Page images
PDF
EPUB

gloire; mais, comme Charlemagne, il a inspiré tout un cycle poétique, qui pendant des siècles redira aux générations les plus éloignées la légende du « plus grand des hommes'

[ocr errors]

1 THIERS, Histoire du Consulat et de l'Empire.

CHAPITRE VIII

LE CONCORDAT ET LES CULTES

I. La liberté des cultes. La constitution civile du clergé. Les lois de la Convention et du Directoire. II. L'esprit philosophique et le mouvement religieux en 1800. Politique religieuse de Napoléon.

III. Le Concordat. Les articles organiques. Les cultes protestants. Le ministère des cultes. IV. Le culte israélite et le grand sanhédrin.

[ocr errors]

I

La mission de Napoléon ne devait pas se borner à rouvrir aux proscrits les portes de la patrie, à reconstituer administration, justice, finances, et à jeter au milieu de cette société en poussière ces « masses de granit », qui profondément enfouies dans le sol français, inébranlables, ont résisté aux tempêtes qui sont venues nous assaillir depuis trois quarts de siècle. Une gloire non moins grande lui était réservée : il lui appartenait de rendre la paix aux consciences, de permettre enfin à chacun de prier Dieu selon sa foi religieuse.

Cette liberté, la plus sacrée de toutes, c'est la première que les révolutionnaires avaient confisquée. Et cependant, à n'écouter que leurs programmes et leurs déclarations de principes, on dirait que la liberté de conscience, ils l'ont inventée, que c'est leur chose à eux, tant ils

s'empressent d'en faire parade sur tous les tons, de l'étaler avec fracas en tête de toutes leurs constitutions. Dès le 26 août 1789, on lit dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen: « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi'. » La Constitution de 1791, après avoir reproduit le texte même de la Déclaration des droits, ajoute : « La Constitution garantit comme droits naturels et civils..... la liberté à tout homme d'exercer le culte religieux auquel il est attaché2. » Voici maintenant la Convention Constitution de 1793: « La Constitution garantit à tous les Français........... le libre exercice des cultes3»; Constitution de l'an III: « Nul ne peut être empêché d'exercer, en se conformant aux lois, le culte qu'il a choisi. » Qui pourrait croire, si l'histoire n'était là pour l'attester, que ces magnifiques et solennelles déclarations ne furent que la préface de la plus odieuse des persécutions? Les prêtres traînés à l'échafaud ou jetés sur les plages désertes de la Guyane, le culte de la Raison officiellement intronisé à Notre-Dame", les bustes de Marat profanant les autels, c'est ainsi que la Convention entendit la liberté des cultes! Un abîme de sang ne tarda pas à se creuser entre la Révolution et l'Église.

Dans cette voie fatale, qui devait aboutir à la guerre civile, la Constituante avait précédé la Convention. Le 12 juillet 1790, presque trois mois jour pour jour après avoir déclaré « qu'elle n'a et ne peut avoir aucun pou

1 Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, article 10.

2 Constitution du 3-14 septembre, titre I.

3 Constitution du 24 juin 1793, article 122.

4 Constitution du 5 fructidor an III, article 354.

5 Décret du 20 brumaire an II (10 novembre 1793).

voir à exercer sur les consciences et les opinions religieuses, que la majesté de la religion et le respect profond qui lui est dû ne permettent point qu'elle devienne un sujet de délibération' », elle votait la constitution civile du clergé, cette dernière revanche des jansénistes contre la vieille Église de France.

Par ce décret du 12 juillet-24 août 1790, l'Assemblée constituante entrait de plain-pied dans le domaine théologique. Elle s'arrogeait le droit de donner, d'étendre, ou de restreindre à son gré la juridiction spirituelle : elle bouleversait toutes les circonscriptions ecclésiastiques remplaçait les dix-huit archevêchés par dix métropoles, réduisait de cent trente-cinq à quatre-vingt-trois le nombre des siéges épiscopaux, en supprimant ici, en créant là et fixant la délimitation des nouveaux diocèses, sans tenir aucun compte de l'autorité religieuse. Elle décidait qu'il ne serait plus désormais pourvu aux évéchés et aux cures que par voie d'élection. Les candidats devaient, il est vrai, avoir exercé pendant un certain laps de temps le ministère sacré3; mais en remettant la nomination des évêques aux électeurs du département et celle des curés aux électeurs du district', elle n'exigeait d'eux aucune garantie, ne faisait aucune exception; elle ouvrait le scrutin à tous, aux indifférents comme aux infidèles, aux protestants comme aux juifs, leur imposant comme seule et unique obligation d'assister à la messe qui devait précéder le vote. C'était peut-être une Église

1 Décret du 13 avril 1790.

2 Dans le nombre des quatre-vingt-trois évêchés étaient comprises les dix métropoles.

3 De dix à quinze ans pour les évêchés, cinq ans pour les cures. 4 Rappelons ici la distinction qui existait, en vertu du décret du 22 décembre 1789, entre les électeurs et les citoyens actifs, les premiers procédant de l'élection. Voir ch. Iv, § 1.

a

nationale qu'elle entendait organiser, mais, à coup sûr, ce n'était pas là l'Église catholique. Toute hiérarchie et partant toute discipline disparaissaient. Les curés étaient bien institués par l'évêque; mais comme lui ils tenaient en réalité leurs pouvoirs des électeurs, et leur supérieur ne pouvait leur demander d'autre serment que celui de faire profession de la religion catholique, apostolique et romaine». Dans son zèle réformateur, l'Assemblée ne s'en tenait pas là : elle allait plus loin encore si c'est possible. De sa propre autorité elle enlevait au Pape l'institution canonique pour la conférer au métropolitain, ou, s'il s'agissait d'un siége de métropole, au plus ancien évêque de la province. Elle voulait bien reconnaître à celui-ci le droit d'examiner l'élu sur « sa doctrine et ses mœurs'. Mais s'il venait à lui refuser l'institution, l'élu, après s'être présenté devant lui « assisté de deux notaires », et s'être fait « donner acte de sa réponse », pouvait se pourvoir par voie d'appel comme d'abus. Et devant qui était porté cet appel? Devant le tribunal du district qui statuait en dernier ressort! La Constituante cependant n'avait pas jugé à propos de supprimer complétement le Pape : elle lui accordait, dans sa constitution civile du clergé, un rôle encore plus effacé, il est vrai, que celui qu'assignait au Roi des Français la Constitution de 1791. « Le nouvel évêque, y est-il dit3, ne pourra s'adresser au Pape pour en obtenir aucune confirmation; mais il lui écrira comme au chef visible de l'Église universelle, en témoignage de l'unité de foi et de la communion qu'il doit entretenir avec lui. »

Comment s'étonner, quand on a jeté les yeux sur ces

1 Décret du 12 juillet-24 août 1790, titre II.

2 Décret du 15-24 novembre 1790, articles 2 à 5.

3 Titre II, article 19.

« PreviousContinue »