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RUE

PARIS

MICHEL LÉVY FRÈRES, ÉDITEURS

AUBER, 3, ET BOULEVARD DES ITALIENS, 15

A LA LIBRAIRIE NOUVELLE

-

M DCCC LXXIII

Droits de reproduction et de traduction réservés

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ÉTUDES HISTORIQUES

ET

POLITIQUES

DU DROIT D'AINESSE

Soyez le seigneur de vos frères, et que

les enfants de votre mère s'abaissent profondément devant vous.

Genèse, chap. xxvi, vers. 29.

Le droit d'aînesse, que les anciennes coutumes du royaume définissent « la priorité de naissance entre les enfants nobles, ou qui ont à partager des biens possédés noblement, pour raison de laquelle le plus âgé des mâles emporte, de la succession de son père ou de sa mère, une portion plus considérable que chacun de ses frères ou sœurs en particulier, » a pris sa source dans l'institution des fiefs.

L'illustre Montesquieu démontre, dans son Esprit des Lois, que l'institution des fiefs remonte aux plus anciens tem¡ s, non-seulcment de la monarchie française, mais de la France même, considérée comme sol et comme nation. Ainsi, la noble et généreuse institution qui inféodait la victoire aux mains qui avaient conquis le sol, a été la condition première de l'établissement de la monarchie en France, et, par suite, l'origine et le motif du droit d'aînes e

XXIII.

1

Pharamond ne fut que primus inter pares'; et cette grande maxime animait encore la royauté lorsqu'un de nos plus loyaux et plus chevaleresques souverains signait François, seigneur de Vanvres.

Ce fut cette institution légitime qui dicta les réponses fières des gentilshommes dans les anciens temps, et c'était encore elle qu'un grand homme d'État poursuivait, sans pouvoir l'abattre, en faisant tomber la tête d'un Montmorency.

Les fiefs étaient des possessions si mobilières (s'il est permis d'appliquer cette expression à la propriété territoriale), que Montesquieu, l'homme qui a le plus approfondi cette matière importante, établit que, dans les commencements, ils n'étaient point héréditaires. Cette primitive coutume peut paraître bizarre; elle découle de la nature des choses : les Francs abandonnent leur patrie et leurs biens, ils s'emparent d'une contrée entière, et, pour conserver leur conquête, ils établissent les fiefs et leur mouvance. Nul pouvoir au-dessus de leur tête n'avait le droit d'infirmer le code nécessaire à leur existence, et qui consistait à confier le sol, par parties, aux mains qui pouvaient le défendre. Ce fut la première loi française.

Cette loi fut l'ouvrage de la nécessité; elle est devenue, après avoir été observée pendant tant de siècles, aussi légale que l'obligation qu'un vendeur imposerait aujourd'hui à un acquéreur. La victoire a formé le contrat, il a toujours été exécuté.

Nous n'avons insisté sur les fiefs, et sur cette coutume de leur non-hérédité, que parce que là se trouvent les sources du droit d'aînesse; et Montesquieu confirme cette opinion par une des grandes découvertes de son ouvrage, quand il montre que, de cette collision de l'esprit de la loi des fiefs et du droit qui en résulta par la suite pour les mâles, surgit cette fameuse loi salique, le palladium de la France, loi qui a survécu à tous les orages, depuis ceux de la Jacquerie jusqu'à ceux de 93.

Ainsi le droit d'aînesse est aussi ancien que la France, il est plus ancien que la France, il est plus ancien que le trône; et, lorsque la première monarchie européenne est rentrée dans son berceau, il doit être permis de discuter les avantages d'une institution à laquelle elle a dû son antique splendeur, et d'examiner les

1. Par, is, d'où vient pair.

inévitables effets d'une législation contraire. Une telle discussion, abordée de bonne foi, est licite, car elle n'attaque aucune loi fondamentale de l'État, et ne tombe que sur quelques dispositions d'un code infirmé sur cette matière par le législateur lui-même et déjà réformé par la Restauration sur des points plus importants encore 2.

L'institution du droit d'aînesse a le singulier avantage, sur toutes les autres, d'être le soutien de la monarchie, la gloire du trône et le gage assuré du bonheur des individus et des familles.

Cette vérité démontrée par l'expérience de tant de siècles méritait l'attention des hommes amis de leur pays. En la discutant sans passion, on reconnaîtra, dans les conséquences des principes du droit d'aînesse, les sources d'une grandeur et d'une prospérité qui ne sont inconnus aujourd'hui que par l'absence du principe luimême.

Si nous réussissons à démontrer que ce principe est un besoin de la France nouvelle, nous aurons parlé à toutes les opinions, en empruntant même les expressions de celles qui nous sont le plus étrangères.

Dans l'ancienne monarchie, le droit d'aînesse, en créant d'immenses fortunes, avait groupé, autour du trône et dans l'État, des défenseurs qui, par leur puissance, étaient les plus fermes soutiens de la nation. Le monarque, le peuple voyaient en eux des garanties; chaque province comptait une foule de grandes familles protectrices du sol, obligées de veiller au bonheur des habitants, et, lorsque l'ennemi osait paraître, la voix des Montmorency, des Bouillon, des Crillon, appelant les sujets à la défense de la patrie, était d'autant plus imposante que, puissante et populaire, elle était déjà connue de la victoire.

Ces grandes familles rendaient par leur richesse le trône plus éclatant, et imprimaient à l'étranger une haute idée de la France. Il suffisait au monarque de convoquer les aînés de la nation, pour être le grand roi.

En joignant ainsi la splendeur aux soins sacrés de la patrie, ces

1. Sénatus-consulte du 14 août 1810, qui attribue la création des majorats. 2. L'abolition du divorce, qui introduisait de bien autres changements dans les familles.

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