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Heureusement pour l'intérêt public, la Motion perdoit du crédit à chaque minute. Les opinions s'étoient formées; les deux partis, qui composent la majorité, s'étoient séparés; le plus nombreux accusoit l'autre de vouloir éluder la poursuite des Ministres ; les ennemis de M. de Mirabeau parcouroient les rangs, et disoient tout haut qu'il existoit un Projet de faire entrer en France un Chef de parti; les plus impétueux s'efforçoient d'écarter pour le moment, sans la faire rejeter une Motion dans laquelle ils étoient fachés d'avoir été prévenus, et envioient à son Auteur la popularité qu'elle pouvoit lui donner. M. Robespierre a pris la parole et a culebuté M. de Mirabeau, par des interpellations très fortes: « Comment pouvons nous délibérer, s'est il écrié, sur un Manifeste méprisable, que personne ne connoît? Je demande à M. de Mirabeau pourquoi, parmi les nombreux ennemis de la Révolution, il n'aperçoit que M. Louis-Joseph Bourbon? S'il falloit un exemple exclusif, je demande s'il faudroit choisir un homme que des préjugés, pour ainsi dire naturels et innés, et tant de puissans intérêts ont pu indisposer contre la Revolution? Cet exemple devoit-il être choisi parmi les ci-devant Princes, et parmi la famille des Condés? Je demande que la Motion de M. de Mirabeau soit écartée; que l'Assemblée fixe un jour pour s'occuper des moyens efficaces de s'opposer aux efforts des Ennen.is de la Révolution en général, et sur-tout aux manœuvres de ceux que leur état devoit y attacher; que l'abus qu'ils font de l autorité qui leur est confiée pour le soutien de la Constitution, rend plus coupables; qui sont chargés de faire exécuter vos De

crets, et qui travaillent à les détruire. Je fais, en outre, la Motion expresse que les Représentans de la Nation prennent entre leurs mains le fil de toutes les opérations qui intéressent la liberté.

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J'appuie d'autant plus la question préalable, à dit dans un autre sens, et très-justement M. de Cazalès, que si M. de Condé avoit pu concevoir des projets hostiles contre la France, la Motion de M. de Mirabeau seroit le súr moyen de l'y confirmer. Ce n'est pas par des interpellations, injurieuses à son patriotisme, que vous le ferez rentrer sans, danger en France, où il est libre de revenir quand il fui plaira; ce n'est pas par des moyens de rigueur que vous réunirez ceux que la crainte a dispersés. "

Louis-Joseph Bourbon, a repris M. de Mirabeau, a été principalement l'objet de mon animadversion, 1o. parce que ses talens militaires le rendent redoutable; 2°. parce que l'Assemblée étoit alors occupée des mouvemens extérieurs. Il étoit naturel de vous dénoncer celui qui est, ou qui doit être à la tête d'une armée, destinée, dit-on, à fondre sur nous. M. Robespierre ne s'est pas rappelé que M. de Montmorin, qu'il choisit pour objet de ses reproches, désigne Louis-Joseph Bourbon, comme l'homme le plus dangereux pour la Révolution. L'Assemblée Nationale a sans doute le droit, bientôt peut-être aura-t-elle le devoir de déclarer si les Ministres ont la confiance de la Nation; mais elle ne peut les improuver, saus relâcher tous les liens de la subordination.

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Si je voulois porter sur les Décrets de l'Assemblée Nationale, a dit M. de SaintFargeau, dont l'opinion publique fait toute

la force, la défaveur et le discrédit qui accompagnent une délibération peu réfléchie, je vous proposerois d'adopter la décision du Préopinant, ur la simple dénonciation d'un Manifeste qui ne nous a pas même été lu. Coriolan aigri par les Romains, se retira chez les Volsques, et il en obtint des secours qui mirent sa Patrie à deux doigts de sa perte.... Ce ne sera pas chez les Volsques que Louis-Joseph de Bourbon prendra sa retraite; mais les Peuples puissans sont gouvernés par des Bourbons. Voilà l'hospitalité qui l'attend; et je ne veux pas lui prêter l'intérêt que ses malheurs même lui donneroient, lorsqu'il se présenteroit devant ses propres parens, tout couvert des blessures. inorales que lui auroient fait vos Décrets. Je pense que nous devons au plus tôt nous occuper de l'ensemble des dangers dont la France est environnée. Sur la Motion présente, je ne suis d'avis ni de la gestion préalable, ni de Pajournement, mais je demande que l'on passe à l'ordre du jour. "

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Cette opinion est devenue presque générale, et l'Assemblée a décidé de passer à l'ordre du jour.

DU JEUDI 29 JUILLET.

Il n'est personne qui, à la lecture des détails de la Séance d'hier, ne soit tenté de considérer la France comme enveloppée d'une Conspiration universelle contre sa liberté, et les Puissances Etrangères comme ebranlant leurs Armées de to..tes parts pour opérer parini nous ce qu'on appelle une contreRévolution. Si la mefiance est la mère de la sureté, les fausses alarmes qui provoquent de fausses mesures, sont, en Politique comme

en Guerre, le plus dangereux service que puisse rendre un zele mal éclairé. Les affaires extérieures traitées en public, prennent bientôt un mouvement peu mesuré : les soupçons qui devroient rester secrets, (car, comment les vérifier, lorsqu'on avertit ses Ennemuis qu'ou les surveille, et de quelle maniere ou les surveille); les soupçons deviennent des faits positifs, et les craintes des réalités : les tétes s'echauffent et se perdent. Oo accuse sans ménagement, on conjecture sans vraisemblance, on dirige sa marche avec le bandeau de la prévention. Chacun se pique d'imaginer des faits, et personne de les examiner. La multitude s'empare ensuite de ces nuages; elle les electrise, elle en forme une tempête: l'opinion, animée par la terrear, s'altere et ne se redresse plus pour écarter des desseins ennemis, on- heurte ouvertement des Puissances qu'une fermeté prudente suffiroit à déconcerter, et dont un che devenu public compromet l'honneur, et quelquefois la surete. On les invite à des projets en les leur supposant; en précipitant soi-même ses précautions, on accelere les leurs; l'inquiétude s'empare de tous les Cabinets, et dans cet état des choses, uze étincelle suffit à allumer la guerre.

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Ce n'est pas moi qui dit ces vérités; c'est l'histoire, c'est l'expérience. Le tableau présenté dans le Rapport de M. Fréteau sur l'autorité de M. de Montmorin, méritoit sans doute l'attention et la defiance de l'Asier blée. Il est impossible de ne pas se demander, comment un motif aussi foible que celui tiré des Fêtes de la Fédération, à pu déterminer ce Ministre à garder le silence sur des révélations si urgentes?

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Quant à la dénonciation de M. le Prince de Condé, que M. Voidel a attribuée à M. de Montmorin on assure qu'elle n'a pas été exactement rendue, et qu'on a traduit une hypothèse en allégation positive; mais, jusqu'ici, M. de Montmorin n'a ni désavoué ni éclairci cette conversation; le Rapport de M. Voidel reste done dans toute sa force. Il est sans doute permis de s'étonner que, dans une conférence de cette nature dans des conjonctures pareilles, un Ministre ne fixe pas ses paroles sur le papier, et qu'il s'expose aux inexactitudes souvent involontaires des redites.

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Le reproche fait au même Ministre quant au passage éventuel de quelques Autrichiens, sur une langue de terre qui sépare le territoire des deux Fuissances, à été suffisamment réfuté par la Lettre de M. de Montmorin. Il n'étoit point en ceci Ministre Ordonnateur : c'est au Chef du Département de la Guerre, qui a pris les ordres du Roi, à en répondre; mais de quoi répondroit-il? de s'être conformé à un usage versel, au principe éternel du Droit des Gens concernant le transitus innoxius, à une réciprocité parfaitement évidente? Si le Traité, cité par M. Fréteau, stipule pour la France seule la liberté du passage, c'est qu'elle en a besoin tous les jours, c'est qu'elle ne peut en être privée sans inconvénient, c'est qu'il étoit de son intérêt de fixer un mode, auquel elle étoit obligee d'e recourir très-fréquemment, et pour se dspen ser d'une requisition à chaque changement de garnison. En un mot, la France a le besoin ordinaire du passage; l'Autriche n'en a besoin qu'extraordinairement

à la

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