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que la France venait de conclure un accord avec le pape; or la France de la Révolution ignore Rome; elle ne saurait négocier avec le maître de l'Eglise.

Mais, par ses règlements de police, Bonaparte ne doutait pas de voir se calmer l'émotion des révolutionnaires. Le Concordat devait lui attirer les bonnes grâces de l'Eglise; ultérieurement il présenterait son interprétation de l'acte consenti avec la papauté, le correctif nécessaire, tous les tempéraments propres à faire de l'Eglise l'esclave docile de l'Etat.

On comprend que le premier consul n'ait trouvé aucun besoin de dévoiler sa pensée entière. Il le ferait seulement le jour où le pape serait pris, pieds et poings liés, dans le piège du Concordat. D'ici là, il lui paraissait politique de laisser le champ libre à la cour de Rome, de l'encourager même à se donner des airs d'autorité souveraine.

DU CONCORDAT AU SYLLABUS

Comme l'organisation concordataire de l'épiscopat pressait, Napoléon fit des efforts pour que le pape usât sans tarder des prérogatives que lui conférait l'accord de 1801. En effet, il était temps que la nouvelle Eglise fût organisée sur les bases solides que l'on avait prévues. Mais rien n'était moins facile. Pour nommer des évêques, n'était-il pas nécessaire d'obtenir la démission des occupants? Or, Bonaparte avait à cœur de réserver l'honneur épiscopal aux anciens constitutionnels; tandis que Rome ne pouvait se décider à les faire rentrer dans la communion de l'Eglise, s'ils ne se soumettaient pas aux formalités humiliantes de l'abjuration publique de l'erreur gallicane. Sur ce point, Rome se montrait irréductible. Pour lui forcer la main, Napoléon tenait en réserve ses fameux articles organiques, dont il fit donner lecture au légat du pape, dès que celui-ci eut légitimé les nouvelles circonscriptions diocésaines et rendu possible le fonctionnement régulier de l'Eglise concordataire.

Quelle est donc l'économie générale de ces articles organiques, que Napoléon considérait comme le chefd'œuvre de ses ressources astucieuses? Etaient-ils réellement de nature à mettre en échec l'autorité romaine?

Ce serait une grave erreur de le croire. Un siècle d'expérience a démontré la fragilité et l'insuffisance de ces précautions que le Saint-Siège n'a jamais voulu reconnaître.

En premier lieu, Napoléon céda aux instances du

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pape, qui se refusait à observer toutes les prescriptions du règlement. Ainsi l'article 17 ordonnait l'information pour les candidats à l'épiscopat par-devant l'ordinaire du lieu de leur résidence. Rome qui se considère comme «la source de l'épiscopat», ne souffre pas de rester en dehors de l'acte préparatoire à l'institution canonique, puisque cette institution est le lien avec lequel elle a toujours tenu en laisse le monde chrétien et les empires. La question était donc d'importance; le pouvoir du Saint-Siège en France en dépendait. Néanmoins, Napoléon se rangea à l'avis du pape

Ensuite, quelles étaient les innovations de ces articles? L'enseignement des quatre propositions du clergé? Mais ce n'était point une invention de l'esprit révolutionnaire, puisqu'elles dataient de 1682; et, par la suite, d'ailleurs, certaines des dispositions, qui émanaient de cet esprit, tombèrent en désuétude.

Cependant, il est indéniable que, sur certains points, le nouveau règlement affirme la prépotence du pouvoir laïque. Mais, après les années que la France venait de vivre, et qui avaient consacré dans les mœurs un nouvel état de choses, les législateurs ne pouvaient pas suivre une marche opposée aux tendances de l'opinion publique.

Enfin, cette loi sur la police des cultes n'est pas le contrepied du Concordat lui-même, ainsi qu'on aurait voulu le faire entendre. Le Concordat, au dire des intéressés, satisfait pleinement les besoins de la religion; au culte, il assure la liberté et la sûreté, il lui accorde des temples et des ministres. Les articles organiques ne démentent d'aucune manière ces dispositions. D'autre part, l'accord de 1801 est exempt de matière bénéficiale; le clergé peut, de lui-même, pourvoir au nécessaire, le superflu seul est interdit.

Le règlement de 1802 reste aussi étranger à cette. question.

En outre, ce soi-disant correctif de la convention avec Rome ne répare pas ce qu'avait d'anti national cet acte quand il stipule que le Gouvernement français doit nommer les évêques dans un délai donné, alors que le pape n'a point de terme pour instituer. C'était mettre la France en état d'infériorité vis-à-vis de Rome.

Avec le pape, Napoléon essaya de jouer au plus fin; mal lui en prit. Sa soi-disant Eglise, qu'il voulait docile à ses ordres, ne fut rien autre que romaine. Jamais, même au temps de la monarchie, elle ne se montra plus dépendante du Saint-Siège; dépouillée de ses biens temporels, comment aurait-elle pu vivre en dehors des volontés de Rome? Elle était une indigente à qui il n'était plus possible de se tracer librement un plan d'existence conforme à ses goûts, à son tempérament.

Napoléon a donc mis entre les mains du pape une arme dangereuse pour la France. Le salaire, loin de produire un lien d'attachement entre celui qui le donne et celui qui le reçoit, contribue plutôt à les éloigner l'un de l'autre. En 1801, cette vérité n'était pont sensible. On a voulu assimiler le clergé aux autres serviteurs de l'Etat; le clergé a d'abord protesté, sa dignité lui faisant un devoir de refuser ce qu'il considérait comme une aumône; par la suite il a bien voulu consentir à recevoir le salaire, mais il se vengea en se dévouant tout entier à Rome contre la France.

Cependant Rome crut de bonne foi avoir été jouée, quand elle connut les articles organiques. Dans le consistoire de 1802, le pape formula véhémentement ses plaintes contre un règlement de police élaboré et édicté sans son consentement. Mas il n'eut garde de

mécontenter le premier consul, le Concordat dépassant ses espérances.

Les démêlés de Napoléon Ier avec le pape n'entrent pas dans le cadre de ce rapide exposé historique. Quels sont les actes législatifs qui sanctionnent les relations de l'Etat avec Rome ? Telle est la question. que jusqu'ici nous avons eu en vue et qui, au début dụ nouvel état de choses créé par le premier consul, sacré empereur, revêt à nos yeux une importance spéciale, puisque nous entrons dans la période contemporaine de ces relations.

Le pape, en retour de la consécration religieuse du nouvel empereur, comptait bien recevoir Bologne, Ravenne et Ferrare; en outre, il espérait, à brève échéance, de la magnanimité de Napoléon, le rétablissement des ordres religieux et l'abolition des articles organiques. Sa déception fut cruelle, car il n'obtint rien et, dès ce jour sans doute, il n'aspira qu'au retour des Bourbons. La prise d'Ancône exaspéra encore davantage ses sentiments d'hostilité à l'égard de l'empire. Plus tard, l'occupation de Civita-Vecchia mit le comble à son indignation. Le mariage de raison entre l'Eglise et l'Etat avait eu pour effet, presque immédiat, de susciter querelles sur querelles. Napoléon, il est vrai, était un prince trop remuant; mais, de son côté, le pape apportait tout son mauvais vouloir à l'expédition des affaires religieuses de la France. Et ce n'est point tant parce qu'il en avait contre l'empereur, mais bien plutôt parce que traiter avec l'autorité laïque lui était insupportable. Lorsqu'il réclamait avec tant d'insistance la restitution de toutes les parties de son domaine temporel, c'était pour que l'intégrité de son autorité spirituelle sur son armée cléricale ne fut pas atteinte par une diminution de sa puissance matérielle et qu'il pût mieux écraser les Etats du poids de sa domination. Dès qu'il lui paraît

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