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ment aux Commentaires de Voltaire; mais il a approfondi ce beau sujet avec un tel soin, que son livre doit rester classique : il devient un digne hommage à la mémoire de Corneille; il est utile à la littérature, et sur-tout à l'instruction des jeunes poëtes.

A l'occasion d'une nouvelle édition de Gilblas, dont François de Neufchâteau s'est chargé de rédiger l'Introduction, il a recherché avec soin si Lesage était réellement créateur de cet ouvrage, ou bien s'il l'avait imité ou traduit. Malgré les réclamations de quelques auteurs espagnols, et l'assertion un peu hasardée de Voltaire, François de Neufchâteau prouve que ce roman n'a point été, qu'il n'a pu être rédigé en Espagne, et que Lesage en est incontestablement l'auteur. Une semblable propriété nationale semble en effet mériter d'être bien établie pour l'honneur de Lesage et pour la gloire littéraire de la France, dont Gilblas est un titre de haute valeur.

François de Neufchâteau a sans doute beaucoup écrit, mais presque tout ce qu'il avait composé était épars ou n'avait pas été publié; il semblait travailler bien moins pour sa réputation que pour servir les hommes de tous les âges et de toutes les conditions. Lorsqu'on le

pressait de donner une édition de ses œuvres, il répondait que toutes ses espérances littéraires avaient péri avec sa traduction de l'Arioste, sur laquelle seule il avait compté pouvoir fonder sa gloire littéraire. Il consentit pourtant à donner un Recueil assez complet de ses fables, qui fut imprimé chez Didot, et qui en contient plus de deux cent soixante, non compris plusieurs prologues, et les deux poëmes burlesques de la Lupiade et de la Vulpiade, dans lesquels l'auteur a cherché à imiter la Guerre des rats et des grenouilles, qu'on attribue à Homère. Je regrette que le temps ne me permette pas de citer quelques-unes de ces fables, dont plusieurs sont très-remarquables par la justesse de la morale et par l'élégance de l'expression poétique.

François de Neufchâteau variait ses occupations de toute la journée, et les objets d'utilité publique en avaient toujours la plus grande part. En 1818, il avait rédigé un projet pour réunir en société industrielle tous les membres de la Légion-d'Honneur, par une souscription annuelle dont le produit serait affecté au desséchement des marais et à l'amélioration du territoire; il a publié un volume sur les résultats qu'il avait jadis obtenus de la culture du

panais et de la carotte en plein champ; un autre volume comme supplément à l'ouvrage de Parmentier sur le maïs. Vous avez écouté avec intérêt, Messieurs, ses Mémoires sur les récoltes enfouies en vert, sur les engrais, sur les irrigations, son Rapport sur les longs et utiles travaux du docteur Oberlin au Banc de la roche, ses Stances en l'honneur de ce vieillard vénérable, et sa Dissertation sur le plan qu'il serait convenable de suivre pour parvenir à tracer le tableau des besoins et des ressources de l'agriculture française. Il se plaisait à vous soumettre ses écrits et ses projets ; vos séances ont été souvent embellies par les rapports dont vous aimiez à le charger; dans une dissertation spéciale, il a rendu hommage à l'influence heureuse que vos travaux avaient exercée sur notre économie rurale.

Pendant la dernière année de sa vie, et bien qu'il fût accablé de douleurs très-fréquentes et presque intolérables, il semblait se ranimer en parlant d'économie rurale: c'est à cette époque même qu'il a contribué à la rédaction du Dictionnaire d'agriculture pratique, publié en 1827; l'Introduction, qui fut son ouvrage, contient de très-bonnes vues sur l'amélioration de notre économie. Il avait fait partie de votre Société

lors de sa formation, et il en avait été, dès l'origine, un des membres les plus assidus et les plus zélés; toujours et uniquement animé du désir de faire le bien, il voulait agir sans paraître avoir fait; sa persévérance dans le travail n'avait point de bornes lorsqu'il entrevoyait un résultat utile à son pays. Il vous avait trouvés animés des mêmes sentimens, il vous avait voué une tendre affection, et cette affection a été réciproque; il présidait fréquemment vos séances publiques, et ses allocutions improvisées, lors des distributions de vos prix et de vos médailles, ont souvent inspiré un vif intérêt dans ces assemblées. Ce fut lui qui vous présenta au Roi la première fois que vous eûtes l'honneur d'être admis en présence de l'auguste Restaurateur de la France. Quinze fois vous avez nommé François de Neufchâteau à la présidence annuelle de votre Société, et même, lorsque ses infirmités ne lui ont plus permis de sortir de son cabinet, vous lui avez continué ce témoignage de confiance et de vénération. Il aimait à recevoir vos visites, à s'entretenir avec vous de vos travaux : il s'animait alors et semblait retrouver les forces de sa jeunesse; dans une des visites que votre bureau lui fit au renouvellement d'une de ses dernières années, il improvisa pour nous une

ANNÉE 1828.

vingtaine de beaux vers qui peignaient sa situation, son attachement pour vous, et ses vœux pour l'agriculture; il terminait ainsi :

<< Ma vie est défaillante, et pourtant je m'écrie:

>> Ah! que les arts soient triomphans!

>>

» Mes derniers mots seront: Mon Prince, ma Patrie,
L'Agriculture et ses enfans. »

Sa verve poétique était essentiellement improvisatrice; l'habitude qu'il avait contractée de causer en vers, dès sa plus tendre jeunesse, lui donnait une extrême facilité pour les prononcer d'abondance, toujours corrects et très-riches de rimes.

François de Neufchâteau était économe dans son intérieur; il redoutait le faste, mais il aimait passionnément à faire du bien; il voulait que tout ce qui l'entourait fût heureux, et il ne savait pas épargner sur ce qui pouvait plaire aux autres ; il avait négligé beaucoup le soin de sa fortune, et ce ne sera pas à vos yeux, Messieurs, la moins honorable partie de son éloge que de vous parler de la médiocrité de son sort; malgré les places éminentes qu'il avait exercées, il ne possédait pour tout bien, à la fin de sa vie, qu'une ferme de médiocre étendue dans le Charolais; ses pensions seules suffisaient à l'entretien de sa maison; lorsqu'il fut nommé grand

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