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mobiliers et immobiliers que l'Empereur, exerçant le droit de paix et de guerre, acquiert par des conquêtes ou des traités, soit patents, soit secrets. L'Empereur dispose du domaine extraordinaire: 1° pour subvenir aux dépenses de ses armées; 2° pour récompenser ses soldats et les grands services civils ou militaires rendus à l'État ; 3° pour élever des monuments, faire faire des travaux publics, encourager les arts et ajouter à la splendeur de l'Empire." C'était établir, en face du budget normal, un budget extraordinaire échappant au contrôle législatif et dont l'Empereur avait seul la disposition. Ces sortes de dotations immuables, affectées à certains services, entraient dans les idées de Napoléon la Légion d'honneur, l'Université, les Invalides' avaient leur budget assis sur des fonds spéciaux, qui leur assuraient une existence propre et indépendante. Aux yeux de l'Empereur, il était des services publics qui devaient rester à l'abri de toute discussion, protégés contre toute fluctuation ou tout revirement d'opinion. Nous n'avons pas besoin d'aller bien loin pour retrouver pareille doctrine, même chez les peuples les plus libéraux, témoin ce que les Anglais appellent « dépenses consolidées», qui comprennent non-seulement les intérêts de la dette publique, la dotation de la couronne, les pensions, mais les traitements des agents diplomatiques et des membres des cours de justice, toutes dépenses qui sont considérées

1 La dotation des invalides avait été constituée par un décret du 25 mars 1811. Ce décret affectait aux invalides non-seulement une rente de 100,000 francs, mais divers autres revenus, tels que le produit d'une retenue sur les pensions et traitements militaires, ainsi que sur les traitements et pensions de la Légion d'honneur, un prélèvement sur les octrois, le produit de la vente des terrains militaires déclassés. C'était, en somme, une caisse des invalides militaires qui était créée en face de celle des invalides de la marine.

comme dette de la nation et ne sont pas soumises, chaque année, à la discussion du Parlement.

En dehors de cet énorme service des dotations, auquel il avait pour mission principale de pourvoir, le domaine extraordinaire vint plus d'une fois en aide à l'État. Il suffira de rappeler qu'une somme de 84 millions, empruntée à ces ressources spéciales, constitua le premier fonds de roulement de la caisse de service, l'une des bases de l'organisation financière'. C'est sur les mêmes fonds que l'Empereur consentait des avances au commerce et à l'industrie: comme nous l'avons déjà dit, les prêts de cette nature pendant les deux années 1810 et 1811 ne s'élèvèrent pas à moins de 18 millions, dont neuf seulement avaient été remboursés en 18142.

Cette vaste administration était confiée à un intendant général, qui fut Defermon, et à un trésorier général, le baron de la Bouillerie3. Dépendant uniquement et absolument de l'Empereur, le domaine extraordinaire n'était pas soumis au contrôle législatif, mais il avait un contrôleur bien plus sévère, bien plus exact que ne le fut jamais nulle assemblée : c'était Napoléon lui-même. La loyauté, la régularité de ses opérations ont été recon

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3 Le sénatus-consulte du 30 janvier 1810, qui constituait le domaine extraordinaire, réglait en même temps toutes les questions relatives à la dotation de la Couronne. La liste civile était administrée par un intendant général, qui porta d'abord le titre d'intendant général de la Maison de l'Empereur, puis d'intendant général de la Couronne. De Fleurieu (1804), Daru (1805) et Champagny, duc de Cadore (1811), se succédèrent dans ce poste. Elle avait également un trésorier général, qui fut d'abord le comte Estève, puis le baron de la Bouillerie. Ce dernier joignait à ces fonctions celles de trésorier général du domaine extraordinaire, sans qu'aucune confusion existât néanmoins entre ces deux services, qui restèrent toujours complétement distincts. Un intendant général était aussi placé à la tête du domaine privé, autre administration distincte qui fut confiée à Daru.

nues par les adversaires même les plus acharnés de l'Empire'. Au 30 mars 1814, les revenus du domaine extraordinaire s'élevaient à 37,702,598 francs; dans ce chiffre, les dotations sont comprises pour 32,463,817 fr.; à ceci, il convient encore d'ajouter les biens non susceptibles de revenus, évalués à 23,884,454 francs2.

Le domaine extraordinaire ne devait pas survivre aux funestes événements de 1814. Fruit de la victoire et des conquêtes, il disparut devant la fortune adverse. Toutes ces dotations, depuis les cinq cents francs du simple soldat jusqu'aux centaines de mille livres de rente des maréchaux et des généraux, furent emportées dans le désastre commun ou réduites aux proportions les plus minimes3. Le grand édifice s'écroulait.

La noblesse impériale en reçut une atteinte profonde. Cette large hiérarchie nationale qu'avait rêvée l'Empereur, embrassant le passé, le présent et l'avenir, les gouvernements qui lui ont succédé, cédant à de vaines clameurs, quand ils n'ont pas hésité à la maintenir, en ont laissé tomber en oubli toutes les traditions. A part le gouvernement de la Restauration, ils n'ont paru conférer des titres qu'à regret, les limitant à quelques rares exceptions. Pour le général que le sort des combats avait placé au second rang, pour le laborieux travailleur qui avait consacré son existence entière au service du pays, rien n'est venu redire aux générations futures ce qu'il

1 Voir le discours du comte Corvetto, alors ministre des finances, à la Chambre des députés (séance du 18 avril 1818).

2 Au 30 mars 1814, le solde en caisse du domaine' extraordinaire s'élevait à 327,366,629 francs. Voir Chambre des députés, séances des 18 et 20 avril 1818.

3 Ce qui restait du domaine extraordinaire fut réuni au domaine de l'État par la loi du 15-16 mai 1818; une loi du 26 juillet-1er août 1821 accorda des pensions de 1,000 à 250 francs aux donataires dépossédés.

avait été, l'œuvre qu'il avait accomplie, et ses enfants aujourd'hui paraissent souvent, aux yeux du vulgaire, occuper un rang moins élevé dans la société que tel ou tel vaniteux, sans aïeux et sans passé, qui se décore d'un nom d'emprunt. A quoi bon, a-t-on dit, donner des titres, lorsqu'on ne peut en soutenir l'éclat par des dotations? Erreur profonde : quand un souverain crée un titre, ce titre est par lui-même une dotation. Si les gouvernements ont cessé de concéder des titres, les hommes n'ont pas cessé de les rechercher. A l'orgueil des services rendus s'est substituée une vanité puérile et sans motifs, et jamais peut-être les distinctions nobiliaires ne se sont plus multipliées que depuis que l'État, paraissant n'y attacher aucun prix, les laisse abandonnées à la fantaisie la plus audacieuse.

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CONCLUSION

Nous venons de jeter un rapide coup d'œil sur l'ensemble de la législation impériale: et il se trouve que nous avons passé en revue toutes les institutions de la France moderne. Nous avons même dû parfois fatiguer nos lecteurs, car il nous est arrivé rarement de rappeler un texte, de citer une loi, un décret, sans que cette phrase revint sans cesse, comme une perpétuelle et fastidieuse répétition : ce texte s'applique encore, cette loi a survécu, ce décret nous régit aujourd'hui. Avions-nous donc tort d'affirmer que si le nom de l'Empereur n'apparaît plus en tête de nos constitutions, l'Empire est encore vivant dans nos lois?

De Sainte-Hélène, comme du fond de son tombeau, Napoléon n'a jamais cessé de régner. Tous les gouvernements qui lui ont succédé, Restauration, monarchie de Juillet, République, n'ont vécu que par lui et grâce à lui. Quand ils l'ont pu, ils lui ont emprunté ses hommes, et tous ont accepté ses lois, les commentant, les développant chacun à leur manière, mais se gardant bien, la plupart du temps, d'en altérer et le fond et l'essence. Quelles sont les conditions imposées aux Bourbons en

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