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militairement jusqu'à Plaisance et arrivèrent au Port-auPrince le 19 mars.

Quelques jours après, le Président RICHÉ reçut l'adhésion du général BOBO et des habitants de l'arrondissement du Limbé à son avènement au pouvoir. Le Limbé n'est situé qu'à six lieues du Cap-Haïtien. Quand la nouvelle de son adhésion à la révolution parvint à PIERROT, celui-ci réunit au Palais National ceux des conseillers d'Etat qui étaient du Nord, ainsi que les autorités civiles et militaires, et leur déclara qu'il se démettait du pouvoir entre leurs mains. Mais le général HYPPOLITE, président de son Conseil des Secrétaires d'Etat, lui donna ensuite le conseil de reprendre le pouvoir, en lui faisant comprendre que la résistance du Département allait infailliblement mettre RICHE dans l'impossibilité de diriger des agressions contre lui. PIERROT revint sur sa détermination au grand mécontentement de la population du Cap qui, elle-même, reconnaissait l'impossibilité d'une résistance, d'autant plus que l'arrondissement du Borgne venait aussi de se soumettre au nouveau gouvernement.

Pendant ce temps, le citoyen JEAN ELIE, chargé provisoirement du Département des Finances et du Commerce, invitait les administrateurs des finances à lui transmettre immédiatement l'état de situation de leurs caisses respectives, et à lui indiquer d'une manière précise l'emploi qui avait été fait dans leurs arrondissements des fonds existants depuis le 1er mars 1846.

M. DÉTRÉ, Secrétaire d'Etat titulaire des Finances et du Commerce, reprit son portefeuille le 18 mars. Le même jour, il adressa une circulaire aux administrateurs des finances pour les rappeler à un système d'ordre et de régularité sans lequel il n'y avait pas de prospérité possible pour l'administration des finances.

Le calme et la confiance commençaient à naître au Portau-Prince, surtout à cause des hommes qui entouraient le général RICHÉ. Dans le peuple, on se plaignait cependant des rigueurs que, les agents de police exerçaient sur ceux qui étaient conduits en prison pour un délit quelconque.

CHAPITRE X

Car, malgré la publication de la Constitution de 1816, on continuait à rouer de coups de bâton ceux qu'on arrêtait: c'était le fonctionnement des moeurs qu'un acte libéral publié ne pouvait rectifier en un jour.

Ceux des conseillers d'Etat-sénateurs qui étaient restés au Cap, comme appartenant à cette ville, et qui soutenaient PIERROT dans sa résolution de résister, furent révoqués par un arrêté de RICHÉ en date du 22 mars. C'étaient les citoyens APPLYS fils, HILAIRE J-PIERRE, BELONNIÈRE PÉTIGNY et NEMOURS Pre-LOUIS. Le même jour, RICHÉ les remplaça par les citoyens J. PAUL, APPLYS père, MILIEN ZAMOR et BEAUBRUN ARDOUIN qui furent nommés séna

teurs.

Immédiatement après le Sénat se réunit, constata la majorité de ses membres, forma son bureau, nommant pour son président le sénateur DAVID TROY, et pour secrétaires, les citoyens ToUSSAINT et AUGUSTE ELIE. IL informa le Président d'Haïti qu'il était disposé à recevoir

son serment.

Le 24 mars, le Président RICHE se présenta au Sénat, suivi de son cortège pour prêter son serment. Le citoyen DAVID TROY, président du Sénat, lui adressa l'allocution suivante :

Président,

«En brisant l'épouvantable esclavage de la dictature, le peuple haïtien a prouvé au monde entier qu'il n'a jamais <«< renoncé au sentiment de sa dignité native; il a prouvé <<< qu'il a eu honte de gémir si longtemps sous la puissance << d'un homme placé au-dessus de ses lois.

«En vous appelant à l'honneur de présider à ses destinées <«< constitutionnelles, il a constaté son amour, sa passion, << son culte de tous les instants pour ses libertés.

Ainsi, l'expérience de ses révolutions morales, la chute « de BOYER, de RIVIÈRE HERARD, de PIERROT, constituent << ses déclarations solennelles qu'il ne courbera plus la tête << sous le joug d'aucune tyrannie, d'aucun despotisme. Il

<< veut la paix et le repos, il veut le régime légal et
« liberté entourée de sauvegardes; il veut la conciliatio
« de tous les intérêts et de toutes les opinions; il veut qu
les garanties constitutionnelles soient inviolables; e
« enfin, Président, il veut qu'un ministère intègre, scrup||-
leux et intelligent, et surtout responsable, soit chargé de
« l'administration de ses affaires. C'est pour accomplir ces
vœux, c'est pour satisfaire à ses besoins, c'est pour
« débrouiller le chaos dictatorial et fermer enfin le gouffre
« anarchique que le peuple haïtien se confie à votre fermeté.
à votre courage et à votre loyauté.

« Cette confiance nationale sera justifiée par vous, par
« vous surtout, un de nos sénateurs des camps dont la
« pourpre militaire rappelle le souvenir de tant de glorieuses
« batailles.

«En réalisant ces désirs ardents de la nation, votre nom
« passera à la postérité, couvert de cette gloire civile qui
« immortalise les chefs d'Etat vertueux. Dans ces douces
« espérances, le Sénat est prêt à recevoir votre serment,
« en vous offrant à l'avance son concours franc et loyal
pour tout ce qui peut contribuer au bonheur de la
« République. »

Le discours du Président d'Haïti RICHÉ avait été préparé
d'avance, par suite d'une entente avec le président du
Sénat.

Le citoyen DUPUY, chargé du portefeuille de la Guerre,
de la Marine et des Relations Extérieures, en donna lecture:

Citoyens sénateurs,

« Je regrette que des circonstances impérieuses m’aient
« imposé l'obligation d'entrer dans l'exercice de la charge
« de Président d'Haïti, à laquelle m'a élevé la volonté du
« peuple, avant de prêter en vos mains le serment prescrit
<< par la Constitution. Les mêmes motifs ont aussi nécessité
« de ma part des actes que commandait la présente orga-
«nisation du nouvel ordre de choses qui appelle Haïti à
« jouir des bienfaits d'un gouvernement constitutionnel.

« Je suis heureux que l'accomplissement rapide et « pacifique du vœu national, en facilitant votre prompte << réunion au siège du gouvernement, me permette de me « présenter aujourd'hui en votre sein, pour me conformer << aux volontés de la Constitution.

« Je m'applaudis et vous félicite de votre empressement « à vous rendre à l'appel du pouvoir exécutif; il témoigne « de votre désir de concourir loyalement avec lui à tout ce « que réclame le bien-être et les progrès du pays.

« L'assentiment général de la République à mon gouver<«nement, les joyeuses manifestations qui l'ont accueilli « sont un présage non équivoque d'un avenir prospère. « Fasse DIEU que cette espérance ne soit point trompée, « et que cette sympathie de la nation se fortifie de plus en « plus par la bonté du gouvernement.

« Le besoin de consolider la paix et la sécurité que la « confiance et les institutions ont ramenées sur tous les << points du territoire, exige ma présence dans les Dépar<«tements de l'Artibonite et du Nord. Il sera nécessaire « que, durant mon éloignement de la capitale, le Sénat « soit en permanence, pour coopérer, en ce qui est de ses <<< attributions, à la marche des affaires politiques, et « s'occuper des projets que je puis avoir à soumettre à la « sagesse de ses membres.

« Citoyens sénateurs, le serment que je vais prêter en « vos mains est le gage le plus solennel de ma bonne foi «et de la pureté de mes intentions.

<< En me liant envers le peuple par ce serment, il m'est <« satisfaisant de me persuader que ma droiture et mon « infatigable activité trouveront sans cesse l'assistance la « plus sincère dans les lumières et le dévouement de ses << honorables mandataires. >>

Le Président d'Haïti prêta aussitôt après son serment constitutionnel avec acclamations de l'assistance et au bruit du canon.

Le même jour, 24 mars, PIERROT était tellement resserré dans son palais du Cap-Haïtien, non pas par un siège,

mais par le sentiment presque unanime de la population qui, virtuellement, adhérait à la révolution, qu'il se détermina enfin à se démettre d'un pouvoir qui n'était plus qu'une ombre. Personne, au Cap, n'eut l'idée de lui faire éprouver aucune disgrâce, même aucun désagrément; il était seulement l'objet de la risée générale.

Le citoyen HYPPOLITE, président de son Conseil des Secrétaires d'Etat nominal, s'effaça, et quelques amis, entre autres, le citoyen MENELAS CLÉMENT, secrétaire intime de Son Excellence, firent signer à celui qui jusque-là s'intitulait le Président d'Haïti, l'acte de démission dont voici le texte :

Haïtiens,

la

Appelé par le vœu unanime de la Nation à la Présidence, « j'ai cru devoir céder aux témoignages de confiance de mes concitoyens; ma courte administration n'a pu donner « de justes sujets de plaintes, cependant une révolution a <«< éclaté sur divers points de la République, et un nouveau « Président a été proclamé. J'avais pensé qu'un acte quel« conque m'aurait fait connaître les récriminations que l'on « alléguait contre moi. Il n'en a rien été. Ennemi de la « guerre civile, je n'ai pas voulu que le sang de mes frères « se répandit pour une cause qui m'était toute personnelle « J'ai donc attendu une manifestation générale de Nation; et cette preuve m'est acquise aujourd'hui. «En conséquence, je déclare, par le présent, me démettre de la charge de Président de la République, et je me « retire dans mes foyers domestiques, me reposant sur « l'honneur national pour la garantie due à un citoyen dont la plus grande partie de l'existence a été consacrée au << service de son pays: Cette garantie que je réclame est « due à ma famille, et je ne crois pas la réclamer en vain. » Le Président RICHÉ ne rechercha l'ex-Président en quoi que ce soit.

PIERROT se retira sur sa propriété rurale de Camp-Louis après avoir été escorté, jusqu'au-delà de la ville, de quelques

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