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s'établit pas exactement dans cette contrée de la même façon que sur le sol occupé par les Francs; en effet, il n'y avait point là de nation conquise et soumise comme dans la Gaule; les rois francs triomphèrent bien, à la vérité, des Thuringiens, des Saxons, et d'autres peuplades; mais les vaincus ne furent certainement pas traités par des vainqueurs sortis si récemment du même berceau, comme l'avaient été les cités romaines en tombant sous le joug; ce ne fut donc que plus tard, et par une analogie bien naturelle, que les chefs militaires se trouvèrent investis de tous les droits qu'avaient usurpés leurs pairs dans le reste de l'Empire, et que la nation tout entière subit les conséquences du joug de la féodalité.

Le gouvernement fut monarchique et héréditaire sous les descendans de Charlemagne, mais les grandes assemblées nationales limitaient l'exercice du pouvoir; ces assemblées sont appelées Champs-de-mai par les écrivains français, et Dietes par les historiens de l'Empire. Ce fut dans les assemblées de Mersen, en 851, et de Coblentz, en 860 que furent solennellement reconnus par les princes, les droits du clergé et de la noblesse à donner leurs conseils dans la direction des affaires c'est une époque remarquable. Charlemagne avait dans ces diètes appelé des individus qui n'appartenaient à aucun des deux ordres que nous venons d'indiquer; on pense que cet usage ne fut point imité après lui. Il est probable, au surplus, que sous de tels monarques, les avis de ces fiers députés devaient souvent ressembler à des lois.

Charlemagne avait abattu la puissance des chefs ou ducs qui s'étaient établis en divers lieux, de gré ou de force, sous la première dynastie des Francs; il avait divisé l'autorité dont ils étaient investis, et l'avait confiée à des officiers révocables. La plupart des empereurs qui suivirent n'étaient probable. ment pas capables de comprendre les vues politiques qui avaient dicté cette réforme; les seigneurs qu'ils comblaient d'une faveur aveugle, ou ceux que leur faiblesse redoutait

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devinrent des ducs plus puissans que jamais. A l'époque oùpartout les sceptres furent brisés et dispersés par lambeaux entre les hommes dont l'épée pouvait guider un certain nombre de serfs, ducs anciens ou nouveaux, officiers révocables et de tout degré, tous se prétendirent indépendans dans l'exercice d'une autorité dont le titre remontait à la couronne, et propriétaires de biens qu'ils auraient dû simplement protéger. L'hérédité ne fut qu'une suite de cette prise de possession. Les princes, en accueillant cette illusoire cérémonie de l'hommage, consommèrent la révolution en imprimant un caractère de justice et de légalité à l'œuvre de la violence et de l'usurpation.

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J'ai expliqué ailleurs, avec Montesquieu, la cause des partages successifs du sol de la France que l'histoire nous présente à cette époque. Voici, ce me semble, comment il faut considérer l'Empire dans les premiers siècles de son existence, et quelle raison l'on peut donner des divers démembremens qu'il subit.

Les premiers chefs germains avaient occupé les provinces romaines au double titre du triomphe de leur épée et des droits de la magistrature, que la faiblesse de l'empereur leur concédait. Clovis était non-seulement un roi de France, mais aussi un patrice romain. Ce fut pareillement avec cette qualité que le glorieux Charlemagne gouverna long-temps l'Italie, après la chute du trône des Lombards. Quand ce monarque fut proclamé Auguste à Rome, ce fut simplement un titre nouveau, le premier de tous, qui lui fut déféré; sans doute cet évènement devait, comme nous l'avons dit précédemment, exercer une haute influence sur les destinées futures de l'Europe; mais alors il ne changeait rien, et les lois qui régissaient les nouvelles monarchies n'en restaient pas moins en vigueur. Ainsi Charlemagne devait partager ses conquêtes, comme Clovis avait partagé les siennes; ainsi l'Empire devait être morcelé comme l'avait été précédemment l'État des Francs; seulement, l'un des héritiers, l'aîné, sans doute, recevait avec sa portion cette imposante couronne impériale qui avait décoré le front

TOME II.

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de Charlemagne, et avec elle une sorte de primauté : car ses frères, avait dit le Capitulaire de Louis-le-Débonnaire, devaient se rendre auprès de lui une fois l'an, pour lui porter des présents et conférer avec lui des affaires communes de l'Empire; mais le titre de la dignité ne serait point exclusivement attaché à la possession de telle ou telle contrée.

Cette remarque fait comprendre les révolutions de l'histoire de l'Empire sous la dynastie carlovingienne. On s'explique de la sorte comment ce furent tour-à-tour les princes pos sesseurs de l'Allemagne, de la France ou de l'Italie, qui fu rent couronnés empereurs à Rome. Passons rapidement sur l'histoire de ces faibles successeurs d'un grand homme, pour arriver à la révolution qui rendit la couronne élective, et qui l'attacha définitivement à la possession de l'Allemagne. Toutefois, avant tout, quelques courtes remarques sur l'état de l'Eglise à cette époque sont indispensables.

S. V. De l'Eglise.

Il est intéressant de remarquer la situation des papes relativement au temporel.

Un peu avant de proclamer Charlemagne empereur, Léon III avait été menacé par une faction, qui s'était formée à Rome, et qui l'accusait de grands excès. Le roi, ou le patrice, chargea ses missi, ou envoyés à Rome, d'examiner cette affaire. S'étant lui-même rendu dans la capitale du monde chrétien, il siégea comme juge du pontife, et après avoir ouï ses justifications, le déchargea des accusations portées contre lui.

Sous ses successeurs, le rôle des papes se borna à poser humblement sur le front de l'un d'eux le diadème impérial. Il est constant qu'en faisant les fameuses donations, les monarques s'étaient réservé la haute souveraineté des pays donnés; c'étaient leurs missi qui administraient la justice dans les murs de Rome. Bien plus, ils devaient concourir à l'élection du pape, et cette élection était ensuite confirmée par l'empereur, comme celle des autres évêques de ses États (1).

(1) Annales Bertiniani, etc.

C'est ainsi qu'en 868, Adrien II ayant été élu par le peuple sans la participation des officiers impériaux, ils protestèrent contre cette élection, non pas, disaient-ils, qu'ils désapprouvassent le choix qui avait été fait, mais afin qu'on ne pût arguer de là, plus tard, pour se passer de leur intervention. Louis II approuva la conduite de ces officiers, tout en confirmant l'élection.

Les princes et les diètes approuvaient les décisions des conciles, comme le démontrent les actes mêmes de ces assemblées.

Les fiers évêques germains, qui, dirigés par le fameux Wala, condamnaient à tant d'humiliations le malheureux Louis-le-Débonnaire, repoussaient avec vigueur toutes tentatives des papes pour se mêler aux affaires intérieures des Etats; quelques-uns d'eux, que Grégoire IV menaçait d'excommunier, parce qu'ils restaient fidèles à leur empereur, firent cette déclaration fameuse dans les Annales ecclésiastiques, Si excommunicaturus venit, excommunicatus abibit.

Tels étaient les pontifes dont les successeurs prétendirent, dans la suite, avoir le droit de déférer l'empire, et de disposer de tous les trônes de l'Europe.

S. VI. Conrad I. (10e siècle.)

Je le répète, un titre d'empereur et quelques royautés que le régime des fiefs annihilait chaque jour davantage, telle était l'Europe politique à cette époque.

On peut facilement comprendre, en saisissant bien l'état des choses, la révolution que marquent les Annales de l'Empire à l'époque où nous sommes parvenus.

Les grands duchés que Charlemagne avait voulu dissoudre, et que ses successeurs avoient rétablis, coupaient la Germanie. C'étaient ceux de Saxe, de Bavière, de Franconie et de Thuringe. Un prince habile pouvait, en dominant les quatre titulaires de ces grandes fractions du territoire, concentrer entre ses mains toutes les forces du pays. Mais il était naturel

de penser que si le sceptre était porté par de faibles mains, il deviendrait le jouet de ces grands vassaux.

En outre, les membres principaux du clergé allemand avaient déjà jeté les bases d'un ordre politique qui devait n'être entièrement effacé que de nos jours. Plusieurs siéges apostoliques, fondés vers les limites de l'Empire pour comprimer, par les voies de paix et par les lumières de la foi, les barbares qui les harcelaient sans cesse, avaient été transformés graduellement en véritables souverainetés. Quelques abbés puissans s'arrogèrent également toutes les prérogatives féodales: pareille chose s'établit aussi en France, mais n'y eut qu'une courte durée. En Allemagne, au contraire, ce fut l'origine de ces puissantes principautés ecclésiastiques dont l'existence devint plus tard constitutive de l'Empire.

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Toutefois il faut remarquer que dans le royaume d'Allemagne l'autorité royale ne tomba pas tout-à-fait dans la même dégradation qu'elle subissait en France. Là ce ne fut qu'un peu plus tard que la perpétuité des fiefs s'établit comme loi; les souverains montrèrent un peu plus de caractère, peutêtre parce qu'ils n'avaient pas un aussi grand nombre de vassaux directs à gouverner. « J'ajoute que le royaume d'Allemagne, dit Montesquieu, ne fut pas dévasté, et pour ainsi » dire anéanti, comme le fut celui de France, par ce genre particulier de guerres que lui firent les Normands et les Sarrazins. Il y avait moins de richesses en Allemagne, moins de villes à saccager, moins de côtes à parcourir, plus de marais à franchir, plus de forêts à pénétrer. Les princes, qui ne virent pas à chaque instant l'Etat prêt à » tomber, eurent moins besoin de leurs vassaux, c'est-à» dire, en dépendirent moins (1). » Tel était le royaume d'Allemagne.

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Le royaume de France penchait vers sa ruine; il avait déjà subi plusieurs démembremens. Les Normands, après avoir

(1) Esprit des lois, liv. 31, chap. xx.

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