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"de quelques hommes. Un orateur de la minorité dit que c'est au peuple qu'il faut demander secours si l'on est en péril ; que le peuple suffit à tout : le rapporteur déclare que le peuple, c'est l'insurrection, et que la proposition est dirigée autant contre lui que contre le pouvoir exécutif.

Les républicains ne pouvaient hésiter, ils votèrent en masse contre la proposition. Elle fut rejetée.

pro

On a dit qu'ils donnèrent ainsi l'armée à l'assassin de Boulogne. Nous n'en croyons rien. Le rejet de la position des questeurs n'a pu revêtir la dissolution de l'Assemblée d'un caractère légal aux yeux de personne. L'armée a parfaitement su qu'en soutenant les décembriseurs, elle violait la Constitution; les hommes les plus notables "du grand parti de l'ordre" le lui ont dit solennellement, et elle a répondu en les arrêtant comme de vils démagogues. Le 2 Décembre est une conjuration militaire, ni plus ni moins, un coup de main de prétoriens renouvelé du Bas-Empire en plein dix-neuvième siècle. La corruption des généraux l'a commencé, la stupide et abrutissante doctrine de l'obéissance passive l'a consommé. Quel qu'eut été le vote du 17 novembre, les conspirateurs n'auraient pas moins commandé le crime, ils en avaient besoin; les officiers subalternes n'auraient pas moins répondu, comme ils l'ont fait : "Nous avons des ordres. Le vote de la proposition ne les eût pas dégagés à leurs propres yeux de l'obéissance aux chefs dont on a fait pour l'armée un principe supérieur à la loi. Après tout, l'armée eût pu céder devant le peuple et la garde nationale, s'ils se

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fussent montrés comme en 1830 et en 1848; elle n'eût jamais obéi à une Assemblée méprisée.

Mais en supposant même que les troupes réunies à Paris ne fussent pas vendues par les traîtres qui en disposaient au nom de l'obéissance passive comme un cavalier dispose de son cheval; en supposant même que l'adoption de la proposition des questeurs eût réellement fixé les baïonnettes d'un côté plutôt que de l'autre, le vote de la démocratie ne devait pas moins être ce qu'il a été. La minorité se trouvait en face de deux ennemis également hostiles à la République, son devoir était de ne pas fortifier le plus redoutable. Si l'on mettait le peuple hors de cause; si l'on ne voulait pas laisser le suffrage universel dans sa plénitude et son intégrité décider de l'avenir; si toute la question se réduisait là : "A qui le canon?" pourquoi le donner à

une Assemblée dont les tendances et le but ne se déguisaient plus, à une Assemblée qui l'aurait tourné contre la République avec une apparence de legalité, contre le rétablissement du droit de réunion et de la liberté de la presse qu'elle avait supprimés, contre la restauration du suffrage universel dont elle venait, à l'instant même de maintenir la mutilation. Mieux valait, nous le croyons encore aujourd'hui, laisser cette force brutale et aveugle du canon au Président, qui ne pouvait en user qu'en foulant aux pieds toutes les lois divines et humaines.

A vrai dire, d'ailleurs, nous ne pensions pas qu'elle se mettrait si aisément à ses ordres; nous suppo

sions qu'il y avait plus d'honneur et de loyauté, moins de démoralisation et de cupidité dans l'état-major de l'armée française; nous n'imaginions pas que des personnages de l'espèce de MM. Persigny et Bonaparte y trouveraient jamais assez de traîtres pour une entreprise dont la criminalité n'était et ne pouvait être douteuse pour qui que ce fût au monde ; nous jugions le palais de l'Assemblée imprenable; nous croyions que le prétendu neveu de l'Empereur, au lieu de devenir un triomphateur atroce, comme il l'a été à Paris, resterait un aventurier ridicule, comme il l'avait été à Strasbourg et à Boulogne.

Quant à nous, personnellement, la question fût-elle encore à vider, nous voterions toujours de même. Nous sommes convaincu qu'en enlevant au successeur du traître du 18 brumaire, par le refus de la proposition des questeurs, jusqu'à l'apparence même d'un prétexte pour son coup-d'état, qu'en le condamnant à faire du brigandage par la force brutale, le mensonge et l'assassinat, qu'en provoquant les plus nombreuses protestations armées qu'ait jamais rencontrées aucune usurpation, les représentants républicains ont rendu le bonapartisme impossible et préparé une voie sûre à la révolution prochaine.

Nous avons esquissé la situation telle que l'avait faite la majorité de l'Assemblée. Si nous avons été clair, on s'expliquera plus facilement l'incroyable succès des parjures du 2 Décembre. Les intrigues des factions royalistes leur avaient aplani les voies; elles avaient

pratiqué, de complicité avec eux, les brêches par où ils sont entrés tout seuls.

La conjuration devait-elle rencontrer de plus grands obstacles dans la nation? Non. Depuis longtemps les menées et les infâmes calomnies de la réaction avaient jeté la France dans un état d'inquiétude fiévreuse. Ses deux grandes fractions, la bourgeoisie et le peuple, étaient profondément divisées. La bourgeoisie craignait le peuple. Le peuple, offensé de ces doutes, se méfiait de la bourgeoisie. De là, leurs hésitations; de là, leur inaction qui a donné la victoire au crime! La bourgeoisie a dit "Oui, cet attentat est exécrable, mais, maintenant que l'on a commencé la guerre civile, cela ne peut plus finir que par une révolution, et une révolution, c'est l'avénement des brigands, des niveleurs, des partageux, des ennemis de la famille et de la propriété, des enfants de la guillotine !!! Attendons." - Le peuple a dit de même dans un sens contraire : "Le dé est jeté, si le président est vaincu, c'est la dictature de la majorité parlementaire, c'est la toute-puissance des royalistes, des transporteurs, des intrigants, des égoistes et des Trestaillons? Laissons faire." Et l'attentat n'a ainsi trouvé de résistance que dans les hommes les plus dévoués de la bourgeoisie et du peuple. Ils ont été vaincus par 120,000 soldats!

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Que la leçon nous profite à tous le peuple et la bourgeoisie doivent être unis. Alliés, ils résisteront sans peine à tous les usurpateurs et à toutes les armées. Ennemis, ils tomberont ensemble sous le sabre des prétoriens ou sous l'éteignoir des Jésuites.

Arrêtons-nous encore un instant au seuil de cette lamentable histoire, et que le lecteur recueille ses forces pour nous y suivre. Nous l'en prévenons, le cœur lui manquera plus d'une fois en route. Il éprouvera comme nous ces défaillances que cause le dégoût. Mais qu'une pensée consolante, toujours présente à ses yeux, le relève et le fortifie. Le 2 Décembre est un accident, malheureux, funeste, mais ce n'est qu'un accident. La Révolution n'est pas finie. Commencée il y a soixante ans, elle poursuit sa marche nécessaire à travers victoires et défaites; elle accomplira son œuvre : la fondation de la Ré... publique démocratique, le meilleur des gouvernements, parcequ'il est celui de tous, par tous et pour tous.

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