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DEUXIÈME SOUS-COMMISSION.

I.

ADAPTATION À LA GUERRE MARITIME DES PRINCIPES DE LA CONVENTION DE GENÈVE.

Le programme russe contient le paragraphe suivant : 4° Compléments à apporter à la Convention de 1899 pour l'adaptation à la guerre maritime des principes de la Convention de Genève de 1864. Ce programme est du 3 avril 1906. H y a lieu de noter tout de suite que la Convention de Genève de 1864 a été l'objet d'une revision approfondie dans une Conférence qui s'est tenue peu de mois après et qui a abouti à une Convention nouvelle du 6 juillet 1906, signée déjà par plus de trente États. Sans doute, la Convention de 1864 n'a pas été modifiée dans ses traits essentiels, elle a été complétée, rendue plus claire et plus précise sur des points assez nombreux. La tâche qu'avait à remplir la Commission était donc de rechercher si, en profitant de la Convention de Genève de 1906, il y avait lieu de compléter la Convention de La Haye de 1899, en demeurant fidèle à l'esprit d'où elle avait procédé. Cette tâche a été singulièrement facilitée par un consciencieux travail de la Délégation allemande ayant pour but l'adaptation, à la Convention de 1899, des amendements et des extensions apportés à la Convention de 1864. De son côté, la Délégation française a soumis diverses propositions tendant à compléter la Convention de 1899.

On est tombé facilement d'accord qu'il fallait établir une Convention toute nouvelle dans laquelle on fondrait les dispositions maintenues et les dispositions nouvelles. Dans une pareille matière, il faut un texte clair, précis, facile à consulter par les intéressés, ce qui n'est pas le cas quand on doit combiner deux textes différents. La Convention de 1899 avait 14 articles, la Convention de 1907 en a 28; il n'y a pas à conclure de cette différence que de grands changements ont été apportés à l'œuvre de 1899, dont le caractère n'est en rien altéré par les additions qui ne peuvent soulever de difficultés sérieuses.

Les dispositions relatives aux bâtiments hospitaliers protégés, aux conditions de feur protection, aux signes qui les feront reconnaître, ont été maintenues, sauf sur un point, le seul où il y ait eu vraiment divergence dans la Commission. Il s'agit du cas d'un bâtiment hospitalier neutre venant apporter ses secours; il avait bien été question, en 1899, d'exiger que ce bâtiment se rangeât sous l'autorité directe de l'un des belligérants. Mais, après réflexion, il avait semblé qu'il y aurait quelque chose de contraire à l'idée de la neutralité dans le fait, pour un navire ayant une commission officielle, d'être incorporé dans la marine de l'un des belligérants et qu'il suffirait que l'action de ce navire fùt soumise au contrôle des belligérants dans les termes prévus par l'article 4. Le bâtiment neutre gardait donc son pavillon, qu'il accompagnait naturellement du pavillon de Genève. La nouvelle Convention de Genève, prévoyant le cas de sociétés de secours neutres apportant leur concours, décide que ces sociétés doivent se placer sous les ordres d'un belligérant dont elles arboreront le drapeau (Conv., art. 11 et 22). Fallait-il étendre, par analogie, cette disposition à

Deuxième Conférence de la Paix.

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la guerre maritime? L'affirmative a été admise par la majorité en ce sens que les bâtiments hospitaliers neutres doivent se placer sous la direction de l'un des belligérants (art. 3) et arborer au grand mât le pavillon national de ce belligérant (art. 5, alin. 4), tout en conservant, du reste, leur propre pavillon national. La minorité avait pensé qu'il n'y avait pas de raison décisive pour modifier en ce cas la solution de 1899, qui avait été adoptée en pleine connaissance de cause. Le navire hospitalier neutre qui opère en pleine mer a une autonomie que ne saurait avoir à ce degré une ambulance terrestre; de plus, le navire peut ne pas se proposer d'assister un belligérant plus que l'autre, mais se rendre à proximité des opérations navales et se tenir prêt à servir les deux belligérants. Nous continuons à penser que ces raisons étaient sérieuses et nous regrettons qu'elles n'aient pas prévalu.

Les articles 6, 7 et 8 ont été inspirés par la Convention de 1906; ils ne peuvent soulever de difficulté.

L'article 9 est nouveau dans son ensemble. Il règle la situation de bâtiments de commerce neutres, au dévouement desquels un belligérant fait appel pour recueillir et soigner des blessés ou des malades.

Les articles 10 et 11 reproduisent les articles 7 et 8 de 1899 avec de légères modifications inspirées par la Convention de 1906.

L'article 12 est nouveau, tout en posant une règle qui ne nous paraît pas nouvelle, mais conforme au droit commun de la guerre; il était bon de préciser pour éviter toute équivoque.

L'article 13 a été proposé par la Délégation française pour combler une lacune de la Convention de 1899 qu'a révélée la dernière guerre.

L'article 14 reproduit l'article de 1899.

L'article 15 n'est que la reproduction de l'article 10 de 1899 qui, pour des raisons spéciales, n'avait pas été ratifié; le rétablissement en a été admis sans difficulté sur la proposition de la Délégation française.

Les articles qui suivent reproduisent les articles de 1899 ou sont inspirés par la Convention de 1906. Nous appelons seulement l'attention sur les articles 20 et 21 que nous considérons comme très importants. Les dispositions les meilleures restent lettre morte, si l'on ne prend pas à l'avance les précautions nécessaires pour instruire ceux qui auront à les appliquer. Spécialement le personnel à bord des bâtiments hospitaliers aura souvent à remplir une mission très délicate. Il faut qu'il soit bien convaincu de la nécessité de ne pas profiter des immunités qui lui sont accordées pour commettre des actes de belligérance; ce serait la ruine de la Convention et de toute l'œuvre humanitaire des deux Conférences de la Paix. Il y a là un devoir supérieur qui s'impose aux Gouvernements, comme il leur appartient de prendre les mesures nécessaires pour réprimer, en temps de guerre, les actes individuels de pillage et de mauvais traitements envers des blessés et malades des marines, ainsi que pour punir, comme usurpation d'insignes militaires, l'usage abusif des signes distinctifs de la Croix-Rouge. Nous sommes convaincus que les Gouvernements tiendront à honneur de s'associer aux sentiments élevés qui ont guidé la Conférence de la Paix.

Nous croyons pouvoir affirmer que cette revision de la Convention de 1899 a été une œuvre utile, qui ne peut soulever aucune objection sérieuse.

II.

autres.. "

DROITS ET Devoirs des PUISSANCES NEUTRES EN CAS DE GUERRE MARITIME. Le Programme russe mentionne « les droits et devoirs des neutres sur mer », entre régime auquel seraient soumis les bâtiments des belligérants dans les ports neutres ». La circulaire du Gouvernement des États-Unis, en date du 21 octobre 1904, mentionnait spécialement «< la question du traitement que doivent recevoir les navires belligérants réfugiés dans les ports neutres, à raison de l'importance qu'elle a prise à notre époque

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Quatre propositions furent soumises à la Commission : celles du Japon, de l'Espagne et de la Russie se bornaient à la situation des bâtiments belligérants dans les ports ou les eaux neutres; celle de la Grande-Bretagne avait une portée plus large et traitait des droits et devoirs des États neutres dans la guerre maritime en général. C'est à ce dernier point de vue que s'est placée la Commission, en mettant ainsi ses travaux en corrélation avec ceux de la deuxième Commission qui, comme on l'a vu plus haut, s'est occupée des droits et devoirs des Puissances neutres dans la guerre sur terre. Les questions ainsi soulevées présentaient de grandes difficultés à raison de la profonde divergence des idées et des intérêts. Elles ont été étudiées avec beaucoup de soin sous l'habile présidence du comte Tornielli. Après un échange de vues provoqué par un questionnaire que M. Renault avait été chargé d'établir, un Comité d'examen fut constitué et consacra 13 séances à l'élaboration d'un projet que M. Renault fut également chargé de présenter à la Commission avec un rapport. L'ensemble fut adopté par la Commission d'abord, par la Conférence ensuite. Des réserves furent faites par plusieurs Puissances sur des points importants et il ne pouvait guère en être autrement; nous pensons néanmoins qu'il y a là un travail d'une grande importance, sur un sujet non encore traité avec cette ampleur. Des règles précises sont adoptées déjà par un assez grand nombre d'États. Le terrain des difficultés et des incertitudes

est notablement circonscrit.

Nous allons exposer dans son ensemble l'œuvre de la Conférence en cette matière délicate.

La nécessité d'une réglementation précise, ayant pour but d'écarter des difficultés et mème des conflits dans cette partie du droit de la neutralité, a été affirmée de tous les côtés. Ce n'étaient pas seulement des considérations théoriques, mais des expériences récentes qui la faisaient ressortir de la manière la plus saisissante. L'accord sur le but ne supprime pas la divergence sur les moyens de l'atteindre. Les uns fermeraient volontiers les ports neutres aux navires de guerre des belligérants ou ne les ouvriraient que sous les conditions les plus restrictives; les autres laisseraient la plus grande liberté aux États neutres dont la souveraineté ne peut être altérée par les intérêts des belligérants. Il va sans dire que cette différence des points de vue ne dérive pas seulement de conceptions théoriques, mais d'intérêts politiques comme de la situation géographique, ce qui rend la conciliation particulièrement difficile. La Délégation française s'est appliquée à amener un rapprochement sur le plus grand nombre de points.

A certains égards, la Convention ne fait que constater et préciser des règles déjà

généralement acceptées, dont la rédaction seule a soulevé des discussions, dans le détail desquelles il serait tout à fait inutile d'entrer ici; il suffit de renvoyer aux explications du rapport. Nous pouvons citer dans cet ordre d'idées les dispositions

des articles 1 à 11.

Nous n'insisterons que sur les deux questions, autour desquelles a gravité tout le débat.

1o Durée du séjour des bâtiments de guerre belligérants dans les ports neutres.

La Commission s'est trouvée en présence de deux propositions extrèmes : il appartient à l'État neutre de fixer le délai du séjour; les navires de guerre des belligérants ne peuvent séjourner dans les ports neutres plus de 24 heures. Le Président de la Commission présenta une proposition tenant compte des deux systèmes : elle affirmait le droit de l'Etat neutre de fixer la durée du séjour, mais, au cas où ce droit n'aurait pas été exercé par lui, cette durée serait de 24 heures. Les Délégations qui avaient proposé le délai unique de 24 heures se sont ralliées à cet amendement qui a, d'autre part, été vivement combattu. On a aussi proposé de distinguer suivant que les ports neutres sont plus ou moins éloignés du théâtre de la guerre : un délai fixe pourrait être admis les pour ports situés à proximité immédiate de ce théâtre et aucune durée ne serait fixée pour les dans cette situation. A ce sysports n'étant pas tème on a naturellement objecté la difficulté qu'il y aurait à définir exactement les limites du théâtre de la guerre, et la responsabilité très lourde qui pourrait en résulter pour les neutres. La discussion a été longue; les Délégations d'Allemagne, de Grande-Bretagne, du Japon et de Russie y ont surtout pris part. Finalement, un assez grand nombre d'États (trente) ont adopté la formule suivante : « A défaut d'autres dispositions spéciales de la législation de la Puissance neutre, il est interdit aux « navires de guerre des belligérants de demeurer dans les ports et rades ou dans les « eaux territoriales de ladite Puissance pendant plus de 24 heures, sauf dans les cas prévus par la présente Convention (art. 12) ». La durée du séjour peut donc être prolongée dans certains cas exceptionnels. On est bien d'accord sur le principe, mais non sur les exceptions mêmes et leur portée; il y a là des difficultés d'ordre relativement secondaire, pour lesquelles il suffit de renvoyer à l'article 14.

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Pour le nombre des navires de guerre d'un belligérant qui peuvent se trouver simultanément dans un port neutre, le système qui a prévalu est analogue à celui qui avait été admis pour la durée du séjour. C'est à la législation de la Puissance neutre à fixer le nombre; si elle ne l'a pas fixé, le nombre maximum sera de trois (art. 15). La présence simultanée de navires de guerre des deux belligérants dans un port neutre a, depuis longtemps, donné lieu à la règle dite des 24 heures; on a essayé de la préciser en déterminant l'ordre des départs entre lesquels doit s'écouler ce délai (art. 16).

On a réglé sans trop de difficulté la mesure dans laquelle des navires de guerre belligérants pouvaient réparer leurs avaries dans un port neutre (art. 17). On a interdit l'emploi des ports, rades et eaux territoriales neutres pour le renouvellement ou l'augmentation des approvisionnements militaires, de l'armement des navires de belligérants ainsi que pour le complément de leurs équipages (art. 18 ̧.

guerre

Nous arrivons ainsi à la question qui, avec celle de la durée du séjour, est la plus importante de la matière.

2o Dans quelle mesure les navires de guerre des belligérants peuvent-ils s'approvisionner de vivres et de combustible dans les ports neutres?

Le débat n'a, en réalité, porté que sur le charbon, ou mieux sur le combustible, puisque le charbon n'est plus le seul combustible employé. Il a une importance capitale, puisque, suivant une expression saisissante, si un homme sans vivres est un cadavre, un navire sans charbon est une épave. On s'est encore trouvé là en présence de deux systèmes très différents : le système de liberté absolue et le système d'origine britannique, qui ne permet à un navire belligérant de prendre que ce qui lui est nécessaire pour aller au port national le plus proche. Il y a eu des propositions intermédiaires assez variées; un Comité composé de marins n'a pu arriver à une solution

unanime.

Après de très longues discussions, la majorité du Comité d'examen avait adopté une disposition ainsi rédigée :

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« Les navires de guerre belligérants ne peuvent se ravitailler dans les ports et «rades neutres que pour compléter leur approvisionnement normal du temps de paix.

« Ces navires ne peuvent, de même, prendre du combustible que pour gagner le "port le plus proche de leur propre pays. Ils peuvent, d'ailleurs, prendre le com«bustible nécessaire pour compléter le plein de leurs soutes proprement dites, quand « ils se trouvent dans les pays neutres qui ont adopté ce mode de détermination du «combustible à fournir. »

Le projet contenait, en outre, la phrase suivante : « Le ravitaillement et la prise « de combustible ne donnent pas droit à prolonger la durée légale du séjour. » Dans la séance de la Commission, la Délégation de Russie proposa la suppression de cette phrase qui, suivant elle, pouvait mettre la puissance neutre dans une situation difficile, si le navire belligérant n'avait pas eu le temps d'opérer, dans le délai légal, le chargement de charbon qui lui avait été accordé.

D'après le premier délégué du Japon, la proposition conduisait à une équivoque, parce qu'on pouvait se demander si l'article 19 était un des cas prévus par la dernière phrase de l'article 12; on introduisait ainsi dans cet article un élément d'incertitude, qui serait de nature à en changer complètement le caractère. Quoi qu'il en soit, l'amendement a été voté.

Une question, liée à la précédente, est celle de savoir si un navire belligérant qui a pris du combustible dans un port neutre peut, à bref délai, revenir en prendre dans le mème port ou dans un port rapproché du même pays; s'il en était ainsi, on comprend que l'on puisse dire que le port neutre servirait vraiment de base d'opération. La disposition qui a fini par être adoptée est la suivante: «Les navires de « guerre belligérants qui ont pris du combustible dans le port d'une puissance neutre, « ne peuvent renouveler leur approvisionnement qu'après trois mois dans un port de « la mème puissance (art. 20). La disposition a été empruntée à la pratique britannique.

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