Page images
PDF
EPUB

pliquaient, dix ans après avoir acclamé la fameuse déclaration des droits de l'homme, ceux qui s'étaient le plus violemment déchaînés autrefois contre la tyrannie du gouvernement royal! Chez ces derniers débris de la Révolution, l'ineptie le dispute à la violence; et le jugement que Macaulay, dans son langage énergique jusqu'à la brutalité, portait sur les conventionnels n'est pas trop sévère pour leurs successeurs et leurs plagiaires « La profondeur de leur ignorance et la stérilité de leur cerveau sont la seule excuse qu'ils puissent alléguer pour leurs crimes et leurs brigandages. Certes, ils n'auraient pas abattu tant de têtes et coupé tant de bourses s'ils avaient su gouverner autrement'.

:

[ocr errors]

Quand le gouvernement consulaire, par l'organe du Corps législatif, rappelait au peuple français, dans la proclamation du 19 brumaire an VIII (10 novembre 1799), que « le régime constitutionnel n'avait été qu'une suite de révolutions dans tous les sens, dont les différents partis s'étaient successivement emparés... que de cet état d'instabilité dans le gouvernement était résulté l'instabilité plus grande encore dans la législation; que les droits les plus sacrés de l'homme social avaient été livrés à tous les caprices des factions et des événements, et que... le nom de la République n'avait servi que trop à consacrer la violation de tous les principes », il n'avançait rien que d'absolument exact. Quand, comme tous les pouvoirs qui se fondent, il s'écriait : « Une ère nouvelle va commencer! » l'avenir devait lui

[ocr errors]

1 « Indeed their exceeding ignorance and the barrenness of their invention are the best excuse for their murders and robberies. We really believe that they would not have cut so many throats and picked so many pockets, if they have known how to govern in any other MACAULAY'S Biographical Essays, Bertrand Barère.

way. »

donner raison. Ce fut une ère nouvelle, en effet, étrange, inconnue de tous ceux qui avaient survécu à nos tourmentes révolutionnaires, une ère de réparation, de justice, d'équité! Ce programme qu'il s'était fixé : « consolider, garantir et consacrer inviolablement la souveraineté du peuple français... la liberté, l'égalité, la sûreté et la propriété », chose inouïe! il devait le remplir.

Quelques mois suffiront. Par la volonté du Premier Consul, la France entière va changer de face.

Nous examinerons successivement dans quel état le Directoire avait laissé les services publics, ce qu'étaient devenus pendant la période révolutionnaire administration, ponts et chaussées, finances, justice, instruction publique : tout ceci n'existait plus guère que de nom. Nous verrons comment de ce chaos sans exemple, de cette anarchie presque sans précédents dans l'histoire, Napoléon sut faire sortir les institutions qui nous régissent encore.

Jetons d'abord un coup d'œil sur les constitutions consulaires et impériales, sur cet organisme législatif qui permit à l'Empereur d'accomplir sa grande œuvre.

1 Loi du 19 brumaire an VIII art. 12.

CHAPITRE II

LES CONSTITUTIONS DE L'EMPIRE

I. État des esprits en 1800. II. La constitution de l'an VIII.

pouvoir exécutif.

de notabilité.

· Le Tribunat. Le Corps législatif.
Le Sénat conservateur.

[merged small][merged small][ocr errors]

[ocr errors]
[blocks in formation]

Les listes

L'article 75.

- IV. Abrogation des lois révolutionnaires. Nouvelles attributions

Les émigrés. V. Le Consulat à vie.

du Sénat conservateur.

Les colléges électoraux. - VI. L'Empire.

[ocr errors]
[ocr errors]

VII. Vues générales sur les constitutions impériales. biscites et la souveraineté du peuple.

I

Les plé

"Bientôt s'élèvera un homme audacieux, un leveller (niveleur) déterminé qui, sur les débris de vos anciennes formes, établira une constitution nouvelle... Il appellera les citoyens à plus de liberté, à plus de richesses; mais il leur dira aussi : L'autorité manque à mes vues bienfaisantes; à chaque pas, des formes importunes arrêtent ma marche et votre prospérité; des assemblées perpétuelles vous arrachent à votre culture, à vos travaux, à votre commerce. Tranchons d'un coup toutes les difficultés; rompons ces vieux liens qui enchaînent un pouvoir qui n'existe plus que pour vous rendre heureux, libres et puissants. Le vœu général remettra dans ses mains toute la puissance publique. » C'est en

[ocr errors]

ces termes que, dans une brochure intitulée : la Voix du citoyen, Lebrun, celui qui fut plus tard troisième Consul, puis architrésorier de l'Empire, par une sorte d'instinct prophétique, annonçait, dès le mois d'avril 1789, comment devait se terminer la Révolution et indiquait l'œuvre qu'il appartenait à Napoléon d'accomplir.

Ce pouvoir fort, ce pouvoir réparateur, se fit attendre dix ans.

En 1799, son heure était enfin sonnée. La France était dégoûtée du gouvernement des assemblées. Ce régime ne laissait après lui que le souvenir d'une longue et implacable tyrannie. Quoique issues du suffrage à deux degrés, que certains publicistes veulent encore considérer comme plus éclairé et plus impartial que tout autre, nos assemblées, depuis 1789, s'étaient ouvertes aux esprits les plus ardents et les plus absolus. Abdiquant aux pieds de ceux qui savaient leur inspirer le plus de terreur, elles avaient fait peser sur la France un joug d'autant plus lourd, qu'elles le subissaient ellesmêmes. Loin de défendre et de protéger le pays contre les sectaires et les ambitieux, elles n'avaient pas eu le courage de se défendre elles-mêmes et s'étaient laissé décimer par l'émeute ou par le pouvoir, donnant le triste spectacle, comme les Conseils de l'an V, de l'impuissance inquiète et stérile, ou, comme la Convention, de la servilité jusqu'à l'échafaud.

L'élection avait été appliquée à toutes les fonctions publiques indistinctement. Mais qu'était devenu, à tout prendre, pendant la période révolutionnaire, ce régime électif tant prôné par les théoriciens? L'oppression de la majorité par une minorité violente, audacieuse, sans scrupules. Dès les premiers jours de la Révolution, tous les gens paisibles s'écartent avec effroi des urnes électo

rales. En novembre 1791, Pétion est nommé maire de Paris par six mille six cents voix. Sur quatre-vingt mille électeurs, on ne compte que dix mille trois cents votants. Au commencement de 1792, Danton arrive au poste de substitut du procureur de la Commune avec onze cent soixante-deux suffrages. En juin 1793, quand Henriot devenait commandant de la garde nationale de Paris, il réunissait, il est vrai, neuf mille quatre-vingt-quatre voix; mais, sur cent cinquante mille inscrits, quinze mille seulement avaient pris part au vote '. Nous avons déjà cité ce curieux décret de la Convention du 30 mars 1793, décidant que, pour la constitution des comités de surveillance, une élection serait valable, quand, sur mille électeurs inscrits, on arriverait à réunir cent votants. Plus tard, sous le Directoire, représentaientils par hasard la volonté nationale, ces colléges électoraux si savamment triés par les lois du 3 brumaire an IV, du 19 fructidor an V, du 9 frimaire an VI, qui créaient au sein de la société française une classe de parias, exclus de toute fonction publique et privés même du droit de suffrage? Le corps électoral était-il au moins maître de ses choix? Nous avons vu quel cas on faisait de ses décisions 3. Dès la première heure, le 5 fructidor an III, la Convention lui impose la réélection des deux tiers de ses membres. Quand il cherche à s'émanciper, quand il se permet d'exprimer une volonté contraire à celle de ses maîtres, ses députés sont proscrits, comme au 19 fructidor an V, ou outrageusement brisés, comme au 22 floréal an VI. Lorsqu'elle

1 MORTIMER-TERNAUX, Histoire de la Terreur. Etat politique de Paris de 1789 à 1800.

2 Ch. 1.

3 Ch. I.

Adolphe SCHMIDT,

« PreviousContinue »