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époux de rompre le mariage sans cause prouvée, seroit une tyrannie » (1).

On sent, au surplus, que ces objections ne portoient que sur l'incompatibilité seulement alléguée par l'un des époux, et non sur l'incompatibilité qui, quoiqu'alléguée par un seul, seroitcependant prouvée. C'étoit le divorce sur simple allégation d'incompatibilité qu'on proposoit de proscrire absolument ↓ (2) ; ¶ c'étoit l'al- ̧ légation non fondée sur des faits, qui n'est plus que le résultat du caprice, et qu'on ne pourroit. admettre sans se jouer du mariage, le plus saint des contrats (3);« car ce seroit donner à chacun. des époux le funeste droit de le dissoudre à son gré » (4).

Ainsi ces deux raisons, que « le mariage n'auroit plus de stabilité s'il ne devoit subsister que jusqu'au moment où les époux changent d'inclination et d'humeur, et qu'un contrat formé par le concours de deux volontés, ne peut être rompu par la volonté d'un seul des contractans >> (5), I devoient faire écarter sans retour le divorce sur allégation d'incompatibilité (6).

II. Mais les mêmes objections pouvoient

(1) M. Emmery, Procès-verbal du 14 vendémiaire an 10, tøme Ioo, pages 313 et 313.-(2) M. Tronchet, ibid., page 305.— (3) Le Ministre de la justice, ibid., page 312.-(4) Discours préliminaire du Projet de Code civil, p.xxxiv.—(5) Le Premier Consul, Procèsverbal du 16 vendémiaire an Io, tome 1er, page 327. —(6) Ibid,

elles être opposées au divorce mutuellement conşenti?

Sans doute que l'incompatibilité réciproque, attestéepar le consentement mutuel, avoit du moins l'avantage de ne dissoudre le mariage que par le concours des volontés qui l'avoient formé; et que, sous ce rapport, il étoit moins odieux que la répudiation qu'opéroit le divorce sur simple allégation d'incompatibilité de la part d'un seul ↓ (1).

Maison vient de voir que « le contrat de mariage n'appartient pas aux époux: il ne peut donc être détruit par eux : les enfans, la société, y sont parties intéressées » (2).

D'ailleurs, quand on pourroit suivre ici les règles des engagemens ordinaires, ¶ ce ne seroit pas par la seule raison qu'un contrat formé par la volonté de deux ne peut être résolu par la volonté d'un seul, que la cause d'incompatibilité devroit être rejetee; d'autres raisons non moins puissantes la repoussent (5); ces raisons ont été exposées *.

Il ne faudroit donc pas se laisser entraîner ¶ par l'analogie qui conduiroit à dire que, si le divorce

(1) M. Portalis, Procès-verbal du 16 vendémiaire an 10, tome Ier, page 329.—(2) M. Bigot-Préameneu, Frocès-verbal du 14 vendémiaire an 10, page 313.—(3) M. Tronchet, Procès-verbal du 16 vendémiaire an Io, page 322.

Voyez pages 194 et suiv.

par incompatibilité blesse la loi des contrats, ce même obstacle ne se rencontre pas dans le divorce par consentement mutuel (1).

Au surplus, « ce mode de divorce est contraire à la stabilité du mariage et aux mœurs «< (2); car ¶ le caprice, le dégoût, l'inconstance peuvent y déterminer les époux (3).

2o Inconvénient. Les Injustices. De cette extrême facilité que donne le divorce pour causes indéterminées de rompre le mariage sans causes réelles, résulteroient de grandes injustices.

Si l'on admet la cause d'incompatibilité, «< toujours l'un des époux sera sacrifié. Une femme veut se séparer d'un époux qui lui déplaît, elle alléguera l'incompatibilité d'humeur; et malgré toutes les protestations que fera le mari de la compatibilité de son caractère, de sa bonne conduite et de sa douceur, le divorce sera prononcé et le mariage dissous. Il en sera de même lorsque le mari, par inconstance ou pour former de nouveaux liens, voudra se débarrasser de sa femme : une incompatibilité qui n'a jamais existé sera invoquée avec succès » (4).

(1) M. Tronchet, Procès-verbal du 16 vendémiaire an 10, tome jer, page 322. (2) M. Tronchet, Procès-verbal du 24 vendémiaire an 10, page 345.—(3) M. Tronchet, Procès-verbal du 16 vendémiaire an 10, page 323. - ·(4) Le Ministre de la justice, Proces verbal du 14 vendémaire an 10, page 312.

Tome IV.

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Quant au consentement mutuel, il aura à-peuprès les mêmes suites; car ¶ il reproduit indirectement la cause d'incompatibilité ↓ (1).

En effet, « on est frappé de l'idée que, librement donné, il est l'indice le plus certain que les époux n'étoient pas faits l'un pour l'autre » (2).

Mais, « c'est une erreur de croire que le consentement mutuel sera libre; il sera toujours forcé de l'un des deux côtés. L'époux qui voudra arriver au divorce, aura toujours une foule de moyens de rendre la vie insupportable à l'autre, ou il emploiera les menaces pour déterminer un consentement que l'autre époux refuseroit s'il pouvoit le refuser sans danger* (3).

Donc, dans la réalité, le mariage se trouvera très-souvent dissous par la volonté d'un seul.

3e Inconvénient. Les dissentions entre les Époux. L'effet naturel de la facilité du divorcé est d'amener des discordes entre les époux : plus de sévérité les éloigne.

Ces maximes sont le résultat de l'expérience.

Dans l'ancienne législation, on ne connoissoit

(1) M. Tronchet, Procès-verbal du 16 vendémiaire an 10, tome Jer, `, page 323. — (2) Ibid. — (3) Ibid.

* Ce reproche ne peut pas s'appliquer au divorce ment mutuel, tel qu'il est organisé par l'article 233;

par consente

car la volonté

des époux ne suffit pas pour opérer la dissolution du mariage.

pas le divorce pour causes indéterminées, et l'on ne prononçoit la séparation de corps que pour des cas graves; et cependant, dans ce système, les époux n'en étoient pas plus malheureux : la patience étouffoit les premiers germes de division; l'idée que le mariage étoit indissoluble accoutumoit insensiblement un époux à l'autre, et finissoit par en faire des époux unis. Depuis qu'il y a plus de facilité pourse quitter, les divorces sont devenus innombrables (1).

Cette observation est très-importante. «< Dans les questions de morale où l'on ne peut rien dé montrer, où il n'y a point de règles certaines pour discerner la vérité, il est fort aisé de faire des raisonnemens séduisans, quelque parti que l'on embrasse, et tous ces raisonnemens se réduisent à ceci : telle chose vous paroît probable, et à moi, non. Mais il y a un moyen plus sûr que les raisonnemens pour découvrir cette vérité si difficile à démêler, c'est l'expérience.

<< Or, pourquoi, à Rome, quand les divorces étoient si communs, fut-on obligé de faire des lois pour forcer les citoyens à se marier? Pourquoi l'Angleterre, après avoir autorisé le divorce pour cinq causes, l'a-t-elle réduit au seul adultère? Pourquoi, depuis que nous avons le divorce, y

(1) Le Ministre de la justice, Procès-verbal du 14 vendémiaire tome Ier, page 312.

an IO,

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