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SA 7979.02

HARVAND COLLEG

MAY 18 1923

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DEGRAND UND

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Tiens, vous voilà, Levat, il y a un siècle

qu'on ne vous a vu!

«

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«

1

J'arrive de Cayenne.

Ah, bah! Vous avez cependant bonne

mine, et c'est le troisième séjour que vous faites dans ce sacré pays. On n'y claque donc pas comme des mouches ?

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Paraît que non.

« Mais les condamnés? Vous ne risquez pas de vous faire << refroidir » par eux dans vos expéditions en forêt, sur les placers?

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« Ces refroidissements ne sont à craindre que sur les << fortifs» ou sur les boulevards extérieurs; là-bas, il n'y en a pas d'exemple.

«

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Voilà qui est bizarre: mais alors, c'est une colonie comme une autre, dont on peut parler sans se compromettre?...

«

Et dont on parlera beaucoup, croyez-moi, d'ici peu. >>....

Voilà, en raccourci, la manière dont les gens bienveillants vous accueillent au retour de la Guyane.

Comment en serait-il autrement?

Les ouvrages les plus accrédités dans le public et même les publications officielles, prennent en parlant de la Guyane, le ton de commisération discrète qui est de rigueur dans la chambre d'un mort. Reclus (1) déclare gravement que : « de toutes les possessions d'outre mer que la France s'attribue, nulle ne prospère moins que sa part des Guyanes: on ne peut en raconter l'histoire sans humiliation ».

On n'est pas plus aimable.

Ce qui est plus fâcheux, c'est que les ouvrages de vulgarisation les plus récents et les plus accrédités dans le public, forcent encore la note.

Voici par exemple ce qu'on lit dans l'Almanach Hachette de 1900, p. 228:

<< En l'état présent, la Guyane Française est un pays « de fonctionnaires, avec marins et soldats, et peut<< être 1.200 blancs, le dixième des immigrants de 1763; <<< une région où l'on ne cultive qu'infiniment peu, « mais où des aventuriers, des noirs mulâtres et créoles << des Antilles et des nègres du pays, lavent des pépites « d'or dans des criques au courant rapide; enfin un << grand pénitencier, qu'on a renoncé à peupler de forçats << de race blanche, vu l'inclémence du ciel et du sol; on << n'y expédie plus guère que des Arabes et des Anna<<< mites. Déportés avec leurs « gardes de corps »>, et <<< tous les fonctionnaires des pénitenciers, la guerre, la << marine, les colons, les chercheurs d'or, tout cela fait << à peine trente mille personnes >>.

N'ayant pas l'honneur d'être fonctionnaire, je me

(1) E. RECLUS. P. 72, 1894.

Nouvelle Géographie Universelle, tome XIX,

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trouve dans la pénible nécessité d'opter soit pour le bagne, soit pour la profession d'aventurier, pour ren-. trer dans la classification de l'Almanach.

Ce n'est d'ailleurs ni la première, ni la dernière fois que ma carrière aux Colonies et à l'Étranger m'attire les légitimes suspicions de ceux qui pensent et ils sont légion, encore que les Coloniaux sont peut-être pleins de qualités, mais qu'ils ont « une petite tache » comme les demoiselles riches qui cherchent un mari à la quatrième page des journaux.

La Guyane Française a donc, plus que toute autre Colonie, besoin d'être connue pour être appréciée à sa juste valeur. Depuis 1897, époque à laquelle j'ai commencé à lutter contre l'indifférence et même l'hostilité du public, d'incontestables progrès se sont accomplis. Les circonstances y ont aidé et les hommes aussi : c'est toujours le cas quand de grands changements se produisent; ils ne sont jamais l'oeuvre d'un seul. Deux Ministres des Colonies, MM. Guillain et Decrais ; M. le Gouverneur Mouttet, qui vient d'être placé, au grand regret de tous les Guyanais, à la tête d'une autre Colonie, son successeur, notre jeune et brillant Gouverneur par intérim, M. Émile Merwart; un Conseil Général qui, tant par sa composition que par la manière dont il gère les intérêts économiques et financiers de la Guyane, peut être cité comme un modèle, enfin un Député au Parlement qui s'est constamment montré soucieux des intérêts généraux de la Colonie, ont collaboré à la création du chemin de fer de pénétration de Cayenne aux placers, qui va changer radicalement les conditions de l'existence dans l'intérieur de la Colonie.

Par une heureuse coïncidence, c'est au moment précis, où cette question de création d'un moyen de

transport économique est résolue, que s'ouvrent des horizons nouveaux.

On découvre au début de 1901 de riches placers dans l'Inini, affluent du Maroni; en quelques mois, plusieurs milliers de travailleurs montent sur ce nouvel Eldorado, malgré des difficultés inouïes de transport. A la même époque (Avril 1901), on commence avec un plein succès le dragage des rivières aurifères, remplaçant ainsi les anciens procédés par des moyens mécaniques. Enfin, on découvre à Adieu-Vat un riche filon aurifère, donnant plus de 10 onces d'or à la tonne de quartz, dans lequel le métal précieux se trouve accompagné par du sulfure de bismuth et de la pyrite de fer, fait inconnu jusqu'ici en Guyane.

La Colonie se trouve donc à un tournant de son histoire. Il importe qu'on le sache dans la mère patrie. C'est le but que je me suis proposé en écrivant ces lignes dans lesquelles j'ai condensé les nombreuses conférences que j'ai faites sur la Guyane dans ces derniers temps. Je n'ai pas cherché à présenter un tableau détaillé et complet des ressources générales de la Colonie. Ce travail a été fait récemment d'une manière tout à fait remarquable, par M. Eugène Bassières, à propos de l'Exposition de 1900 et j'y renvoie les personnes qui désirent se documenter d'une manière exacte et complète sur la Guyane (1). Je me suis volontairement cantonné dans la question minière, car c'est là que se trouve la prospérité immédiate et l'avenir aussi brillant que certain de la Guyane Française.

Paris, le 1er Janvier 1902.

D. LEVAT.

(1) Notice sur la Guyane, par E. BASSIÈRES, Commissaire Adjoint de la Guyane à l'Exposition Universelle de 1900.- Paris 1900.

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