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ou moins grave, suivant la nature de l'objet. Mais parce que le désir peut être conditionnel, il faut distinguer. Dans les choses qui ne sont prohibées que par une loi positive, il est permis de désirer un objet mauvais, sous la condition qu'il ne soit point défendu, et que la possession en devienne légitime. Ainsi, celui-là ne pécherait pas, qui dirait: Je mangerais volontiers de la viande le vendredi, s'il n'y avait pas de loi qui le défendit; je ne me confesserais pas, si la confession n'était point commandée. Il en est de même à l'égard des choses défendues par la loi naturelle, lorsque la condition détruit la malice de l'objet. Celui qui, par exemple, dirait, Si Dieu me le permettait, je prendrais le cheval de Titius, ne pécherait pas, du moins mortellement. Toutefois, ces sortes de désirs ne sont pas toujours exempts de tout péché véniel; car communément ils sont dangereux, ou au moins oiseux : « Ordinarie hujusmodi desideria non excusantur a veniali, cum communiter << sint periculosa, aut saltem otiosa (1). »

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238. Mais il en serait autrement, si la condition ne détruisait point la malice de l'objet. Par exemple, si l'on disait: Je pécherais, s'il n'y avait pas d'enfer; je tuerais mon ennemi, si je pouvais le faire impunément; j'empoisonnerais un tel, s'il n'était pas prêtre; dans ces différents cas, on pécherait certainement; et le péché serait évidemment mortel. On pécherait encore en disant: Si ce n'était pas un péché, je blasphemerais, je mentirais; parce que le blasphème et le mensonge étant absolument et intrinsèquement mauvais, on ne peut par aucune supposition les séparer de leur malice.

239. Il n'est pas permis de se réjouir d'une chose essentiellement mauvaise, à cause des avantages qui en sont résultés, soit qu'il y ait eu, soit qu'il n'y ait pas eu péché dans l'action. Le pape Innocent XI a condamné la proposition suivante: « Licitum est filio gaudere de parricidio parentis a se in ebrietate perpetrato, propter ingentes « divitias inde ex hæreditate consecutas (2). »

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240. Cependant il est permis, absolument parlant, de se réjouir non de l'action mauvaise, mais de ses résultats, comme, par exemple, de l'acquisition d'un héritage par suite d'un homicide. « In « quocumque casu tamen licet, per se loquendo, cuique delectari ⚫ non de casu, sed de effecto secuto, nempe de exoneratione causata « a pollutione etiam voluntaria, vel de consecutione hæreditatis « ob homicidium, modo causa detestetur (3). » Mais ce plaisir, (1) S. Liguori, de Peccatis, no 13. —(2) Décret de l'an 1679.—(3) S. Liguori, de Peccatis, no 20.

cette joie qu'on éprouve dans les cas dont il s'agit, n'est pas toujours sans danger : « Hujusmodi delectationes aliquando non ca<< rent periculo (1). »

241. On ne doit point désirer le mal du prochain, ni se réjouir du mal qui lui arrive, à cause des avantages temporels qu'on peut en tirer. Le saint-siége a censuré les deux propositions suivantes : « Si cum debita moderatione facias, potes absque peccato mortali « de vita alicujus tristari, et de illius morte naturali gaudere, illam " inefficaci affectu petere et desiderare; non quidem ex displicentia « personæ, sed ob aliquod temporale emolumentum. - Licitum est << absoluto desiderio cupere mortem patris, non ut malum, sed ut «< bonum cupientis, quia nimirum ei obventura est pinguis hæreditas (2). » En effet, suivant l'ordre de la charité, nous devons préférer la vie du prochain aux avantages temporels que sa mort peut nous procurer. Mais s'il meurt, il nous sera permis de nous réjouir de l'héritage qui nous en reviendra, pourvu qu'on ne se réjouisse point de sa mort.

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242. Il est permis de désirer un mal temporel à quelqu'un, ou pour son plus grand bien, ou en faveur de l'innocent, ou pour le bien général de l'Église, de l'État : « Potest aliquis, dit saint Tho« mas, optare malum temporale alicui, et gaudere, si contingit; « non in quantum est malum illius, sed quantum est impedimentum « malorum alterius quem plus tenetur diligere, vel communitatis, « aut Ecclesiæ. Similiter de malo etiam ejus qui in malum tempo«rale incidit, secundum quod per malum pœnæ impeditur frequenter malum culpæ ejus (3). »

243. On pèche par parole, en tenant des discours contre la foi, contre la religion, la charité, la justice; en se permettant, par exemple, le blasphème, la médisance, la calomnie, le mensonge, le parjure. Les péchés de parole sont mortels, en matière grave, quand ils se commettent avec une pleine advertance.

244. Il y a péché d'action, quand on fait ce qui est défendu ; et péché d'omission, quand on ne fait pas ce qui est commandé. « Peccatum potest contingere, sive aliquis faciat quod non debet, sive non faciat quod debet (4). »

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Il ne peut y avoir péché d'omission sans qu'il y ait un acte de la volonté. L'omission doit donc être volontaire, mais elle peut

(1) S. Liguori, de Peccatis, no 20. — (2) Décret d'Innocent XI, de l'an 1679. • (3) In 3. Sentent. dist. 30. quæst. art. 1. — S. Liguori, de Peccatis, no 21. (4) S. Thomas, Sum. part. 1. 2. quæst. 71. art. 5.

l'être directement ou indirectement, en elle-même ou dans sa cause. Lorsqu'elle est volontaire dans sa cause, elle est imputable dès le moment que la cause a été posée. Ainsi, par exemple, celui qui s'enivre, prévoyant que l'ivresse lui fera manquer la messe, est obligé de confesser le péché d'omission auquel il a consenti, dans sa cause, quand bien même il arriverait qu'il pût entendre la messe, et qu'il l'entendit en effet.

245. Les actions qui accompagnent simplement l'omission d'un devoir sans y contribuer en rien, demeurent absolument étraugères à cette omission. Par conséquent, si elles ne sont point moralement mauvaises de leur nature, elles ne deviennent nullement répréhensibles pour avoir accompagné l'omission, et l'omission n'en est ni plus ni moins grave. Mais il n'en serait pas ainsi si elles étaient la cause ou le principe de l'omission. Celui, par exemple, qui omettrait la messe un jour de dimanche, pour aller à la chasse ou pour jouer, devrait se confesser non-seulement d'avoir omis la messe, mais d'avoir joué ou chassé pendant la messe, parce que le jeu ou la chasse, étant la cause d'une omission grave, est devenu pour lui un péché mortel (1).

246. Quand on transgresse une loi, par suite d'une erreur, d'une ignorance qui n'excuse pas entièrement du péché, ou en succombant à une forte tentation, le péché s'appelle péché de faiblesse. Si au contraire on se porte au mal sciemment, de soi-même, par le pur choix de la volonté, le péché est alors un péché de malice. Le péché de faiblesse n'est pas toujours véniel; il peut être mortel.

L'homme a des devoirs à remplir envers Dieu, envers le prochain et envers lui-même. De là, la distinction des péchés envers Dieu, envers le prochain et envers nous-mêmes. Toutefois, il ne peut y avoir de péché qui ne soit contre Dieu, puisqu'il n'y a pas de péché qui ne soit une transgression plus ou moins directe de quelque loi divine, naturelle ou positive.

(1) S. Liguori, de Peccatis, nos 9 et 10.

CHAPITRE III.

De la Distinction des Péchés.

247. Les péchés se distinguent les uns des autres ou par l'espèce qui leur est propre, ou par le nombre qui les multiplie : de là, comme s'exprime l'école, la distinction spécifique et la distinction numérique des péchés.

ARTICLE 1.

De la Distinction spécifique des Péchés.

248. En général, la différence spécifique des péchés se tire de la nature de l'acte moralement mauvais. L'hérésie, par exemple, le désespoir, le blasphème, la calomnie, le mensonge, sont évidemment des péchés d'espèces différentes. Deux vols au contraire, dont l'un est d'un franc, et l'autre de cent francs, sont deux péchés d'une seule et même espèce: le plus ou le moins ne change point la nature d'un acte.

249. Mais lorsqu'il s'agit de fixer d'une manière précise le principe de la diversité spécifique des péchés, les théologiens ne s'expliquent pas d'une manière uniforme, quoiqu'ils s'accordent, généralement, à nous donner comme spécifiquement distincts les péchés qui sont réellement d'espèce différente.

On reconnaît que les péchés diffèrent les uns des autres quant à l'espèce, premièrement, quand ils sont opposés à différentes vertus: ainsi, l'hérésie, le désespoir, le blasphème, sont des péchés distincts par l'espèce, parce qu'ils sont opposés à différentes vertus; savoir, l'hérésie à la foi, le désespoir à l'espérance, le blasphème à la religion. Secondement, quand ils sont opposés à différentes fonctions d'une même vertu. A ce titre, le vol et l'homicide, quoique opposés à une même vertu, à la vertu de justice, sont néanmoins des péchés d'une nature différente. Il en est de même de l'idolatrie, de la superstition, du blasphème et du sacrilége, qui sont autant de péchés spécifiquement distincts, étant contraires à différents offices de la vertu de religion. Troisièmement, quand ils sont opposés à une

même vertu, mais en sens contraire. C'est ainsi que le désespoir et la présomption, l'avarice et la prodigalité, forment différentes espèces de péché. Quatrièmement, les péchés sont encore distincts quant à l'espèce, quand ils sont opposés à une même vertu d'une manière différente, quoique non contraire: tels sont, relativement à la vertu de justice, le vol simple, furtum, et la rapine, rapina. 250. Il arrive assez souvent qu'un seul et même acte se trouve opposé à différentes vertus, et contienne plusieurs espèces de péchés. Ainsi, par exemple, celui qui, étant obligé par vœu de jeûner tous les vendredis de carême, vient à y manquer, pèche tout à la fois et contre la vertu de religion qui l'oblige d'observer son vœu, et contre la vertu de tempérance qui nous oblige particulièrement pendant ce saint temps. Il est donc important d'avoir égard aux différentes circonstances qui changent l'espèce du péché, ou qui, sans en changer l'espèce, en aggravent ou diminuent plus ou moins la malice.

251. Les circonstances changent l'espèce du péché, lorsqu'elles lui impriment un nouveau caractère de malice qu'il n'a pas par lui-même. C'est ainsi, par exemple, que la circonstance de la personne avec laquelle on commet le péché de fornication peut y ajouter, et y ajoute en effet la malice de l'injustice, si cette personne est mariée; ou celle de sacrilége, si elle est consacrée à Dieu. Les circonstances aggravantes sont celles qui, sans changer la nature ou l'espèce du péché, en rendent plus grave la malice. Le même vol, quoique plus grave à l'égard du pauvre qu'à l'égard du riche, peut cependant n'être qu'un simple vol.

252. Les différentes circonstances qui peuvent modifier la nature ou la malice du péché, sont renfermées dans le vers suivant :

Quis, quid, ubi, quibus auxiliis, cur, quomodo, quando?

Quis: ce terme signifie l'état, l'âge, la condition de la personne qui agit, les engagements particuliers qu'elle peut avoir contractés. En effet, il est des choses qui ne sont permises, prescrites ou défendues qu'à certaines personnes, qui ne sont interdites qu'à un certain âge.

Quid, exprime certaines qualités accessoires, qui différencient et caractérisent l'acte que l'on fait. On commet un vol; la chose volée est-elle une chose sacrée ou profane? Est-elle considérable, ou de peu de valeur?

Ubi est-ce dans un lieu sacré ou dans un lieu profane que le crime a été commis? Cette circonstance va quelquefois jusqu'à

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