, peuvent facilement entrainer le consentement de la volonté, si elle ne résiste pas positivement (5).

Cependant, il est des cas où il suffit de ne pas consentir à la tentation, aux mouvements charnels. Ainsi, par exemple, il vaut mieux les mépriser que de résister positivement, quand on sait par expé

(1) S. Liguori, de Peccatis, no 4.. de la campagne, des Péchés, no 1.. (4) De Peccatis, no 6. — (5) S. Liguori,

(2) Ibid., Guide du Confesseur des gens (3) Sum. part. 1. 2. quæst. 74. art. 1. ibid., no 7; Collet, de Peccatis, etc., etc.

rience que la résistance ne sert qu'à les exciter et à les rendre plus forts.

CHAPITRE II.

Des différentes Manières de commettre le Péché.

228. On peut commettre le péché par pensée, par désir, par parole, par action et par omission. « Peccatum, dit saint Augustin, « est dictum vel factum, vel concupitum contra legem Dei æter« nam (1). » Ce qui s'applique au péché d'omission comme au péché d'action; car celui qui omet de faire ce qu'il est obligé de faire fait par là même ce qu'il ne doit pas faire : « Pro eodem accipiendum est dictum et non dictum, factum et non factum (2). »

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229. Pour les péchés de pensée, on distingue la délectation morose, delectatio morosa; le désir, la joie ou la complaisance. La délectation regarde le temps présent; elle a lieu lorsque la personne se figure la consommation réelle du péché, et se délecte comme si elle l'exécutait. Une pensée ne devient moralement mauvaise que par le plaisir qu'on y prend et par le consentement qu'on y donne. Le plaisir ne suffit pas, il faut de plus qu'il y ait advertance et consentement de la volonté. Mais la délectation peut être criminelle, sans être accompagnée d'aucun désir. Si on l'appelle morose, ce n'est pas qu'il faille une longue durée pour en faire un péché, car un instant suffit; mais parce que la volonté s'arrête à une pensée mauvaise, immoratur, avec plaisir et de propos délibéré, avec consentement. Si la volonté va jusqu'au désir, il y a un péché de plus.

230. Il y a péché de désir, quand on souhaite de consommer l'acte qui est l'objet d'une pensée mauvaise. Ainsi le désir se porte vers l'avenir. Le désir est efficace ou inefficace : il est efficace, lorsqu'on prend les moyens propres à son exécution; il est inefficace, quand, sans se proposer de l'exécuter, on consent à son exécution pour le cas où elle serait possible. Exemple: Si je pouvais m'emparer des trésors de l'Église, je m'en emparerais. La joie

(1) Lib. xxi. contra Faustum, c. 27. — (2) S. Thomas, Sum. part. 1. 2. quæst. 71. art. 6.

ou la complaisance concerne le passé; il y a péché de complaisance de la part de celui qui se complaît dans le souvenir du mal qu'il a fait.

231. Le plaisir, la délectation qu'on éprouve à l'occasion des mauvaises pensées, n'est pas toujours un péché. En effet, il faut distinguer la délectation qui vient de l'acte mauvais, et la délectation qui vient de la pensée même de cet acte. La première est coupable, et même très-coupable en matière grave. La seconde, au contraire, ne peut être un péché que quand il y a danger prochain du consentement. Un médecin, par exemple, un confesseur, un avocat obligé par état de s'instruire des matières les plus délicates, peut lire tout ce qui lui est nécessaire à cette fin. Le plaisir, la délectation qu'il éprouve dans cette étude n'est point mauvaise, pourvu que la volonté résiste au mal qui se présente à son esprit (1).

232. De même, il peut arriver qu'on s'occupe avec plaisir de la manière singulière dont une chose se passe, sans se rendre coupable d'aucun péché, sans consentir au mal qu'elle renferme : ce qui arrive même aux personnes les plus timorées. Quoiqu'elles n'approuvent pas le fait, elles ne peuvent s'empêcher de s'amuser de certaines circonstances qui l'accompagnent. On apprend un larcin ; la manière dont il s'est fait est si fine et si adroite, qu'on entend et on en fait le récit avec plaisir, sans néanmoins approuver le tort fait au prochain, ni l'offense faite à Dieu. Un bon mot, quoique sur une matière délicate, échappe à quelqu'un; le ton avec lequel il est dit, la manière dont il est tourné, vous frappe et vous fait sourire. Ce plaisir que vous éprouvez, n'ayant point pour objet le mal, mais des circonstances étrangères à sa nature, est un plaisir excusable, et ne doit point se confondre avec la délectation morose (2).

233. Les péchés de pensée, de désir, de complaisance contractent-ils les différentes espèces de malices contenues dans l'objet ? Cela n'est point douteux pour ce qui concerne les péchés de désir ou de complaisance : « Nulli dubium committi adulterium quoties«< cumque habeatur gaudium seu complacentia de copula habita, « vel desiderium de copula habenda cum conjugata, quia tunc vo<«<luntas amplectitur totum objectum pravum cum omnibus suis « circumstantiis, nec ab illis præscindere potest, ideoque castitatem

(1) S. Liguori, de Peccatis, no 17; S. Thomas, Sum. part. 1. 2. quæst. 74. art. 8. (2) Ibid., no 18; les Conférences d'Angers, sur les Péchés, conf. v. quæst. 1; Collet, de Peccatis, part. 1. c. Iv. art. 2, etc., etc.

«< ct justitiam lædit. Item, si quis delectetur de copula sodomica. Item, si persona quæ delectatur sit voto castitatis obstricta; etiam «< contra votum peccat (1). ›

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234. En est-il de même de la simple délectation? Plusieurs docteurs l'affirment, plusieurs autres le nient. Suivant le sentiment de ces derniers : « Si quis delectatur de copula cum nupta, non qua nupta, sed qua muliere pulchra, non contrahit malitiam adulterii; circumstantia enim adulterii tunc non intrat in delectatio« nem; idcirco tantum castitas, non justitia læditur. » Saint Alphonse de Liguori regarde ce sentiment comme très-probable, raide probabilis; cependant il pense que, quoiqu'il n'y ait pas, à raison de la délectation, obligation de déclarer la circonstance de l'adultère, on doit, dans la pratique, faire connaître cette circonstance, à raison du danger très-prochain qu'entraîne la délectation (2).

235. Num licet sponsis et viduis delectari de copula futura vel præterita? Alii volunt hanc delectationem ipsis esse licitam, modo delectentur appetitu rationali, non autem carnali; quod in praxi vix admitti potest, cum delectatio carnalis ut plurimum rationali adnectatur. Alii autem verius dicunt, etiam secluso periculo delectationis sensitivæ, quamcumque delectationem voluntatis in sponsis et viduis de copula futura vel præterita esse illicitam. Idcirco hortandi sunt sponsi et vidui, ut sedulo a se avertant hujusmodi turpes cogitationes (3).

236. An conjugibus licet delectari de copula, si alter conjux sit absens? Negant alii, saltem quando delectatio habetur cum commotione spiritum; quia dicunt talem commotionem non esse conjugibus licitam, nisi ordinetur proxime ad copulam. Alii docent heitum, aut saltem non graviter illicitum esse conjugibus delectari, etiam carnaliter, de copula habita vel futura, modo tamen absit periculum pollutionis. Ratio est, quia, ut aiunt, status matrimonii hæc omnia licita reddit; alias status matrimonialis nimiis scrupulis esset obnoxius. Quidquid sit, moneat conjuges confessarius, in quantum prudentia suggerit, ne, alterutro absente, immorentur in cogitatione copulæ futuræ vel præteritæ, propter periculum pollutionis quod ex illa naturaliter oritur.

237. Pour ce qui regarde le péché de désir, on s'en rend coupable toutes les fois qu'on désire, purement et simplement, de faire une chose mauvaise, un acte contraire à la loi ; et le péché est plus

(1) S. Liguori, de Peccatis, no 15. — (2) Ibidem. — (3) Ibidem, no 24.

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