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La force morale qu'en recueillit la royauté carlovingienne est incontestable; mais celle-ci ne fut pas en reste avec la papauté. Elle contracta envers celle-ci des obligations que Rome sut lui rappeler au moment voulu. Pour l'instant, elle obtint d'être débarrassée des Lombards, elle se fit donner un pouvoir temporel. En 756, le roi des Francs remet les clefs de vingt-deux villes entre les mains du pape; il est vrai que, quelque temps auparavant, Etienne II avait écrit aux Francs : « Selon la promesse qui nous a été faite par le Seigneur Dieu, notre rédempteur, je vous prends entre toutes les nations, vous, peuple des Francs, pour mon peuple spécial. »

Cette collaboration intime de la papauté et de la royauté capétienne aboutit, comme c'était le dessein secret de Rome, à la fondation de l'empire chrétien de Charlemagne; mais cette création, contraire aux tendances de l'Europe à se former en nationalités distinctes, est bientôt anéantie et Rome, qui a échoué du côté des Francs, renouvelle sa tentative de concert avec les princes germaniques.

Cette attitude de la papauté facilite le développement des tendances du clergé français à se créer une vie propre, indépendante de Rome.

La royauté carlovingienne continue à trouver son principal appui dans le clergé. Charlemagne a réorganisé l'Eglise. Il a conservé, et même accru, l'autorité administrative des évêques. Certes, cette puissance abandonnée au clergé n'est pas sans dangers. Grâce à ce pouvoir politique considérable, l'Eglise accrut encore ses biens. En 851, le concile de Soissons obtint que certains crimes, entre autres l'inceste, soft soumis à la juridiction ecclésiastique. Hugues Capet conserve avec les dignitaires de l'Eglise une union intime. La féodalité refuse à la royauté capétienne son appui. Celle-ci trouve dans la société ecclésias

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tique la base de son action et les ressources nécessaires à son établissement. Il s'agit de lutter contre les éléments anarchiques de la féodalité; les évêques et les abbés favorisent la tendance de la royauté nouvelle vers la centralisation et l'unité; ils sont les membres actifs des assemblées administratives et judiciaires; ils fournissent au roi des subsides et même des ressources pour la guerre.

Mais cette collaboration intime de la royauté et de l'Eglise ne favorise nullement les prétentions romaines. Malgré les tentatives que fera Rome pour se rapprocher de la France, après les déboires de sa politique germanique, il lui faudra patienter jusqu'au concordat de Bologne (1516) pour ressaisir son influence prépondérante dans les affaires intérieures de notre pays.

Elle s'est faite d'ailleurs de plus en plus arrogante avec Grégoire VII. Elle a accru ses prétentions à la domination universelle. Elle les a précisées dans des textes définitifs, dans des formules, sous des images. Seul, le pontife romain peut être appelé œcuménique. Son nom est unique dans le monde. Il ne peut être jugé par personne. L'Eglise romaine ne s'est jamais trompée et ne se trompera jamais. Le pontife romain a le droit de déposer les empereurs. Il y a ainsi vingt-sept propositions, qui affirment à la face du monde, la suprématie du pape sur l'Eglise et sur les princes.

Ces principes n'ont pas été inventés de toutes pièces par Grégoire VII. Ils sont en germe dans le droit canonique et dans les décisions antérieures des conciles; mais c'est ce pape, célèbre à juste titre dans l'histoire de l'Eglise, qui a coordonné ces éléments divers et a dressé le monument juridique de la théocratie romaine.

Armée de cette charte théorique de ses droits, la

Papauté a voulu en appliquer les principes au gouvernement des sociétés. Elle a voulu établir son autorité indiscutée sur les évêques et les prélats de toutes les nations chrétiennes. Mais elle a trouvé en face d'elle les princes, qui, par un usage consacré, avaient conservé la nomination aux grades ecclésiastiques.

La guerre qui s'en suivit entre la Papauté et la royauté germanique est demeurée célèbre sous le nom de Querelle des investitures. Sans doute, Rome fut finalement vaincue; mais à la suite de quelles luttes !...

...

Au début de cette querelle, Grégoire VII avait déposé Henri IV, en des termes que l'Histoire a conservés et qu'il n'est pas inutile de citer ici : « Pour l'honneur et la défense de ton Eglise, disait-il, au nom du Dieu tout-puissant, du Père, du Fils et du Saint-Esprit, par ton pouvoir et ton autorité, je nie au roi Henri, qui s'est insurgé avec un orgueil inouï contre ton Eglise, le gouvernement de l'Allemagne et de l'Italie; je délie tous les chrétiens du serment de fidélité qu'ils lui ont prêté ou qu'ils lui prêteront; je défends que personne ne le serve comme on sert un roi. » Quelque temps après, Henri IV faisait pénitence; il allait à Canossa, accordant à la papauté la plus belle victoire qu'elle ait jamais remportée sur une puissance temporelle.

En France, Philippe Ier ne laissa point Grégoire VII s'immiscer dans sa politique intérieure. Avant lui, Hugues Capet avait défendu contre la Cour de Rome l'indépendance de ses églises. Au Concile de Saint-Bast avaient été proclamées les libertés gallicanes. Mais cette attitude s'expliquait par le fait que la papauté n'était alors qu'un instrument entre les mains des empereurs germaniques et qu'il eût été dangereux de favoriser l'intervention d'influences étrangères.

Avec Philippe Ier, la situation a changé. Les papes ont rompu avec l'Empire germanique et ils ont entrepris la réforme morale du clergé, abandonné à tous les abus, à toutes les déchéances, à tous les vices. Cependant Philippe Ier résiste. Quelques années après, Louis le Gros se montre moins énergique dans la lutte contre Rome. Malgré tout, il maintient résolument son droit d'intervention dans les élections ecclésiastiques. Philippe-Auguste (1180-1223), tout éclatant du prestige de ses victoires, accentue encore cette tendance. Il contraint les évêques à se présenter devant sa cour de justice. Il leur enjoint de participer aux frais de la guerre; soucieux de mettre obstacle aux ingérences pontificales il ne craint pas d'engager pour cela la lutte avec Innocent III; en un mot, il prépare la naissance d'un esprit laïque et national, en opposition avec les prétentions de la théocratie romaine. Saint-Louis continue son œuvre et ce monarque très chrétien fut un des plus fervents défenseurs de la société laïque.

Loin de plier devant la papauté, il obtient d'elle des concessions. Sous son règne, les ecclésiastiques sont astreints à payer les décimes, douzièmes et centimes. C'est le moment héroïque des Croisades. Le clergé est appelé à prendre sa part des charges qu'elles occasionnent. Saint-Louis obtint aussi que les clercs mariés ou commerçants soient enlevés à la juridiction ecclésiastique.

C'est sous le règne de saint Louis que vécut Guillaume II, cet évêque de Paris qui aurait plutôt sacrifié les intérêts de Rome que ceux de la politique royale.

Les tendances antiromaines de saint Louis étaient tellement connues qu'on lui a attribué la paternité d'un document, considéré aujourd'hui comme apo cryphe, et connu sous le nom de pragmatique sanction

de saint Louis ou Edit sur les élections ecclésiatiques et les libertés gallicanes.

Que ce document ait été rédigé sous l'inspiration du roi très chrétien ou qu'il ait été composé plus tard de toutes pièces au moment où il s'agissait de préparer et de rendre possible la pragmatique sanction de Bourges, il est une chose certaine c'est que Saint Louis n'en aurait contesté ni l'esprit ni les expressions.

Ce document si intéressant pour l'histoire des origines du gallicanisme débute ainsi : Ludovicus, Deo Gratia rex Francorum, et le commentateur qui croit à l'authenticité de la pragmatique, fait remarquer, en une note, que « les princes de la troisième race se dirent rois par la grâce de Dieu, non seulement par piété, mais encore pour marquer leur autorité souveraine et leur indépendance des papes, qui s'étaient, vers ce temps-là, arrogé, sans apparence de raisons, le prétendu droit d'excommunier les souverains, et de disposer de leurs royaumes ».

Il n'est pas sans intérêt historique de marquer ici l'importance essentielle de ce simple petit détail.

Quelle était, à l'époque de Clovis, la conception que se faisait la papauté de ses rapports avec les princes temporels? On connaît la comparaison, chère à la papauté, entre le soleil et la lune, entre l'Eglise romaine qui éclaire le monde et la royauté qui en reçoit les rayons. Une autre figure illustre les théories romaines de la subordination des rois à l'égard de la papauté : « Il y a deux glaives: le glaive spirituel et le glaive temporel; tous les deux appartiennent à l'Eglise; l'un est tenu par elle, par la main du pape; l'autre est tenu pour elle par la main des rois, tant que le pape le veut ou le souffre. En outre, l'un des glaives doit être subordonné à l'autre, le temporel au spirituel. »><

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