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caractère anglo-batave. Les États Généraux l'appelaient <«< leur barrière », en se plaçant à la vérité à un point de vue assez exclusif. Ce point de vue les avait même conduits à revendiquer une barrière semblable en Allemagne. L'Autriche subissait plutôt qu'elle n'acceptait ces garnisons installées chez elle par l'étranger, et qui pouvaient se tourner contre elle.

La barrière de 1815 se rattachait d'une manière plus générale à l'organisation de l'Europe. C'était l'Europe qui l'élevait à ses frais, en vue de son repos et d'un renforcement d'équilibre jugé nécessaire.

Sur un point cependant, les deux barrières présentaient un même caractère elles étaient manifestement dirigées, sans réciprocité, contre une puissance, la même, celle dont les débordements avaient itérativement menacé l'équilibre européen. C'était une barrière d'antagonisme, dont l'hostilité était encore relevée par le choix de celui qui était appelé à la faire manoeuvrer. C'était moins un verrou de sûreté confié à la loyauté d'un État qu'une arme chargée dirigée vers une nation, et dont la détente était presque autant entre les mains des puissances du Nord que dans celles du royaume des Pays-Bas.

Les Pays-Bas se trouvaient en effet soumis à l'égard de ces puissances -- ostensiblement en une certaine mesure, secrètement en une mesure bien plus large encore,— dans un rapport de subordination analogue à celui qui avait existé antérieurement entre la Belgique et la Hollande. Au nom de la sécurité générale, les puissances, par l'organisation du système défensif, par l'inspection des forteresses, par la clause secrète dont nous parlerons bientôt et qui impliquait accidentellement droit de garnison, avaient porté de graves atteintes à l'indépendance du nouvel État. Et il n'avait pas dépendu de certaines

d'entre elles que ces atteintes ne fussent plus graves et plus apparentes encore (1). Là était, au point de vue de l'avenir, le danger, le vice externe et international de la, création nouvelle, que des perturbations internes devaient d'ailleurs miner et dissoudre avant qu'elle eût fourni les épreuves européennes décisives.

L'Angleterre, qui avait joué un rôle éminent dans la coalition, trouvait son compte dans cette organisation : elle faisait de la Hollande une puissance continentale prête à l'assister dans le rôle onéreux qu'elle avait souvent dû assumer avec grande difficulté dans la politique européenne. Et elle avait trouvé le moyen, comme nous l'avons dit, d'obtenir en possessions coloniales quelque contre-valeur de l'accroissement de territoire et des autres avantages concédés au nouveau royaume.

La France, réduite à l'impuissance et exposée aux pires combinaisons, paraissait devoir accepter la situation nouvelle. Ce que redoutait surtout l'esprit pénétrant du prince de Talleyrand, c'était le contact immédiat de la Prusse. A ce point de vue, l'on pouvait considérer la création du royaume des Pays-Bas comme une combinaison moins dommageable que d'autres projets.

L'Autriche, qui avait titre autorisé pour revendiquer les Pays-Bas et pour laquelle les Belges montraient cet. attachement persévérant qui était un honneur pour le Gouvernement et pour les sujets, avait concentré ses vues sur d'autres annexes territoriales. Elle avait éprouvé les inconvénients de cette possession continentale riche et belle, mais d'une protection difficile, d'une turbulence incessante dès qu'on touchait aux éléments de sa vie

(1; Sur le résultat des négociations du général Müffling, voy. H. VON TREITSCHE, Deutsche Geschichte im XIX. Jahrhundert, t. II, p. 472.

propre et traditionnelle, et qui, trop à la merci de tout le monde et trop peu à la portée de ses souverains, pouvait être à chaque instant une source d'embarras.

La Prusse, qui obtenait avec une partie de la Saxe et les provinces rhénanes quelques assises de son édifice, trouvait, dans le royaume nouveau, une avant-garde contre la France et une arrière-garde contre les entreprises de puissances plus septentrionales.

Les États du Nord considérés collectivement trouvaient un remarquable renforcement de leur barrière générale contre la France dans cet État trop faible pour viser à des conquêtes, assez fort pour arrêter les premiers mouvements d'un voisin puissant et attendre, en faisant front à l'ennemi, le secours de ses alliés; puissance intéressée à sa propre défense comme au maintien de la paix générale, et pouvant constituer, au sein de l'équilibre européen, un élément conservateur et pacifique.

5. Le fonctionnement de la Barrière.

Quelques mois après le Congrès de Vienne, les trois monarques de Russie, d'Autriche et de Prusse concluaient le traité de la Sainte-Alliance du 26 septembre 1815, auquel la France devait adhérer le 19 novembre. La Sainte-Alliance ne fut officiellement publiée qu'en février 1816, et le roi des Pays-Bas adhéra le 26 juillet de cette même année à ce pacte dont voici la teneur :

Leurs Majestés l'Empereur d'Autriche, le Roi de Prusse et l'Empereur de Russie, par suite des grands événemens qui ont signalé en Europe le cours des trois dernières années, et principalement des bienfaits qu'il a plu à la divine Providence de répandre sur les États dont les gouvernemens ont placé leur confiance et leur espoir en elle seule, ayant acquis la conviction intime, qu'il est nécessaire d'asseoir la

marche à adopter par les puissances dans leurs rapports mutuels sur les vérités sublimes que nous enseigne l'éternelle religion du Dieu sauveur :

Déclarent solennellement que le présent acte n'a pour objet que de manifester à la face de l'Univers leur détermination inébranlable, de ne prendre pour règle de leur conduite, soit dans l'administration de leurs Etats respectifs, soit dans leurs relations politiques avec tout autre gouvernement, que les préceptes de cette religion sainte, préceptes de justice, de charité et de paix qui, loin d'être uniquement applicables à la vie privée, doivent au contraire influer directement sur les résolutions des princes, et guider toutes leurs démarches, comme étant le seul moyen de consolider les institutions humaines et de remédier à leurs imperfections.

En conséquence, Leurs Majestés sont convenues des articles suivans :

ARTICLE PREMIER. Conformément aux paroles des saintes Ecritures, qui ordonnent à tous les hommes de se regarder comme frères, les trois monarques contractants demeureront unis par les liens d'une fraternité véritable et indissoluble, et se considérant comme compatriotes, ils se prêteront en toute occasion et en tout lieu assistance, aide et secours; se regardant envers leurs sujets et armées comme pères de famille, ils les dirigeront dans le même esprit de fraternité, dont ils sont animés pour protéger la religion, la paix et la justice.

ART. 2. En conséquence, le seul principe en vigueur, soit entre lesdits gouvernemens, soit entre leurs sujets, sera celui de se rendre réciproquement service, de se témoigner par une bienveillance inaltérable l'affection mutuelle dont ils doivent être animés, de ne se considérer tous que comme membres d'une même nation chrétienne, les trois princes alliés, ne s'envisageant eux-mêmes que comme délégués par la Providence pour gouverner trois

branches d'une même famille, savoir: l'Autriche, la Prusse et la Russie, confessant ainsi que la nation chrétienne, dont eux et leurs peuples sont partie, n'a réellement d'autre souverain que Celui à qui seul appartient en propriété la puissance, parce qu'en lui seul se trouvent tous les trésors de l'amour, de la science et de la sagesse infinie, c'est-à-dire Dieu, notre divin sauveur Jésus-Christ, le verbe du TrèsHaut, la parole de vie. Leurs Majestés recommandent en conséquence avec la plus tendre sollicitude à leurs peuples. comme unique moyen de jouir de cette paix qui naît de la bonne conscience et qui seule est durable, de se fortifier chaque jour davantage dans les principes et l'exercice des devoirs que le divin Sauveur a enseignés aux hommes.

ART. 3. Toutes les Puissances qui voudront solennellement avouer les principes sacrés qui ont dicté le présent acte, et reconnoîtront combien il est important au bonheur des nations trop longtemps agitées, que ces vérités exercent désormais sur les destinées humaines toute l'influence qui leur appartient, seront reçues avec autant d'empressement que d'affection dans cette Sainte alliance.

Le lendemain du jour où elle signait la Sainte-Alliance, la France concluait avec les puissances alliées le traité du 20 novembre 1815 (1), où se trouvaient réglées dans les détails les questions des frontières, de l'indemnité de guerre fixée à 700 millions, de la remise aux alliés des régions qui ne devaient plus faire partie du territoire français, de l'extension de la neutralité suisse, et la question de l'occupation militaire dont la durée maximum était fixée à cinq ans. La stipulation concernant ce dernier point était formulée comme suit :

ART. 5. Le maximum de la durée de cette occupation

(1) Le roi des Pays-Bas a accédé à ce traité le 12 novembre 1818.

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