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CONDITIONS

DU RETOUR DE PIE IX A ROME

ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE.

Discussion des crédits supplémentaires relatifs à l'expédition de Rome.

(Séance du 19 octobre 1849.)

L'expédition de Rome avait été couronnée d'un plein succès. Le Souverain Pontife avait été remis en possession de ses États et s'apprêtait à rentrer dans Rome. Ce fut dans ces circonstances que le Président de la République écrivit au lieutenant-colonel Edgard Ney, son officier d'ordonnance, en mission, à Rome, une lettre datée du 18 août, dans laquelle il annonçait l'intention d'exiger du Pape, avant de rappeler notre armée, des institutions spéciales. On y lisait le passage suivant :

<< J'apprends avec peine que les intentions bienveillantes du Saint-Père << comme notre propre action restent stériles, en présence de passions et << d'influences hostiles. On voudrait donner comme base à la rentrée du Pape << la proscription et la tyrannie. Dites de ma part au général Rostolan qu'il ne doit pas permettre qu'à l'ombre du drapeau tricolore on commette aucun acte qui puisse dénaturer le caractère de notre intervention.

<< Je résume ainsi le rétablissement du pouvoir temporel du Pape : Am«nistie générale, sécularisation de l'administration, code Napoléon et gouvernement ̧ « libéral. »

Le Souverain Pontife ne tarda pas à faire connaître par un acte libre et spontané les institutions qu'il destinait au peuple romain. Aux termes du Motu proprio du 12 septembre 1849, il créa un conseil d'État et une consulte, produit indirect de l'élection ayant voix délibérative en matière de finances; il assura des libertés communales et provinciales étendues, et il annonça la réforme des lois civiles et de l'organisation judiciaire.

L'Assemblée législative fut saisie, au retour de la prorogation, d'une demande de crédits relatifs à l'expédition de Rome. La com

mission chargée de l'examen de ce projet se prononça énergiquement pour le maintien de l'indépendance absolue du Souverain Pontife. M. Thiers, nommé rapporteur, lut dans la séance du 13 octobre un rapport dans lequel il insistait sur le véritable caractère de l'expédition :

« Sans l'autorité du Souverain Pontife, disait-il, l'unité catholique « se dissoudrait; sans cette unité, le catholicisme périrait au milieu « des sectes, et le monde moral, déjà si fortement ébranlé, serait « bouleversé de fond en comble. Mais l'unité catholique, qui exige « une certaine soumission religieuse de la part des nations chré<«<tiennes, serait inacceptable si le Pontife qui en est le dépositaire « n'était complétement indépendant; si au milieu du territoire que <«<les siècles lui ont assigné, que toutes les nations lui ont maintenu, << un autre souverain, prince ou peuple, s'élevait pour lui dicter des «<lois. Pour le Pontificat, il n'y a d'indépendance que la souverai« neté même. C'est là un intérêt du premier ordre, qui doit faire «<taire les intérêts particuliers des nations, comme dans un État

« l'intérêt public fait taire les intérêts individuels, et il autorisait « suffisamment les puissances catholiques à rétablir Pie IX sur son « siége pontifical.

((...

La France, une fois présente à Rome par son armée, n'y « pouvait commettre l'inconséquence de violenter elle-même le « Saint-Père, qu'elle venait délivrer de la violence d'une faction. « Elle a dû lui rendre son trône et sa liberté, sa liberté pleine et « entière: car telle était sa mission...

«... Les conseils de la France devront être dirigés de manière à « convertir en paroles efficaces le Motu proprio, et surtout à étendre « la clémence du Pontife sur tous ceux qui peuvent être amnistiés « sans danger pour l'ordre public. Ce doit être l'œuvre d'une in<«<fluence continuée avec patience, avec calme, avec respect, in<«<fluence qui constituerait une prétention inadmissible, si des cir« constances impérieuses ne nous avaient amenés à l'exercer, mais « qui, renfermée dans des bornes convenables, est parfaitement « compatible avec l'indépendance et la dignité du Saint-Siége... « Une portion de cette tâche est accomplie. Nous souhaitons que le « reste s'accomplisse le plus tôt possible, et que nos troupes puissent « bientôt laisser paisiblement établi dans ses États le Saint-Père, << qu'elles sont allées délivrer et non pas opprimer. >>

La discussion s'ouvrit le 18 octobre.

M. de Tocqueville, ministre des affaires étrangères, déclara au nom du Gouvernement qu'il acceptait la lettre du Président, mais qu'il trouvait dans le Motu proprio le germe de libertés suffisantes.

Après un très-remarquable discours de M. de la Rosière, en faveur du pouvoir temporel des Papes, M. Victor Hugo prit la parole, dans la séance du 19 octobre, et dans un discours dirigé contre la politique et l'histoire du gouvernement pontifical, il se sépara de la majorité, dont il avait jusqu'alors fait partie.

M. de Montalembert lui succéda à la tribune.

Messieurs, le discours que vous venez d'entendre a déjà reçu le châtiment qu'il méritait dans les applaudissements qui l'ont accueilli.

A DROITE. Très-bien! très-bien! (Vives réclamations à gauche.)

UN MEMBRE A GAUCHE. Vous êtes un insolent!

VOIX NOMBREUSES A GAUCHE. A l'ordre! à l'ordre! (Agitation bruyante.)

1 M. LE PRÉSIDENT (DUPIN). Ce n'est pas parlementaire, monsieur de Montalembert.

A GAUCHE. Nous demandons le rappel à l'ordre!

M. LE PRÉSIDENT. J'ai fait observer à l'orateur que son expression n'était pas parlementaire.

A GAUCHE. Mais c'est une insolence! A l'ordre! à l'ordre! M. LE PRÉSIDENT. J'ai dit à l'orateur ce que je devais lui dire. CRIS. A l'ordre! (Tumulte.)

M. ARNAUD (de l'Ariége). Pourquoi de telles provocations de la part d'un chrétien? Nous avons applaudi aussi, nous!

Après la prorogation de 1849, le Moniteur substitua dans ses compte-rendus la désignation habituelle de Monsieur à celle de citoyen, Quelques membres de la gauche réclamérent : ils ne furent pas écoutés. Le Président de l'Assemblée, M. Dupin, mit fin à la discussion en citant ce vers :

Appelons-nous Messieurs, et soyons citoyens !

M. DE MONTALEMBERT. Vous n'êtes pas chargé de ma conscience de chrétien.

A GAUCHE. A l'ordre! à l'ordre!

M. LE PRÉSIDENT, s'adressant à la gauche. C'est vous que je rappelle à l'ordre maintenant, car vous le troublez. (A l'ordre! à l'ordre! — L'agitation est à son comble.) Ce n'est pas à vous à rappeler à l'ordre, c'est à moi!

A GAUCHE. Eh bien ! rappelez-y donc !

M. LE PRÉSIDENT. J'ai adressé à M. de Montalembert les paroles que j'ai cru devoir lui adresser.

A GAUCHE. Lesquelles ! lesquelles !

M. LE PRÉSIDENT. Si vous aviez gardé le silence, vous les auriez entendues.

M. de Montalembert a maintenant le droit de s'expliquer; il a la parole.

VOIX A GAUCHE. Eh bien! nous écoutons.

M. LE PRÉSIDENT. C'est fort heureux que vous vouliez bien vous soumettre au règlement.

A GAUCHE. Pourquoi tolérer des provocations?

M. LE PRÉSIDENT. Vous venez d'en dire cent fois plus que M. de Montalembert. (Vives rumeurs à gauche.) Je ne céderai jamais à la violence, quelle qu'elle soit! (Très-bien !)

VOIX A GAUCHE. Nous ne laisserons pas parler l'orateur. M. LE PRÉSIDENT. Est-ce que vous vous croyez les maîtres ici? C'est-à-dire qu'il dépendra de vous, Messieurs, d'empêcher la séance de continuer! Gardez le silence. L'orateur a la parole, vous ne l'avez pas ! Il a la parole pour s'expliquer. (Écoutez! écoutez!)

M. NADAUD. Je prends l'engagement de ne jamais insulter personne, mais je ne me laisserai pas insulter non plus.

M. LE PRÉSIDENT. Ajoutez-y l'engagement de vous taire et d'observer le règlement. (Très-bien! très-bien!)

M. DE MONTALEMBERT. Puisque le mot de châtiment vous blesse, Messieurs, je le retire et j'y substitue celui de récompense. (Rires et approbation à droite. Murmures à gauche.)

Je dis donc que l'orateur a déjà recueilli pour récompense les applaudissements de l'extrême opposition, mais que la majorité dont il a fait partie jusqu'aujourd'hui, que les électeurs modérés de Paris qui, comme moi, l'ont nommé... (interruption), qui l'ont nommé pour représenter le grand parti et les grands intérêts de l'ordre; que ces électeurs-là auront le droit de se demander si c'est pour recueillir de tels applaudissements qu'ils l'ont envoyé à cette tribune. (Exclamations à gauche.)

M. A. THOURET et plusieurs autres membres. C'est une nouvelle injure.

M. FLANDIN. Il y a double injure, et contre l'orateur, et contre ceux qui l'ont applaudi!

M. GREVY. L'orateur a injurié une partie de l'Assemblée. (Agitation.) Monsieur le Président, vous ne devez pas tolé

rer cela.

M. LE PRÉSIDENT. L'expression qui vous a blessés a été retirée. (Exclamatious nombreuses à gauche.)

UN MEMBRE. Elle a été aggravée!

M. GREVY. Vous n'auriez pas toléré cela de la part d'un orateur de la gauche.

Voix a droite. Vous n'avez pas la parole! A l'ordre!

M. DE MONTALEMBERT. L'avenir lui garde, à l'honorable préopinant... vous me permettrez de lui dire cela... l'avenir lui garde un autre châtiment.... (Nouvelles exclamations à gauche.)

M. LE PRÉSIDENT. C'est trop personnel.

M. A. THOURET. M. Victor Hugo n'est pas là! Attendez

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