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Cette lacune, M. Eugène Hubert, professeur à l'Université de Liége, vient heureusement de la combler dans un mémoire remarquable sur les garnisons de la Barrière dans les Pays-Bas autrichiens (1715-1782).

Travail complet, méthodique, lumineux. L'auteur n'a rien épargné pour documenter richement son œuvre. Il ne s'est pas contenté d'explorer les grands dépôts belges et étrangers, encore qu'ils lui aient fourni une abondante moisson de renseignements inédits. Il a recouru aux sources locales, et, là encore, son érudition a fait les plus curieuses découvertes. C'est ainsi qu'il est parvenu à nous retracer, en une œuvre d'une grande conscience scientifique et d'un extrême intérêt, le tableau vivant de la colonisation militaire de la Belgique par la Hollande au XVIIIe siècle.

Après un exposé substantiel des origines du système de la Barrière, M. Hubert nous fait connaitre, en autant de chapitres distincts, les démêlés qui se rattachent à la question religieuse, les abus en matière de police, les contestations au sujet des taxes, les difficultés relatives aux logements des garnisons, les incidents auxquels donnent lieu le régime des fortifications, les droits de chasse et de pêche, les questions soulevées à l'occasion des dettes contractées par des militaires hollandais, les violences exercées sur les habitants dans les villes de garnison.

La situation anormale créée par l'occupation des villes de barrière était une source continuelle de réclamations et de conflits. Divers essais furent tentés en vue d'établir un modus vivendi plus paisible.

M. Hubert consacre la dernière partie de son étude à un exposé des essais d'accommodement tentés jusqu'au moment où le système de la Barrière vient à disparaître.

Les nombreuses pièces justificatives inédites ajoutées par l'auteur à son travail relèvent encore le mérite de celui-ci.

La portée de cette œuvre dépasse d'ailleurs les proportions du problème que M. Hubert s'est efforcé d'éclaircir.

Les garnisons hollandaises ont été mêlées à la vie politique, religieuse, économique du pays. Une querelle particulière a souvent mis en discussion les questions les plus graves touchant notre organisation gouvernementale et notre état social. L'auteur, en s'efforçant de pénétrer aussi avant que possible dans le fond des conflits dont il nous raconte l'histoire, est « amené à nous retracer, sous bien des rapports, les traits principaux de l'ancien régime des Pays-Bas ». Son travail apparaît ainsi comme une contribution nouvelle et importante à l'histoire générale de ce régime.

A tous ces points de vue, l'ouvrage présenté à la Classe par M. le professeur Hubert nous paraît pouvoir figurer avec honneur dans les Mémoires de l'Académie. »

Rapport de M. Discailles, deuxième commissaire.

<«< Le gouverneur général des Pays-Bas autrichiens, Charles de Lorraine, dans une dépêche aux États Généraux de Hollande du mois d'avril 1752, faisait remarquer que le droit de garnison n'avait été accordé à leur république que comme un moyen propre à affermir la sûreté commune, mais que l'usage de ce droit était limité par tout ce qui intéressait, dans les places où il s'exerçait, le gouvernement politique, la justice, les finances et aussi par les privilèges et immunités] des habitants (dépêche citée dans le mémoire de M. Hubert à la page 292).

Le prince rappelait qu'il avait toujours employé ses bons offices à écarter tout ce qui pouvait altérer la bonne harmonie entre l'Impératrice et la République, mais qu'il n'avait pas été payé de retour, et qu'il avait eu le « désagrément » de se plaindre souvent, et toujours sans succès, des infractions aux traités commises par les officiers et soldats des Provinces-Unies.

C'est le récit de ces « infractions » que nous présente M. Hubert. Il nous donne le tableau complet - et lamentable des griefs que le gouverneur général des PaysBas autrichiens signalait inutilement à la Hollande.

Le travail du savant professeur de l'Université de Liége prouve de la façon la plus évidente que les excès auxquels se livraient en Belgique les garnisons hollandaises étaient loin d'être aussi rares (1) qu'on l'a prétendu. Si M. Rahlenbeck a pu, en se plaçant presque exclusivement sur le terrain de la liberté religieuse (2), essayer de réhabiliter le système de la Barrière, il restera acquis que ce système fut néfaste et que les Belges n'ont eu qu'à se louer de voir disparaître, après soixante-dix-sept ans, cette occupation étrangère imaginée par la Hollande pour contenir l'ambition française et qui n'y réussit que bien imparfaitement (5). Presque à chaque page du mémoire de M. Hubert, on a sur les lèvres le mot du poète : Di! talem

(1) « Parfois les garnisons hollandaises se livraient à des excès et portaient atteinte à la liberté des citoyens... Ces excès sont rares... » (PIOT, Le règne de Marie-Thérèse dans les Pays-Bas autrichiens, pp. 25 à 27 et 38.)

(2) M. Hubert a fait, avec raison, des réserves formelles sur une assertion de M. Rahlenbeck relative à la tolérance religieuse dont auraient fait preuve les états-majors hollandais. Cf. le chapitre Ier du mémoire.

(3) Page 342 du mémoire.

avertite casum ! Nous estimons, comme l'auteur, qu'il se dégage de l'histoire de la Barrière une leçon que doit méditer le patriotisme belge. Un peuple qui veut être vraiment le maître de ses destinées, qui veut jouir d'une indépendance réelle, doit savoir assumer le soin de sa défense, se résigner aux sacrifices nécessaires et repousser avec énergie la tutelle impérieuse et humiliante de l'étranger.

Deux particularités frappent l'attention dans cette triste histoire :

La première, c'est l'entêtement que mettent les États Généraux de Hollande à justifier, à approuver, en dépit de tout, la conduite de leurs états-majors qui répondent presque toujours avec un sans-gêne cavalier, avec une impertinence brutale, aux reproches, hélas! trop légitimes, que la conduite des garnisons provoque de la part des magistrats communaux.

La seconde, c'est l'attitude du Gouvernement autrichien devant cette mauvaise volonté des Hollandais, c'est sa résignation par trop conciliatrice, ses velléités constantes de transaction, d'accommodement, qui confinent singulièrement à l'abaissement.

Sans doute quelquefois, et particulièrement vers le milieu du règne de Marie-Thérèse et après la guerre de Sept Ans, il fut envoyé de Bruxelles et de Vienne des dépêches d'allure plus vive qui devaient donner à réfléchir aux États Généraux, mais c'était l'exception. Charles de Lorraine ne haussait le ton que lorsque les États Généraux paraissaient vouloir porter atteinte aux prérogatives sou

veraines de l'Impératrice, qui était intraitable sur ce point (1).

M. Hubert en donne la preuve au chapitre XI.

Un certain Gobert et sa femme, accusés (à tort semblet-il) d'avoir débauché des soldats hollandais, sont arrêtés par les ordres du commandant de la garnison de Namur, qui incontestablement outrepasse ses droits, et le conseil de guerre mène l'instruction du procès avec une rigueur cruelle. Le magistrat de Namur proteste contre l'illégalité commise par le commandant et contre les atrocités de la procédure du conseil de guerre. Le gouverneur général des Pays-Bas demande justice au Résident des ProvincesUnies à Bruxelles : celui-ci fait la sourde oreille. A La Have, on donne raison au commandant de Namur.

Outré, Charles de Lorraine provoque la réunion à Vienne d'une conférence spéciale, qui se tient le 1er mai 1750, sous la présidence du duc de Silva Tarouca.

Le duc fait précéder l'exposé de l'affaire de Namur d'un compte rendu de la foule d'attentats commis par les Hollandais dans les villes de la Barrière depuis la fin de la guerre de la succession d'Autriche. I insiste sur « le mépris et la hauteur» avec lesquels les États Généraux ont accueilli les protestations et la demande de réparation. La « dignité du service impérial » lui paraît exiger que l'on mette un terme à cette «< conduite inouïe » (2).

(1) DISCAILLES, Les Pays-Bas sous le règne de Marie-Thérèse, 1873; pp. 45-48, 125-129.

(2) Le duc faisait remarquer que « l'attitude des autorités hollandaises était d'autant moins justifiée que, pendant les dernières campagnes, le rôle des garnisons de la Barrière n'avait été rien moins que glorieux ». (P. 199 du mémoire.)

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