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d'ailleurs ce qu'on peut inférer de la loi 1, 5.4, D. de his qui effuderint .On a cependant vu plus haut, que la coutume de Baïonne en décide tout autrement; mais c'est une disposition locale qui ne peut pas être étendue hors de son territoire.

[[L'opinion de Basnage et de d'Argentrée est d'ailleurs confirmée par un arrêt du parlement de Rouen, du 5 mars 1671.

Serres, à l'endroit déjà cité, enseigne la même doctrine; mais il y met une restriction: «‹ à moins, (dit-il ) qu'il n'y eût de la faute de » la part de ce propriétaire; comme si le feu » était survenu, faute par lui d'avoir fait les » réparations à la maison ou au four qu'il » avait donné à loyer, suivant l'arrêt (du » parlement de Toulouse) rapporté par » Boutaric.... ».

Le maitre est-il responsable, envers ses voisins, de l'Incendie arrivé par le fait de ses ouvriers?

Cette question revient, comme l'on voit, à celle de savoir si, par rapport aux Incendies, les ouvriers sont de la même condition que les domestiques, ou si l'on doit à cet égard les assimiler aux locataires?

On a déjà dit que du fermier au propriétaire, les ouvriers sont distingués, par Farinacius, d'avec les simples domestiques, et que cette distinction paraît avoir été approuvée par l'ancienne jurisprudence.

D'après cela, il semble que, dans l'ancienne jurisprudence, il ne devait y avoir aucune difficulté à dire qu'un père de famille n'était, envers les tiers avec qui il n'avait ni contracté ni quasi- contracte, responsable d'un Incendie occasionné par la faute de ses ouvriers, qu'autant qu'il eût été prouvé qu'il avait mis de la négligence dans le choix qu'il en avait fait pour travailler à son compte.

Il y a là-dessus un arrêt du parlement de Besançon, du 27 octobre 1707; il est rapporte par Dunod, dans une dissertation sur les Incendies, qui est insérée dans ses Observations sur la coutume du comté de Bourgogne, page 705, no. 6. « Cet arrêt (dit-il), rendu en»tre les nommés Pelletier et Martin de Gray, » jugea que Pelletier n'était pas responsable » de l'Incendie des écuries de Martin, où il » s'était communiqué depuis l'ouvroir de Pel» letier, bourrelier de profession. L'incendie » avait commencé par le feu d'une lampe qu'un »ouvrier y avait portée ».

C'est aussi ce qui paraît avoir été jugé par un arrêt plus récent, dont voici les circons

tances.

Le 4 avril 1779, un Incendie a consumé plusieurs arpens de bois, appartenant au sieur

de Ferrière. La veille, le nommé Gaspard, un des ouvriers occupés à essarter et défricher une pièce de terre contiguë au bois incendié, y avait allumé du feu pour détruire une fourmilière. Le sieur de Ferrière instruit que ces ouvriers travaillaient pour le compte du sieur Parvis, propriétaire de la pièce de terre, le fit assigner à la maîtrise des eaux et forêts en paiement du dommage causé par l'Incendie, et demanda que, pour constater l'état des lieux, il en fût dressé procès-verbal.

Une première sentence, du 23 avril 1779, ordonna, par provision, que le maître particulier des eaux et forêts se transporterait sur les lieux pour constater le délit, et recevoir les déclarations des habitans.

Ce transport eut lieu le 5 mai, et il en résulta deux faits certains: 1°. qu'il y avait eu un Incendie dans les bois du sieur de Ferrière; 2o. qu'il y avait eu du feu allumé la veille, à six heures du matin, dans une fourmilière, sur la pièce de terre du sieur Parvis, voisine du bois incendié.

En cet état, la cause fut plaidée, et le sieur Parvis soutint qu'il n'était point garant du délit de ses ouvriers, précisément parcequ'ils étaient ses ouvriers et non ses domestiques; que ce délit était étranger au fait de leur ouvrage, et que d'ailleurs il n'était point prouvé; que l'on prouvait, peut-être, qu'il y avait eu du feu sur la pièce de terre, que trente heures après, il y avait eu un Incendie dans le bois, mais non pas que l'Incendie du bois eût été occasionné par le feu de la seul fait dans lequel pouvait pièce de terre, exister le délit.

Cependant, les juges de la maîtrise ont accueilli la demande. Par sentence du 16 juillet 17So, ils ont entériné le procès-verbal du 5 mai 1779, et condamné les héritiers Parvis à payer au sieur de Ferrière, la valeur des bois incendiés.

Les héritiers Parvis ont interjeté appel de cette sentence. Leur défenseur a partagé ses moyens en deux propositions. Il a soutenu, 10. que,dans le droit, celui qui emploie un simple ouvrier, n'est point garant des délits que celui-ci peut commettre ; 2°. que, dans le fait, il n'était point prouvé que le nommé Gaspard fût l'auteur de l'Incendie.

Voici comment il a établi sa première proposition.

« La règle générale, le principe universel que la raison enseigne, que toutes les législations ont adopté, c'est que tout délit est personnel, que chacun est personnellement garant du délit qu'il a personnellement commis, et que l'auteur scul de l'offense doit la

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- Ainsi, dans la these générale, il ne peut y avoir action contre celui qui n'a ni commis le délit, ni participé au délit.

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› Cependant quelques exceptions ont été apportées à cette règle primitive; et les exceptions, envisagées sous un certain point de vue, sont moins des exceptions que des consequences même de la règle.

On a considéré, par exemple, que le père était censé commettre lui-même le délit, quand son fils mineur le commettait, parceque, le fils étant en la puissance du père, on devait imputer au père la licence et les écarts du fils.

On a considéré, de même, que le domestique étant aussi en la puissance du maître, le maître était pareillement responsable de ses faits, parcequ'il était censé l'avouer en négligeant de veiller sur lui, et en ne faisant point un meilleur choix.

» Mais, entre le maître et le domestique, les liens ne sont pas aussi étroits qu'entre le père et le fils; la puissance n'est la même ni pour sa nature, ni pour son étendue; aussi les règles ne sont-elles pas précisément les mêmes, et quelques différences dans les principes ont marqué la différence des espèces.

» Le maître n'a point été constitué le garant de tous les faits de son domestique, mais seulement de ceux qui sont relatifs au service; parceque ce n'est véritablement que dans les faits du service qu'il a la qualité de domestique. Hors de ces faits, il ne l'est point; il agit par lui-même, et pour lui-même : il est son propre maître.

» L'ouvrier forme encore une troisième classe distincte de celle du domestique.

» Payé à la journée ou à la tache, préposé à un ouvrage momentané, la règle devient plus étroite à son égard; et, comme il ne peut, dans aucun instant, être censé en la puissance de celui qui l'a préposé, comme il est toujours agissant par son propre fait et par sa seule volonté, jamais le maître ne peut être son garant, quelle que soit celle de ses actions dans laquelle se trouve le délit.

» Ainsi, en résumant ces principes, tout délit est personnel; voilà la règle générale.

>> Il existe une exception à l'égard du do mestique; le maitre est garant des délits qu'il commet dans les seuls actes du service.

>>Quant aux faits du journalier, ils ne donnent lieu à aucune espèce de garantie: le journalier demeure toujours son maitre à luimême; il est son propre garant.

» Ces idées sont simples et précises; c'est l'analyse fidéle des principes de la matière,

fixés par le texte des lois, par le sentiment des auteurs, et par le vœu de la jurisprudence. Nous allons parcourir rapidement ces trois objets, en les considérant, d'abord relative. ment aux domestiques, ensuite relativement aux ouvriers.

» La loi 5, D. de institorid actione, §. 11, porte: Non tamen omne quod cùm institore geritur, obligat eum qui præposuit; sed ità si ejus rei gratiá cui præpositus fuerit, contractum est, id est, duntaxat ad id ad quod eum præposuit.

» Parmi les auteurs, Coquille, l'un des plus judicieux, décide, quest. 174, que « les maî>>tres pourront être tenus des fautes de leurs » domestiques, s'ils délinquent en la charge » en laquelle leur maître a accoutumé de les >> employer, et non pas si en un autre négo» ce..........; et s'ils délinquent hors la charge, » il n'y a raison d'en rendre les maîtres res»ponsables; car il n'y a rien de leur faute ». « Les seuls délits (dit-il encore sur la coutume de Nivernais, tit. 29, art. 2) dont le maître soit tenu, sont ceux qu'il a comman des ou avoués, ou n'a empêchés, pouvant le faire: Si cùm prohibere posset, non prohibuit. Loi 3, D. de noxalibus actionibus; loi 45, D. ad legem Aquiliam.

» Entre une multitude d'arrêts qui ont consacré ces principes, on se contentera d'en citer deux qui sont familiers dans cette matière.

» Le premier, du 18 juillet 1698, est rapporté au Journal des audiences. Il s'agissait d'un vol de fruits commis par les domestiques d'un meûnier, à l'insu et sans la participation du maître. Le maître, qu'on voulait rendre responsable de ce délit, répondait que le fait dans lequel il consistait, n'était pas de la nature de ceux qui constituaient le service auquel illes employait ; que, si, par exemple, ils avaient volé ou gâté la farine de ceux qui venaient au moulin, il en serait garant; mais que, s'agissant d'un vol de fruits, ce fait était étranger à leur emploi, et ne pouvait lui être impute. L'arrêt adopta ces moyens, et renvoya le maître de la demande. Dans cette espèce, c'étaient des domestiques aux gages et en la puissance du maître, et non de simples ouvriers libres et indépendans.

» Le second arrêt, du 20 février 1657, est rapporté par Soefve; il a jugé que le maitre n'était pas tenu du fait étranger au service du domestique, lors même qu'il en avait favorisé l'évasion (tome 2, cent. 1, chap. 57).

» Voilà pour la question générale relative aux domestiques.

» A l'égard de la question particulière rela

tive aux ouvriers, elle est décidée d'une manière aussi positive, par Farinacius, l'un des oracles de la jurisprudence criminelle, par d'autres auteurs que cite Lacombe, au mot Incendie, et par Lacombe lui-même. Elle l'est encore par la jurisprudence des arrêts....

» Ainsi, deux principes également certains: l'un, que le maître n'est tenu des faits de son domestique, qu'autant qu'ils sont relatifs à son service; l'autre, qu'il n'est tenu d'aucun des faits de l'ouvrier, pas même de ceux qui sont relatifs à l'objet de son ouvrage.

» Appliquons ces principes à l'espèce. Gaspard n'était point domestique du sieur Parvis; c'était un simple ouvrier envoyé sur la terre pour défricher, et payé à la tâche, espèce d'entrepreneur de son ouvrage, qui pouvait le faire quand il voulait, et ainsi qu'il le voulait, et qui ne tenait au sieur Parvis par aucune sorte de lien personnel. Il était resté sui juris; il n'avait pas fait cette abdication partielle de sa liberté qui constitue la domesticité, qui identifie, jusqu'à un certain point, le domestique avec le maître, et qui, par une conséquence naturelle, opère contre l'un l'action en garantie des faits de l'autre. Il était dans le cas de la règle générale que tout délit est personnel, et que chacun est son garant à lui-même.

» Et quand Gaspard eût été le domestique du sieur Parvis, la demande en garantie ne serait pas mieux fondée. Le maître n'est garant de son domestique que pour les faits relatifs au service auquel il l'a préposé.

» Pour que les héritiers Parvis fussent ga. rans de l'Incendie, il faudrait donc que le fait par lequel il eût été occasionné, fît partie des fonctions dans lesquelles aurait consisté la qualité de domestique supposée à Gaspard. Ör, cette condition n'est point remplie. Gaspard n'eût été domestique que pour défricher; c'était l'objet unique de sa mission. Il n'était point envoyé pour allumer du feu, pour détruire la fourmilière; s'il s'est ingéré de faire l'un et l'autre, ce n'est point par l'ordre du maître, qui ne l'avouait pour son préposé qu'autant qu'il s'occuperait du fait unique du defrichement. Hors de ce fait, il n'avait plus de relation avec le maître ; il ne travaillait plus pour le maitre : hors de ce fait, la domesticité n'existait plus, il était sui juris ; il agissait pour lui-même, et conséquemment il était seul tenu de ses actions et de toutes leurs suites.

» Ainsi, Gaspard, considéré comme domestique, ne l'eût été que pour le fait matériel du défrichement; et tous les autres faits n'auraient pu donner une action contre le

maître. Mais il n'était pas domestique, il n'était qu'ouvrier; et tous ses faits, quels qu'ils soient, même ceux qui sont relatifs à son ouvrage, ne peuvent être à la charge du maitre».

C'est ainsi que le défenseur des héritiers Parvis a cherché à établir qu'en point de droit, ses cliens n'auraient pas dû répondre de l'Incendie du bois du sieur de Ferrière; quand même il eût été prouvé que cette Incendie avait été occasionné par la faute de Gaspard.

Il a ajouté, pour seconde proposition, que, dans le fait, il n'y avait contre Gaspard qu'une présomption résultant de la proximité du temps où il avait allumé du feu sur la terre du sieur Parvis et celui où le bois du sieur de Ferrière avait été incendié; mais que cette présomption n'était pas une preuve, et que ne suffisant pas pour faire condamner Gaspard personnellement, elle était, à bien plus forte raison, incapable d'opérer la con

damnation des héritiers Parvis.

Ces moyens ont fait, sur les juges d'appel, toute l'impression qu'en attendaient les héritiers Parvis. Par arrêt rendu au siége des eaux et forêts de France, au souverain, le 4 août 1781, la sentence de la maîtrise particulière a été infirmée, et le sieur de Ferrière a été débouté de toutes ses demandes avec dépens.

On voit bien, et tous les détails dans lesquels nous sommes entrés,prouvent clairement, que cet arrêt a pu être motivé par différentes circonstances; et qu'ainsi, on ne peut pas en argumenter sûrement pour la question considérée en général.

Mais du reste, quand cet arrêt aurait jugé, en point de droit, que les héritiers Parvis n'étaient pas responsables de l'Incendie causé par le fait de Gaspard, je ne crois pas que l'on ́ pût aujourd'hui s'en tenir à sa décision. Le défenseur des héritiers Parvis convenait, et l'art. 1384 du Code civil établit nettement que les maîtres sont responsables du dommage causé par leurs ouvriers dans les fonctions auxquelles ils les ont employés. Or, n'était-ce pas dans les fonctions auxquelles Gaspard avait été employé par le sieur Parvis, n'était-ce pas dans le cours du défrichement pour lequel il était salarié, que Gaspard avait mis à une fourmilière le feu qui avait gagné le bois dont il s'agissait? Sans doute, le sieur Parvis n'avait pas charge Gaspard de la destruction de cette fourmilière. Mais Gaspard n'avait mis le feu à la fourmilière, qu'à l'occasion et par suite du travail auquel le sieur Parvis l'avait appelé; et c'en était assez pour que le sieur Parvis en fût responsable. C'est ainsi que tout

maître répondrait d'un Incendie qu'auraient occasionné ses ouvriers, en fumant du tabac pendant leur travail. [ V. l'article Blessé, S. 3, no. 3. ]]

IX. Une des questions les plus controversées qu'il y ait sur le fait des Incendies, est de savoir si, dans l'incertitude comment le feu a pris à une maison, c'est au défendeur en dommages-intérêts à prouver que l'Incendie est arrivé sans une de ces fautes dont il doit répondre, ou si c'est au demandeur à vérifier le contraire.

Nous suivrons encore ici la distinction pro. posée plus haut entre ceux qui sont obligés par contrat ou quasi-contrat de veiller à la conservation de la chose incendiée, et ceux qui n'y sont pas tenus.

Dans l'Hypothèse du premier membre de cette distinction, si le défendeur en domma. ges-intérêts est un de ceux qui ne répondent que de leurs fautes lourdes, il paraît que, dans le doute, il doit être absous. La raison en est simple: la faute lourde est toujours assimilée au dol en matière civile: Magna culpa dolus est, dit la loi 226, D. de regulis juris. Or, il est certain que le dol ne se présume jamais ; et que celui qui l'allegue, doit toujours en donner la preuve: Qui dolo dicit factum aliquid, licet in exceptione, docere dolum admissum debet : ce sont les termes de la loi 18, §. 1, D. de probationibus. Ainsi point de difficulté dans ce premier cas.

Mais que doit-on décider par rapport à ceux qui répondent de leurs fautes légères ou trés-légères? Hic labor, opus est.

Mathieu de afflictis Gayl, Mascardus, Mynsingere, Christyn, Zoèz, Berlichius, Perez, Bouvot, Henrys, Voet et plusieurs autres auteurs, soutiennent que, dans le doute, on ne doit pas présumer la faute,

mais

le

le cas fortuit; en sorte que, suivant eux, demandeur en dommages-intérêts doit être débouté, s'il ne prouve pas que le défendeur, ou ceux dont il doit répondre, sont en faute. Cette opinion a été suivie par quelques arrêts du parlement de Dijon, cités par Bouvot, au mot Brulement, et par un du parle. ment de Flandre, du 9 juin 1690, rapporté par Deghewiet.

Les Chartes générales du Hainaut l'ont aussi adoptée, chap. 117, art. 8 et 9, en exceptant néanmoins le cas où le locataire aurait sousloué sans l'agrément du propriétaire.

D'un autre côté, Vinnius, Fachinée, Sande, Kinskot, Mollerus, d'Argentrée, Lebrun le criminaliste, Balde, Lublerus, Despeisses, Basnage, Rousseaud de Lacombe,

Pothier, en un mot la plupart des auteurs, sont d'avis que c'est au défendeur en dommages-intérêts à prouver que ni lui ni ses domestiques ne sont en faute; et qu'il doit être condamné, s'il ne justifie que le feu a pris par cas fortuit, ou qu'il a été communiqué par une maison voisine où il avait commencé.

Nous avons nous-mêmes suivi cette opinion au mot Bail, S. 7, no. 15; et elle a été confirmée par le plus grand nombre des arrêts in

tervenus sur cette matière.

Le Journal des audiences nous en fournit deux du parlement de Paris, des 3 décembre 1605 et 26 février 1614.

Basset, liv. 4, tit. 14, chap. 2, en rapporte deux du parlement de Grenoble, des 30 janvier 1648 et 26 février 1654.

Basnage en a conservé un du parlement de Rouen, du 11 décembre 1657.

Tous ces arrêts ont été rendus contre des

locataires en faveur de leurs bailleurs.

Telle est aussi, suivant le témoignage de Catellan, la jurisprudence du parlement de

Toulouse.

Deux arrêts récens prouvent que c'est encore celle du parlement de Paris; l'un est du 29 mars 1756, l'autre du 3 août 1777. Voici l'espèce du premier; le second sera mieux placé sous une question subsidiaire que nous traiterons ci-après.

Les moulins banaux de Charleville appartenant à M. le prince de Condé, ayant été incendiés pendant une nuit du mois de juillet 1754, sans qu'on pût découvrir la cause ni l'auteur de cet accident, le prince demanda que les fermiers-généraux de ses domaines de Charleville et leurs sous-fermiers fussent condamnés solidairement à les faire rétablir. De leur côté, les fermiers-généraux prirent des conclusions en garantie contre les sous

fermiers.

Par sentence des requêtes du palais, du 2 juin 1755, les fermiers-généraux et l'un des sous-fermiers furent déchargés; mais le sieur Pérard fut condamné à faire reconstruire les moulins brúlés, et même à en payer les fermages échus depuis l'Incendie, parcequ'il avait déclaré qu'il n'entendait faire aucune contestation, et qu'il s'en rapportait à la justice et à la générosité du prince.

Lesieur Pérard interjeta appel de ce jugement; et comme sa déclaration n'avait pas été acceptée, il prit des lettres de rescision pour la révoquer.

Le prince appela aussi du chef de la sentence qui déchargeait les fermiers-généraux et l'un des sous-fermiers.

On disait contre lui, qu'il ne pouvait être

imputé à ceux qu'il poursuivait, ni faute légère, puisque l'on ne connaissait pas la cause du désastre; que d'ailleurs on ne devait pas confondre des fermiers de moulins banaux avec des locataires de maisons, parceque personne ne peut entrer dans une maison particulière malgré celui qui l'habite, au lieu que les moulins banaux sont, par leur destination ouverts le jour et la nuit à tout le monde.

Le prince répondait que, par une présomption légale, on rejette sur le locataire ou fermier la cause de l'Incendie arrivé à la maison qu'il occupe, jusqu'à ce que le locataire établisse lui-même que l'embrâsement a eu une cause extérieure, telle que le feu du ciel, la malice des hommes, la communication du feu par une maison voisine, etc.; qu'on ne pouvait tirer aucune conséquence de ce que les moulins étaient banaux, parcequ'il résulte d'un procès-verbal en bonne forme qu'ils étaient fermés, qu'ils ne tournaient pas, et que le meûnier et sa femme étaient couchés au moment où le feu avait pris.

Sur ces raisons est intervenu l'arrêt cité, au rapport de M. Bochard de Saron, qui infirme la sentence, condamne les fermiers-généraux et les sous-fermiers solidairement, à faire reconstruire les moulins, et les sousfermiers à garantir les fermiers-généraux.

On ne peut pas citer d'autorités plus respectables pour établir que, dans le doute, c'est au défendeur en dommages-intérêts à justifier qu'il n'est point en faute mais des autorités ne sont pas des raisons; voyons donc sur quoi est fondée cette opinion et tâchons de répondre aux objections de ses antagonis

tes.

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La loi 3, S. I D. de officio præfecti vigi lum, porte que plerumque Incendia culpa fiunt inhabitantium. La loi 11, D. de periculo et commodo rei vendita, est encore plus formelle : elle déclare que Incendium sine culpá fieri non potest. Voilà donc une présomption légale que tout Incendie qui arrive dans une maison, a sa cause dans l'imprudence de ceux qui l'habitent: et commė, suivant les principes retracés plus haut, le maitre du logis ou père de famille qui est tenu par contrat ou quasi-contrat de veiller à la conservation de la maison, répond indistinctement des fautes commises par tous ceux qui demeurent avec lui, il ne doit point y avoir de difficulté à dire que c'est à lui à prouver que ni lui ni ceux dont il est responsable, ne sont en faute, et qu'à défaut de cette preuve, il doit être condamné.

A cette raison décisive sans doute, d'Argentrée, sur l'ancienne coutume de Breta

gne, art. 599, en ajoute une bien digne de considération; ses termes sont précieux : pro locatore manifesta ratio facit quia cùm dominus ædes suas alteri locaverit, non licet posthac domino inquirere quidin suo sed conducto fiat, nec ulla ratione sibi potest prospicere, nec curiosus esse debet quàm sedulis aut diligentibus servis, aut famulitio, conductor utatur; alieno enim ut suo conductor utitur, etiam dominum prohibendo. Quid igitur adferri potest cur non præstet quod non nisi ab eo caveri potest, non nisi ab eo aut familia admitti? Justa causatio locatoris hæc est, nisi tu conduxisses, ædes mihi meæ salvæ starent; ubi conduxisti, exclusisti me ne mihi prospicerem, ne prohiberem Incendium, quod te aut tuos immisisse necesse est, cùm aliundè non potuerit.

«Si cela n'était pas (ajoute Dulauri,dans son » Recueil d'arrêts du grand conseil de Ma»lines), jamais les locataires ne seraient res >>ponsables de l'Incendie des maisons qu'ils ha»bitent; car il serait très-difficile, pour ne pas »dire impossible,de prouver que le feu a pris »par leur faute : car, dans la maison, il n'y a »ordinairement que le locataire, sa femme, »ses enfans et ses domestiques, qui n'auraient »garde de dire la vérité; et quand ils la di>>raient, leur témoignage ne servirait de rien, »parceque ce cas n'est pas un de ceux où l'on » puisse admettre le témoignage des domesti»ques ».

De tous les auteurs qui ont soutenu l'opinion contraire, Voët est celui qui a mis le plus d'ordre et de clarté dans ses objections; elles sont au nombre de trois; en voici, avec les réponses dont elles paraissent susceptible.

Première objection. Les règles élémentai res du droit nous enseignent que la preuve doit toujours retomber sur le demandeur : et que, faute par lui de justifier ce qu'il avance, le défendeur doit être renvoyé absous.

Réponse. Cette maxime est, comme toutes les autres, sujette à bien des exceptions: une des plus notoires est pour le cas où le demandeur a en sa faveur la présomption de droit ; ce qu'on ne peut pas, dans notre espéce, contester au propriétaire, puisque les lois citées déclarent formellement que les Incendies sont toujours présumés venir de la faute de ceux qui demeuraient dans les maisons incendiées.

Deuxième objection. La loi 51, D. pro socio, met en principe, que tout homme est présumé exact et diligent, tant que le contraire n'est pas prouvé. Cette présomption

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