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Ces théories se sont manifestées dans la plupart des conciles de l'époque. A aucun moment la papauté n'a admis qu'il y eut égalité de droits entre les deux pouvoirs.

C'est donc une nouveauté, qui caractérise bien la conception des rois de la dynastie capétienne que cette prétention de recevoir directement de Dieu la grâce qui les consacrait rois. Bossuet en tirera plus tard tal de beaux effets. Nous les notons ici comme une première étape décisive vers la fondation en France d'une Eglise gallicane, indépendante du pouvoir romain.

Les différends célèbres entre Philippe le Bel et Boniface VIII vont nous permettre de déterminer encore la marche ascendante des idées gallicanes. Elles vont prendre corps, s'organiser en système, grâce au patriotisme des légistes.

Philippe le Bel déclarait net, dès 1297, qu'il ne tenait sa royauté que de Dieu seul. Il affirmait ainsi, de façon catégorique, l'indépendance du pouvoir temporel. Il montra bientôt comment il prétendait se libérer de la domination envahissante des pontifes romains.

Le pape venait de lancer la bulle dite clericis laïcos, par laquelle il interdisait à tout ecclésiastique de rien payer à un laïc sans y avoir été autorisé par le Saint-Siège, et cela sous peine d'excommunication. Prétention plus étonnante encore: Rome frappait d'interdit les villes qui imposeraient le clergé.

Philippe le Bel prit une décision capable de faire réfléchir la papauté. Il interdit toute exportation d'or et d'argent hors du royaume. C'était réduire à néant

les ressources que Rome recevait de son Eglise de France.

Le pape protesta, puis céda. Il est vrai que vingttrois évêques français le suppliaient de revenir sur sa précédente bulle. Il autorisa la perception, par les laïcs des droits féodaux, qu'autorisaient les coutumes du royaume. Les dons d'argent et les prêts, consentis à des laïcs, par les prélats, furent punis. Le roi de France put lever, dans certains cas, des subsides sur le clergé. Le pape alla même jusqu'à remettre à Philippe une partie de la collecte de Terre sainte et une année des revenus des bénéfices vacants, et le garantit de la censure ecclésiastique. Quelques années après, de nouvelles difficultés se présentent. Elles atteignent un état aigu. Philippe est amené à faire ouvrir, devant la cour de Senlis, une procédure contre le pape, pour « lèse-majesté, rébellion, hérésie, blasphème, simonie ». Mais le pape accuse Philippe de a tyrannie, mauvais gouvernement, fausse monnaie ». Dans une grande assemblée, à Notre-Dame, le roi affirme la doctrine de l'indépendance absolue du pouvoir royal; Boniface VIII répond que « toute créature humaine est soumise au pontife romain ». Des lettres frappant Philippe d'excommunication sont envoyées en France. On saisit le porteur des lettres à Troyes; on le jette en prison après l'avoir dépouillé. Le pape prétend, par une bulle, détacher sept princes ecclésiastiques de la France et les dégager de toute fidélité au roi capétien. Un complot contre Boniface VIII est organisé par de Nogaret. Le palais pontifical d'Amagni, où se trouvait le pape (été 1303), est envahi. Boniface déclare qu'il aime mieux renoncer à la vie qu'à la tiare ». Il mourut quelques jours plus tard, à Rome.

Les années qui suivirent consacrèrent le triomphe définitif de la royauté capétienne. Le vou intime de Philippe le Bel avait toujours été de supprimer l'or

dre militaire des Templiers. Il y parvient. Les Templiers étaient riches à l'excès. Ils avaient ouvert des crédits, pratiqué l'usure, leurs caisses regorgeaient d'argent, on les poursuivit comme hérétiques, les Dominicains les interrogèrent à la mode inquisitoriale. Leurs biens furent mis sous séquestre; 137 frères passèrent par le fer et par le feu.

Un moment il y eut du flottement. La papauté était récalcitrante. Alors, Philippe ressuscita son idée de poursuivre Boniface VIII. Il était mort. On fit le procès de sa mémoire... Finalement, tout s'arrangea. Boniface VIII ne fut pas considéré comme hérétique, mais les Templiers furent sacrifiés. On prononça la suppression de l'Ordre en concile de Vienne (13111312). Philippe s'empara du numéraire, et convertit en caisse royale la caisse du Temple.

Au cours de cette époque troublée, parallèlement aux actes, se développent les idées qui les expliquent, les principes d'un droit national opposé aux prérogatives de Rome. C'est pendant les luttes dont nous venons de donner une très brève impression, entre Philippe le Bel et Boniface VIII, que, pour la première fois, le roi de France en appelle des décisions du pape à un concile général. La supériorité des conciles nationaux, par rapport au Saint-Siège,deviendra une des thèses les plus chères du clergé gallican.

Nous ne sommes pas encore au moment de la déclaration gallicane de 1682; nous ne sommes même pas encore à la pragmatique sanction de Bourges; mais nous constatons l'élaboration doctrinale de ces deux actes essentiels dans l'existence de l'église libre de France. Les légistes de l'an 1300, les Guillaume de Nogaret, les Pierre Flotte, les Enguerrand de Marigny préparent, dans leurs écrits et par leurs actes, les événements importants qui vont suivre. Tandis que Philippe le Bel posait, sur le terrain des faits, le

grave problème de la séparation de l'Eglise romaine et de l'Etat, ses conseillers légistes le posaient sur le terrain des idées.

Nous passerons sur les événements qui suivirent. Ils sont importants cependant pour l'histoire de la papauté. C'est le grand schisme d'Occident, d'abord bicéphale, puis tricéphale. Ce sont les conciles qui, peu à peu, s'établissent en limitateurs de la puissance romaine. C'est le concile de Constance qui, en en 1418, malgré la fuite du pape, se déclare œcuménique et proclame que « tout chrétien, y compris le pape, lui doit obéissance pour ce qui concerne la foi, l'extinction du schisme et la réforme générale de l'Eglise, dans son chef et dans ses membres. » C'est le concile de Bâle (1431), qui abolit l'impôt des annates, principal revenu des papes.

Eugène IV, alors pape, adresse une encyclique aux princes de l'Europe, disant qu'un concile a émis la prétention de porter atteinte à ses prérogatives et de diriger l'Eglise, en ses lieu et place. Il transfère le concile à Ferrare. Celui de Bâle se maintient et nomme un antipape.

Quelle est, dans le conflit, l'attitude du roi de France? Elle est d'un homme prudent, d'un politique avisé. Charles VII se déclare pour Eugène IV; mais, au même moment, il travaille à recueillir, dans les décrets de Constance et de Bâle ce qui peut être favorable aux théories gallicanes, et avec ces éléments il crée le statut nouveau de l'Eglise de France, la pragmatique sanction de 1438.

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La pragmatique sanction.

Charles VII avait

déjà eu l'occasion, à plusieurs reprises, de faire montre de sentiment nationaux dans la question des rap

ports entre l'Eglise de France et la papauté. Un des commentateurs de la pragmatique constate que, tout jeune encore, il n'était encore que dauphin, Charles VII ayant été chargé du gouvernement publia, en mars 1418, sous le nom de son père, des lettres qui rétablissaient l'ancien droit des Eglises de France et du ́ Dauphiné, relativement aux élections et collations des bénéfices, « sans aucun égard aux réserves expectatives et aux autres prétendus droits de la Cour romaine, dont il ordonnait de faire cesser les exactions ».

Plus tard, Charles VII avait aussi publié d'autres lettres relatives à la collation des bénéfices, « non par rapport à l'ordre des nominations mais par rapport aux personnes qui pouvaient être nommées ». De tout temps, constate le commentateur, les rois de France. avaient défendu qu'aucun étranger ne fût reçu à aucun bénéfice du royaume (lettre du 10 mars 1431). Mais leur défense avait été mal observée. Charles VI l'avait renouvelée dans des lettres adressée au Concile de Constance. Charles VII en fit, dans la suite, comme nous le disons, signifier de semblables. Le pape favorisait le parti anglais « donnant les bénéfices dans les Etats de Charles à ceux qui tenaient ce même parti. Depuis qu'Eugène IV avait succédé à Martin V, Charles l'avait fait prier de conférer les bénéfices considérables et de dignité « aux personnes nobles et de grand mérite, de la loyauté, prud'hommie, prudence et littérature desquels il était dûment informé ». Mais Eugène continuait de donner les bénéfices à des étrangers et, même parfois, à des ennemis du roi, « ce qui était préjudiciable à l'Etat, et même dangereux, car, par là, non seulement les finances passaient en mains ennemies, mais des forteresses importantes, dépendantes de grands bénéfices, se trouvaient confiées à des personnes qui pouvaient en abuser ».

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