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MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES.

DOCUMENTS DIPLOMATIQUES.

CONFÉRENCE INTERNATIONALE DE LA PAIX.

1899.

N° 1.

Le Comte MOURAVIEFF, Ministre des Affaires étrangères de Russie,

aux Représentants des Puissances accrédités à Saint-Pétersbourg.

Saint-Pétersbourg, 12/24 août 1898.

Le maintien de la paix générale et une réduction possible des armements excessifs qui pèsent sur toutes les nations se présentent, dans la situation actuelle du monde entier, comme l'idéal auquel devraient tendre les efforts de tous les Gouvernements.

Les vues humanitaires et magnanimes de Sa Majesté l'Empereur, mon Auguste Maître, y sont entièrement acquises.

Dans sa conviction que ce but élevé répond aux intérêts les plus essentiels et aux vœux légitimes de toutes les Puissances, le Gouvernement Impérial croit que le moment actuel serait très favorable à la recherche, dans les voies d'une discussion internationale, des moyens les plus efficaces d'assurer à tous les peuples les bienfaits d'une paix réelle et durable, et de mettre avant tout un terme au développement progressif des armements actuels.

Au cours des vingt dernières années, les aspirations à un apaisement général se sont particulièrement affirmées dans la conscience des nations civilisées. La conservation de la paix a été posée comme but de la politique internationale; c'est en son nom que les grands Etats ont conclu entre eux de puissantes alliances; c'est pour

Conférence de la Paix.

mieux garantir la paix qu'ils ont développé dans des proportions inconnues jusqu'ici leurs forces militaires et qu'ils continuent encore à les accroître, sans reculer devant aucun sacrifice.

Tous ces efforts, pourtant, n'ont pu aboutir encore aux résultats bienfaisants de la pacification souhaitée.

Les charges financières, suivant une marche ascendante, atteignent la prospérité publique dans sa source; les forces intellectuelles et physiques des peuples, le travail et le capital sont en majeure partie détournés de leur application naturelle et consumés improductivement. Des centaines de millions sont employés à acquérir des engins de destruction effroyables qui, considérés aujourd'hui comme le dernier mot de la science, sont destinés demain à perdre toute valeur à la suite de quelque nouvelle découverte dans ce domaine. La culture nationale, le progrès économique, la production des richesses se trouvent paralysés ou faussés dans leur développement.

Aussi, à mesure que s'accroissent les armements de chaque Puissance, répondentils de moins en moins au but que les Gouvernements s'étaient posé. Les crises économiques, dues en grande partie au régime des armements à outrance, et le danger continuel qui gît dans cet amoncellement du matériel de guerre, transforment la paix armée de nos jours en un fardeau écrasant que les peuples ont de plus en plus de peine à porter. Il paraît évident, dès lors, que, si cette situation se prolongeait, elle conduirait fatalement à ce cataclysme mème, qu'on tient à écarter et dont les horreurs font frémir à l'avance toute pensée humaine.

Mettre un terme à ces armements incessants et rechercher les moyens de prévenir les calamités qui menacent le monde entier, tel est le devoir suprème qui s'impose aujourd'hui à tous les États.

Pénétré de ce sentiment, Sa Majesté l'Empereur a daigné m'ordonner de proposer à tous les Gouvernements dont les Représentants sont accrédités près la Cour Impériale, la réunion d'une Conférence qui aurait à s'occuper de ce grave problème.

Cette Conférence serait, Dieu aidant, d'un heureux présage pour le siècle qui va s'ouvrir. Elle rassemblerait dans un puissant faisceau les efforts de tous les États qui cherchent sincèrement à faire triompher la grande conception de la paix universelle sur les éléments de trouble et de discorde. Elle cimenterait en même temps leur accord par une consécration solidaire des principes d'équité et de droit, sur lesquels reposent la sécurité des États et le bien-être des peuples.

Comte MOURAVIEFF.

N° 2.

Extrait du discours prononcé par M. DELCASSÉ, Ministre des Affaires étrangères, le 23 janvier 1899, à la Chambre des Députés.

Le 24 août, la circulaire écrite par le comte Mouravieff, sur les ordres de l'Empereur de Russie, s'imposait à l'attention du monde. L'impression fut profonde, et non moins vif l'étonnement. Cette aversion de la guerre, qui semble commune aux

masses populaires de tous les pays, ces aspirations vers la paix universelle, un peu vagues, mais d'autant plus séduisantes, que nourrissent un peu partout des esprits généreux, tous ces rêves dont on souriait hier, allaient-ils donc devenir une réalité ?

Et dans l'enthousiasme, j'allais dire dans l'irréflexion de la première heure, dépassant la pensée du Souverain, sensible avant tout aux charges militaires, le monde salua le désarmement général dans la proposition plus modeste, mais d'une portée considérable cependant, qui tend à mettre un terme à l'accroissement progressif des

armements.

Puis on se demanda quel accueil les Puissances feraient à l'invitation de la Russie. Et, par on ne sait quel privilège que nous n'avions pas recherché, ce sont les sentiments de la France surtout dont on se montra préoccupé, c'est la réponse du Gouvernement de la République qu'on s'efforça de pressentir, comme si d'elle seule dépendait le succès du projet impérial.

Est-il besoin de dire ici que les sympathies de la France étaient acquises d'avance à la proposition de l'Empereur Nicolas ? Elles lui étaient acquises, d'abord, parce que l'idée se recommande par elle-mème et qu'on ne peut que souhaiter de voir rendre inutiles ces inventions, ces perfectionnements des armements qui, adoptés par une Puissance, obligent aussitôt les autres, à coup de centaines de millions, à l'imitation ou à la surenchère.

Elles lui étaient acquises encore parce que le Souverain qui la soumet à l'examen du monde est le chef d'une grande nation alliée et amie avec laquelle, je puis le dire, jamais l'accord n'a été plus complet, jamais non plus les relations plus confiantes. Elles lui étaient acquises, enfin, parce que la France elle-même, à diverses époques de son histoire et jusqu'à la veille de la guerre d'où elle est sortie mutilée, a conçu et voulu exécuter le même dessein magnanime. Comme, d'autre part, elle savait la haute loyauté des intentions du Gouvernement Impérial, comme elle avait la certitude que, dans la Conférence projetée, on ne lui demanderait rien qui fùt de nature à la diminuer soit dans le présent, soit dans l'avenir, elle a tenu à donner, la première de toutes les grandes Puissances, son adhésion à la circulaire du comte Mouravieff; et ses représentants au futur congrès international travailleront de tout leur pouvoir à la réalisation de la proposition humanitaire dont l'Empereur Nicolas a pris la glorieuse initiative.

N° 3.

Le Comte MOURAVIEFF, Ministre des Affaires étrangères de Russie,

au Comte de MONTEBELLO, Ambassadeur de la République française à Saint-Pétersbourg.

Saint-Pétersbourg, 30 décembre 1898/11 janvier 1899.

Lorsqu'au mois d'août dernier mon Auguste Maître m'ordonnait de proposer aux

Gouvernements dont les représentants se trouvent accrédités à Saint-Pétersbourg la réunion d'une Conférence destinée à rechercher les moyens les plus efficaces d'assurer à tous les peuples les bienfaits d'une paix réelle et durable et de mettre avant tout un terme au développement progressif des armements actuels, rien ne semblait s'opposer à la réalisation plus ou moins prochaine de ce projet humanitaire.

L'accueil empressé fait à la démarche du Gouvernement Impérial par presque toutes les Puissances ne pouvait que justifier cette attente.

Appréciant hautement les termes sympathiques dans lesquels était conçue l'adhésion de la plupart des Gouvernements, le Cabinet impérial a pu recueillir en même temps avec une vive satisfaction les témoignages du plus chaleureux assentiment qui lui étaient adressés, et ne cessent de lui parvenir de la part de toutes les classes de la société de différents points du globe terrestre.

Malgré le grand courant d'opinion qui s'était produit en faveur des idées de pacification générale, l'horizon politique a sensiblement changé d'aspect en dernier lieu. Plusieurs Puissances ont procédé à des armements nouveaux, s'efforçant d'accroître encore leurs forces militaires, et, en présence de cette situation incertaine, on pouvait être amené à se demander si les Puissances jugeaient le moment actuel opportun à la discussion internationale des idées émises dans la circulaire du 12/24 août.

Espérant toutefois que les éléments de trouble qui agitent les sphères politiques feront bientôt place à des dispositions plus calmes et de nature à favoriser le succès de la Conférence projetée, le Gouvernement Impérial est, pour sa part, d'avis qu'il serait possible de procéder dès à présent à un échange préalable d'idées entre les Puissances dans le but :

a) De rechercher, sans retard, les moyens de mettre un terme à l'accroissement progressif des armements de terre et de mer- question dont la solution devient évidemment de plus en plus urgente en vue de l'extension nouvelle donnée à ces armements, et,

b) De préparer les voies à une discussion des questions se rapportant à la possibilité de prévenir les conflits armés par les moyens pacifiques dont peut disposer la diplomatie internationale.

Dans le cas où les Puissances jugeraient le moment actuel favorable à la réunion d'une Conférence sur ces bases, il serait certainement utile d'établir entre les Cabinets une entente au sujet du programme de ses travaux.

Les thèmes à soumettre à une discussion internationale au sein de la Conférence pourraient, en traits généraux, se résumer comme suit :

1° Entente stipulant la non augmentation, pour un terme à fixer, des effectifs actuels des forces armées de terre et de mer, ainsi que des budgets de guerre y afférents; étude préalable des voies dans lesquelles pourrait même se réaliser, dans l'avenir, une réduction des effectifs et des budgets ci-dessus mentionnés;

2o Interdiction de la mise en usage, dans les armées et les flottes, de nouvelles armes à feu quelconques et de nouveaux explosifs, aussi bien que de poudres plus puissantes que celles adoptées actuellement, tant pour les fusils que pour les canons; guerres de

3o Limitation de l'emploi dans les

campagne des explosifs d'une puis

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