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nistie, les émigrés n'étaient tenus qu'à prêter serment d'« être fidèles au gouvernement établi par la Constitution et de n'entretenir, ni directement, ni indirectement, aucune liaison ni correspondance avec les ennemis de l'État1 Cinq mois leur étaient accordés pour rentrer en France; encore pouvaient-ils faire entre les mains de nos agents à l'extérieur les déclarations prescrites. Ils devaient néanmoins, pendant une période de dix ans, rester sous la surveillance spéciale du gouvernement, qui se réservait le droit de fixer le lieu de leur résidence. On voit, par cette seule disposition, à combien de ménagements le Premier Consul se trouvait encore tenu vis-à-vis de l'opinion révolutionnaire.

Quant aux acquéreurs de biens nationaux, leurs droits, que le préambule du sénatus-consulte plaçait sous la protection toute spéciale du Sénat et des Consuls2, trouvaient une nouvelle sanction dans l'article 16: « Les individus amnistiés ne pourront, en aucun cas et sous aucun prétexte, attaquer les partages de présuccession, succession ou autres actes et arrangements faits

les armées ennemies; 3o ceux qui depuis la fondation de la République ont conservé des places dans les maisons des ci-devant princes français; 40 ceux qui sont connus pour avoir été ou pour être actuellement moteurs ou agents de guerre civile ou étrangère; 5o les commandants de terre ou de mer, ainsi que les représentants du peuple qui se sont rendus coupables de trahison envers la République; 6o les archevêques et évêques qui, méconnaissant l'autorité légitime, ont refusé de donner leur démission. — Article 11 : Les individus dénommés en l'article précédent sont définitivement maintenus sur la liste des émigrés; néanmoins, le nombre n'en pourra excéder mille, dont cinq cents seront nécessairement désignés dans le cours de l'an X. »

1 Sénatus-consulte du 6 floréal an X, article 4.

2. Considérant que les dispositions particulières de l'amnistie, en défendant de toute atteinte les actes faits avec la République, consacrent de nouveau la garantie des ventes des biens nationaux, dont le maintien sera toujours un objet particulier de la sollicitude du Sénat conservateur, comme il l'est de celle des Consuls...

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entre la République et les particuliers avant la présente amnistie. » Pour les biens non encore aliénés, à l'exception des bois et forêts, des immeubles affectés à un service public, des droits de propriété sur les canaux et des créances contre le Trésor, ils devaient être rendus aux ayants droit, toutefois sans restitution des fruits. « Je ne fais rien si je rends à ces émigrés leur patrie sans leur rendre leur patrimoine », répondait le Premier Consul aux objections qui s'élevaient contre cette restitution.

Quarante mille familles, cependant, rentrèrent en France dénuées de toutes ressources'. Cette situation ne laissait pas de préoccuper Napoléon. L'indemnité aux émigrés s'imposait dans sa pensée comme une des nécessités de l'avenir. « Il faudra bien un jour faire quelque chose », disait-il. C'était en effet le complément naturel du grand acte du 6 floréal an X. Il est malheureux qu'il n'ait pu lui-même réaliser ses vues : venant de lui, une telle mesure n'eût pas soulevé les hostilités que devait rencontrer la loi votée le 27 avril 1825, sous le ministère de Villèle. En faisant disparaître, lui souverain issu du droit nouveau, les dernières traces des persécutions jacobines, il eût mis le sceau à la réconciliation de l'ancienne France avec la France moderne.

Quoi qu'il en soit, l'amnistie était le plus grand triomphe que le Premier Consul pût remporter sur les passions révolutionnaires : seul il était assez puissant pour l'imposer. Mesure large, généreuse et, par conséquent, politique, elle ne tarda pas à porter ses fruits. Nombre d'émigrés servirent loyalement et fidèlement

1 Chiffre donné par l'Empereur au Conseil d'État (séance du 1er juillet 1806).

celui qui leur avait rouvert les portes de la patrie; le sang des plus nobles familles royalistes se mêla sur les champs de bataille au sang des vainqueurs de Valmy et de Fleurus; et ce n'est pas sans une réelle émotion que l'on voit, au nombre des quatre fidèles serviteurs qui accompagnèrent dans sa captivité leur Empereur proscrit, un ancien soldat de l'armée de Condé, le comte de Las Cases.

V

La Constitution de l'an VIII, présentée le 23 frimaire (14 décembre 1799) à l'acceptation du peuple, avait été ratifiée par trois millions onze mille sept voix contre quinze cent soixante-deux opposants. Le 20 floréal an X (10 mai 1802), un nouveau plébiscite était soumis aux suffrages populaires : Napoléon Bonaparte sera-t-il Consul à vie? Trois millions cinq cent soixante-huit mille huit cent quatre-vingt-cinq voix répondirent oui; on ne releva que huit mille trois cent soixante-quatorze votes négatifs.

Le sénatus-consulte organique du 16 thermidor an X (4 août 1802) détermina les nouveaux pouvoirs conférés à Napoléon. La dignité consulaire devenait viagère pour ses deux collègues comme pour lui. Il était investi du droit de désigner son successeur et de présenter au choix du Sénat ses deux collègues. Il intervenait directement dans la composition du Sénat par le droit de présentation qui lui était désormais conféré exclusivement et par le droit de nomination directe qui lui était réservé pour qua

rante siéges'. Il ratifiait, sauf à les communiquer au Sénat avant leur promulgation, les traités de paix et d'alliance que la Constitution de l'an VIII soumettait au Tribunat et au Corps législatif, suivant la procédure adoptée pour les lois ordinaires. Enfin, le droit de grâce lui était dévolu. C'était la royauté, moins le titre.

L'autorité du Premier Consul semblait à première vue déjà suffisamment assise par la Constitution de l'an VIII. Cependant, dans le jeu de ce mécanisme, il n'avait rencontré que des difficultés. Les corps délibérants qu'elle créait, et qui ne tenaient en réalité leurs pouvoirs que du Sénat, n'avaient fait qu'entraver son œuvre. Sans sa ferme et puissante volonté, elle eût été à jamais compromise. Le Tribunat était devenu un foyer d'opposition tout à la fois ardente et mesquine. Dès la première heure, on n'y parlait de rien moins que de renverser « l'idole de quinze jours ». Le Concordat, la Légion d'honneur avaient soulevé des tempêtes chez les tribuns : le Code civil lui-même n'avait pas trouvé grâce devant eux. Leur opposition avait gagné le Corps législatif, et c'est sur le Code qu'elle s'était exercée le titre premier avait été rejeté. Pour arriver à doter la France de cet immortel monument législatif, il avait fallu recourir à une sorte de coup d'État. A l'époque du renouvellement

2

1 Le nombre des sénateurs était porté de quatre-vingts à cent vingt. Les quarante places nouvelles étaient laissées à la disposition absolue du Premier Consul, sans qu'aucune condition vînt limiter son choix. Pour les autres siéges, il exerçait seul le droit de présentation; mais ses candidats, au nombre de trois pour chaque vacance, devaient être pris sur les listes dressées par les colléges électoraux.

2 Ces lieux (le Palais-Royal) où, si l'on osait parler d'une idole de quinze jours, nous rappellerions qu'on vit abattre une idole de quinze siècles. » Discours du tribun Duveyrier, séance du 13 nivôse an VIII (3 janvier 1800).

légal des deux Assemblées, le Sénat, au lieu de laisser désigner par un tirage au sort les membres qui devaient cesser d'en faire partie, résolut de procéder par voie de réélection générale, choisissant au scrutin les tribuns et les législateurs appelés à continuer leur mandat, et écartant ainsi ceux qui, loin de seconder les efforts du Premier Consul, paraissaient avoir pris à tâche de lui créer chaque jour de nouveaux obstacles'.

Pour vaincre désormais toutes ces résistances, le sénatus-consulte du 16 thermidor an X donna aux pouvoirs du Sénat une nouvelle extension. Il fut investi du droit de dissoudre le Corps législatif et le Tribunat, de régler par des sénatus-organiques « tout ce qui n'avait pas été prévu par la Constitution et qui était nécessaire à sa marche, et d'expliquer les articles de la Constitution qui donnaient lieu à différentes interprétations ». Enfin, il pouvait « annuler les jugements des tribunaux lorsqu'ils étaient attentatoires à la sûreté de l'État », suspendre pour cinq ans l'institution du jury, dans les départements où cette mesure était jugée nécessaire, et déclarer les départements « hors de la Constitution», c'est-à-dire proclamer l'état de siége.

Le Tribunat, divisé en sections, et qui devait être réduit à cinquante membres à dater de l'an XIII (18041805), était annihilé. Ce rouage inutile et malencon

1 Sénatus-consulte du 22 ventôse an X (13 mars 1802). Aux termes de la Constitution de l'an VIII, un cinquième du Tribunat et du Corps législatif, c'est-à-dire vingt tribuns et soixante législateurs, devait sortir en l'an X. Le Sénat commença par désigner les quatre-vingts tribuns et les deux cent quarante législateurs maintenus en fonction.

2 C'est en vertu de cette disposition que fut rendu le sénatus-consulte du 28 août 1813, qui annula le verdict du jury de la Dyle, dans l'affaire de l'octroi d'Anvers. On a beaucoup déclamé sur cette affaire d'Anvers. En droit, la mesure était légale; en fait, il s'agissait de fraudes et de malversations dans la gestion de l'octroi, suivies d'un acquittement scanda

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