Page images
PDF
EPUB

1

Puisqu'on ne peut s'en flatter, il faut donc convenir que, si le divorce étoit déshonorant, ¶ il seroit en quelque sorte exclu 6 (1).

A l'égard des causes qu'il peut être dangereux de révéler, la loi ne compose pas avec le crime, lorsqu'elle offre à l'époux malheureux un moyen de les taire.

Dans quel code trouve-t-on que la loi force une personne outragée, assassinée, à porter sa plainte devant les Tribunaux! Quelle est la religion qui a défendu de faire remise d'une offense personnelle, ou de se contenter d'une réparation qui met à couvert une victime sans exposer la tête du coupable? Et si le coupable est un époux, un fils, un père, existe-t-il, dans le monde entier, une législation assez barbare, pour forcer le père, le fils, l'époux à se traîner mutuellement sur l'échafaud, parce que la loi leur aura interdit tout moyen de pourvoir autrement à leur sûreté ?

« Sans doute, un crime donne lieu à une action publique et à une action particulière. Que l'action publique ait son cours, lorsque le crime a éclaté; voilà ce qu'exige l'ordre social: que la personne attaquée puisse remettre son injure, qu'elle

ait le droit de couvrir d'un voile épais l'offense

(1) Le Premier Consul, Procès-verbal du 14 vendémiaire an 10 tome Ier , page 306.

la morale

qui lui fut personnelle; voilà ce que avoue, ce que l'intérêt social n'a jamais défendu.

« Dira-t-on qu'il est beau de remettre entièrement son injure, mais qu'il ne doit pas être permis à la personne capable de cet acte de générosité de se précautionner pour l'avenir; que la morale ne lui laisse d'autre ressource, pour préserver ses jours, que celle de faire tomber la tête du coupable, parce que se taire dans de pareilles circonstances, c'est composer avec le crime!

[ocr errors]

Non, cette morale de sang ne fut jamais celle d'aucun peuple: elle ne sera jamais la nôtre. L'action publique sera exercée dans toute sa rigueur, lorsque le crime sera connu; mais la loi ne forcera jamais une victime à rendre plainte; jamais elle ne regardera comme complice, comme composant avec le crime, celui qui sera capable d'un pardon généreux; jamais il n'existera d'opposition pareille entre les règles de notre droit et celles de la morale. Il y a plus, ce pardon généreux est peut-être un devoir sacré pour les époux ; et elle seroit atroce la loi qui empêcheroit, qui ne faciliteroit même pas la pratique de ce devoir » (1).

Restoit à décider si ces considérations devoient faire admettre le divorce pour causes indéterminées.

(1) Discours de M. Treeilhard, tome 1o, pages 505 et 506.

Tome IV

13

NUMÉRO II.

Le Divorce pour causes indéterminées devoit étre rejeté, malgré les avantages qu'il présentoit.

QUOIQUE Ce mode de divorce fût un moyen infaillible d'assurer l'effet des deux règles dont on ne pouvoit pas s'écarter, des considérations puissantes obligeoient de le rejeter, et de chercher à obtenir le même résultat par des moyens moins dangereux.

Au dehors, ce mode de divorce étoit repoussé par l'opinion, et n'étoit pas exigé par l'etat de

nos mœurs.

Considéré en lui-même, il reposoit sur de fausses bases; il étoit facile d'en abuser : il entraînoit de graves inconvéniens; et, ces inconvéniens, rien ne pouvoit les corriger.

1re CONSIDÉRATION. Il étoit repoussé par l'opinion, et n'étoit pas exigé par l'état de nos mœurs.

I. CE mode de divorce avoit contre lui l'opinion des anciens, l'opinion des peuples modernes qui admettent le divorce, l'opinion publique de la France.

Et d'abord, quelle étoit l'opinion des anciens? On a été trop loin, quand on a dit que « la cause d'incompatibilité, alléguée par l'une des

parties, n'a été admise chez aucun peuple » (1). Voici l'histoire du divorce:

<< Dans le principe, le divorce n'étoit qu'une répudiation de la femme par le mari; c'étoit l'abus de la force contre la foiblesse. On crut, dans la suite, qu'il étoit injuste de rendre si dure la condition de la femme, et on lui donna également le droit considérable de répudier son mari. On se trompa peut-être. Hors de la civilisation, et en l'absence des lois publiques, la loi de famille est la seule gardienne de l'ordre et des mœurs. Au surplus, le contrat de mariage, comme tous les autres contrats, ne pouvoit être rompu sans cause; et, dans les mœurs sauvages d'alors, cette cause étoit presque toujours la violence.

сс

on

Après que les mœurs se furent adoucies, le divorce fut admis, même sans cause, mais sous la condition que le mari qui en useroit, donneroit à la femme répudiée la moitié de ses biens, et consacreroit l'autre moitié à la religion doit à cette condition, de n'avoir point vu de divorce chez les Romains pendant l'espace de cinq siècles. La cause de leur relenue étoit dans leurs lois et non dans leurs mœurs; car, dans tous les siècles, les hommes se sont dirigés par leur intérêt. En effet, il est très-ordinaire de se

(1) M. Maleville, Procès-verbal du 14 vendémiaire an 10, tome Ier, page 310.

tromper lorsqu'on parle des mœurs des nations; c'est à tort qu'on suppose que les mœurs sont moins corrompues dans un siècle que dans un autre, chez un peuple que chez un autre; les passions étant les mêmes chez tous les hommes, elles ont toujours les mêmes résultats. La différence qu'on suppose entre les moeurs, n'est jamais qu'entre les manières. Cependant, chez les Romains, l'autorité des exemples finit par ruiner la loi qui gênoit les divorces. Une autre cause encore contribua à les rendre plus fréquens, ce fut la distinction qu'on établit entre les diverses espèces de mariages. Tant qu'on ne connut à Rome que le mariage solennel, l'union conjugale fut sévèrement respectée quand on eut introduit l'usage du mariage moins solennel, formé par la seule possession entre les personnes qui vivoient ensemble, la législation se relâcha de sa première austérité, et admit le divorce par consentement mutuel, comme pour les causes les plus graves,

«La religion chrétienne survint, et influa sur la matière. Justinien, pour se rapprocher des préceptes religieux, défendit le divorce par consentement mutuel, et ne le permit que pour les causes les plus importantes. Depuis, ses successeurs ont changé cette jurisprudence, et le droit a continué de varier » (1).

(1) M. Portalis, Procès-verbal du 14 vendémiaire an 10, tome 1o, pages 299 et 305.

« PreviousContinue »