Page images
PDF
EPUB

traditions, j'abandonnais la cause démocratique, assurément je ne viendrais pas demander des leçons aux éternels ennemis de la démocratie. (Bravos et applaudissements prolongés à gauche.) Si par hasard je le faisais, je craindrais de tomber dans le défaut que l'honorable M. de Montalembert reprochait tout à l'heure à ses adversaires, celui de l'hypocrisie. (Nouvelle approbation prolongée à gauche. Bravo! bravo!)

[ocr errors]

LE CITOYEN PRÉSIDENT. M. Saint-Romme a la parole.

LE CITOYEN DE MONTALEMBERT. Je demande s'il y a quelque chose de personnel dans l'attaque. (Exclamations à gauche.)

Je n'ai pas bien entendu ni bien compris la portée des paroles de l'honorable préopinant; mais, s'il avait eu le malheur de m'adresser, à moi, le reproche d'hypocrisie... (Exclamations ironiques à gauche.)

Toute ma vie politique et privée, sans l'exception d'un seul jour, est là devant vous pour protester contre une pareille accusation. (Approbation à droite. - Rires ironiques à gauche.)

Et le seul reproche qu'on pourrait me faire au point de vue politique, c'est de ne pas savoir assez déguiser le fond de mes pensées. (Exclamation à gauche.—Vive agitation.) LE CITOYEN DENJOY. Vous êtes bien vengé. Vous avez l'approbation du grand nombre.

(Extrait du Moniteur du 18 février 1849.)

Dans la même séance, M. Billault, rapporteur de la commission, tout en combattant l'opinion de M. de Montalembert, fit savoir à l'Assemblée que la majorité de la commission, après une nouvelle délibération, se rangeait au chiffre de quatre circonscriptions par canton. M. Joly, de l'extrême gauche, reprit en son nom personnel le chiffre de trois circonscriptions primitivement proposé par la

commission. Mais sa proposition fut rejetée, et le chiffre de quatre adopté.

Restait la question de savoir si le tableau des circonscriptions serait arrêté par le conseil d'État, comme l'avait proposé la commission, ou par le conseil général de chaque département, comme le portait un amendement proposé par M. de Kerdrel. Cet amendement fut adopté, après que le renvoi à la commission, demandé par M. Jules Favre, eut été rejeté par 393 voix contre 365.

IN AMOVIBILITÉ DE LA MAGISTRATURE

ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE.

Discussion du projet de loi sur l'organisation judiciaire.

Séance du 10 avril 1849.

Après la proclamation de la République, le Gouvernement provisoire avait cru pouvoir suspendre de leurs fonctions plusieurs magistrats inamovibles. Un premier projet de loi, préparé sur le rapport de M. Martin de Strasbourg, et tendant à transformer complétement l'organisation judiciaire, ayant été écarté, le gouvernement du général Cavaignac avait présenté à l'Assemblée constituante un projet de loi organique sur l'organisation judiciaire, et l'Assemblée avait réservé cette loi parmi celles qu'elle voulait voter avant de se dissoudre. D'après l'article 38 de ce projet', le Gouvernement devait, dans un délai de deux mois, procéder à l'institution de la nouvelle magistrature. Le pouvoir exécutif était ainsi investi de la faculté de renouveler tout le personnel des tribunaux. De nombreuses réductions déterminées par les articles précédents devaient faire peser sur chacun des magistrats la crainte de se trouver compris dans le nombre des membres mis à la retraite, et plaçaient la magistrature tout entière sous la menace d'une épuration politique.

M. de Montalembert proposa un amendement qui tendait à donner au principe d'inamovibilité proclamé en théorie par la Constitution une consécration pratique et immédiate. Il était ainsi conçu :

<< En procédant à la composition des nouveaux tribunaux, le pouvoir exécutif adressera une institution nouvelle à chacun des magistrats inamovibles actuellement en fonctions.

<< Les réductions prescrites par la présente loi n'auront lieu qu'au fur et à << mesure des extinctions. >

Dans la séance du 6 avril, il prononça le discours suivant pour défendre cet amendement :

MESSIEURS,

Je ne crois pas trop m'avancer en disant que tout l'intérêt de la loi, réduite et mutilée comme elle l'a été dans le cours de la discussion, se concentre exclusivement dans la disposition transitoire que vous allez voter.

Vous êtes en présence de deux systèmes. L'un condamne le Gouvernement à exécuter, dès à présent, les réductions prescrites par le projet de loi, et lui livre en même temps la disposition absolue, sans aucune condition, sans aucune restriction, de toutes les places de la magistrature française: c'est le système du projet de la commission. L'autre consiste à reconnaître, à sanctionner les réductions que vous avez faites dans la loi, mais pour l'avenir seulement, au fur et à mesure des réductions, et prescrit au pouvoir exécutif de donner l'institution républicaine et l'inamovibilité, au nom de la République, aux magistrats actuellement en fonctions. C'est le système de mon amendement.

J'aurais voulu, je l'avoue, que le chef de la magistrature lui-même fût venu à cette tribune défendre la magistrature actuelle...

LE CITOYEN ODILON BARROT, ministre de la justice. Je n'aurais pas mieux demandé, si la Constitution ne me liait les mains.

LE CITOYEN DE MONTALEMBERT. Mais puisqu'il m'a abandonné ce mandat, je ne le déserterai pas et je le remplirai aussi bien que le comporte ma faiblesse. (Mouvements divers.)

Permettez-moi, avant de commencer, d'invoquer cette majorité de l'Assemblée avec laquelle je n'ai pas toujours le

bonheur de me trouver d'accord dans les questions de partis et de personnes, mais qui, suffisamment éclairée et avertie, sur les questions de principes, sur les grandes questions qui tiennent au fond des choses, aux grands intérêts de la patrie, n'a presque jamais trompé la confiance de ceux qui l'ont invoquée. Je supplie cette majorité, avant de condamner la magistrature actuelle, de vouloir bien écouter le très-court plaidoyer d'un avocat parfaitement désintéressé.

Il y a trois questions engagées dans l'abolition de l'inamovibilité actuelle de la magistrature: la question des personnes, la question des principes, la question des moyens d'exécution.

Quant à la question de personnes, j'en dirai très-peu de chose. La magistrature actuelle est au-dessus de mes éloges comme au-dessus des critiques et des reproches qu'on a pu lui adresser. (Réclamations à gauche.) La magistrature est une des gloires de la France. Je ne parle pas seulement de l'ancienne magistrature, personne n'essayera de le contester, mais je parle de la magistrature nouvelle, constituée par l'Empire, dotée de l'inamovibilité par la Charte, et qui, depuis trente-quatre ans, a inspiré non-seulement au pays, mais à l'Europe entière, un profond respect pour ses lumières et pour son autorité. (Assentiment à droite. - Réclamations à gauche.) Et ce qui le prouve plus que tout, c'est que, le lendemain de la révolution, alors que le Gouvernement provisoire était investi de la dictature, alors qu'il a cru pouvoir déclarer que l'inamovibilité était incompatible avec le principe républicain, le Gouvernement provisoire luimême, sauf quelques mesures partielles et acerbes que je ne veux du reste ni qualifier ni discuter, pour ne pas envenimer, par des récriminations, la discussion... (Exclamations ironiques à gauche.)

« PreviousContinue »