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RAPPORT

SUR LA PROROGATION DE L'ASSEMBLÉE

ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE.

Séance du 16 juillet 1850.

Le 13 juillet 1850, MM. de Mortemart, Audren de Kerdrel et SainteBeuve, déposèrent une proposition tendant à proroger l'Assemblée du 11 août au 11 novembre. Cette proposition fut renvoyée à la commission des congés, au nom de laquelle M. de Montalembert présenta, trois jours après, le rapport suivant:

MESSIEURS,

Conformément à ses précédents, l'Assemblée nationale, saisie d'une proposition de trois de ses membres relative à sa prorogation, en a renvoyé l'examen à la commission des congés. Cette commission m'a chargé de vous faire connaître son avis.

La nature et la portée du droit de prorogation, consacré par l'article 32 de la Constitution, ont été suffisamment traitées dans le rapport de l'honorable M. Évariste Bavoux, du 23 juillet de l'année dernière, et dans le débat qui a suivi ce rapport. Nous croyons pouvoir nous dispenser de discuter longuement ce droit. Ce serait évidemment faire injure aux auteurs de la Constitution que de leur attribuer la pensée

Œuvres. 1.

Discours. III.

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d'avoir voulu condamner l'Assemblée législative à siéger et à faire des lois sans interruption depuis le premier jour de son mandat jusqu'au dernier.

En décrétant la permanence du pouvoir législatif, la Constitution a voulu laisser à ce pouvoir le droit et le soin de déterminer la durée de ses sessions, en excluant toute intervention du pouvoir exécutif dans cette matière. En consacrant le droit d'ajournement et le mode de convocation pendant l'ajournement, elle reconnaît la nécessité et la légitimité de ce besoin de repos, qui est une des lois de l'existence des assemblées politiques dans leur état normal.

Si elle en avait agi autrement, si elle avait posé comme règle, en n'admettant que des exceptions rigoureusement limitées, la durée indéfinie des sessions législatives, elle se fût mise en contradiction avec les usages établis dans tous les gouvernements constitutionnels et dans toutes les républiques, en Angleterre comme en Amérique, en Suisse comme en Espagne. La permanence des Assemblées, ainsi entendue, ne serait que le signe de la durée des agitations révolutionnaires. Leurs intervalles de repos et de silence sont au contraire le gage de la tranquillité publique.

M. MONTAGUT. C'est l'article du Pouvoir! (Rires et dénégations.)

M. DE MONTALEMBERT. La paix et la confiance ne proviennent pas du fait de l'absence des Assemblées, mais bien de la sécurité générale, qui implique la possibilité seule de cette absence.

Nous n'avons donc à examiner que l'opportunité et la durée de la prorogation qui nous est proposée. Nous n'hési– tons pas à reconnaître cette opportunité et à approuver le terme de trois mois, que nous croyons répondre à la pensée d'un grand nombre de nos collègues.

Aucune complication ne se présente au dehors; aucun danger immédiat ne nous menace au dedans. La situation générale s'améliore chaque jour. La détresse agricole est encore cruelle, mais les apparences de la moisson nous garantissent au moins que le pain du pauvre restera à bon marché. (Bruit.)

M. LE PRÉSIDENT. Écoutez donc! aucun rapporteur ne peut obtenir le silence.

M. SAUTAYRA. Pas même celui qui veut nous donner des

vacances!

M. LE RAPPORTEUR, souriant. C'est de l'ingratitude! (Hilarité.)

Si les incertitudes qui règnent sur l'avenir pouvaient être dissipées, la France, rassurée et fortifiée par les efforts qu'elle a faits pour vaincre l'esprit de désordre, reprendrait avec un nouvel élan le cours de ses anciennes prospérités. Mais aux termes de la Constitution, la solution de ces incertitudes n'est pas encore de notre ressort, et la prolongation actuelle de nos discussions ne pourrait rien pour les atténuer.

Les circonstances politiques sont donc d'accord avec les habitudes de la saison pour nous autoriser à rentrer pendant quelque temps dans nos foyers, à y chercher le silence, l'étude, la réflexion que désirent les uns, à entreprendre les voyages que réclament impérieusement les affaires ou la santé des autres. La multiplicité toujours croissante des demandes de congés individuels indique assez que le moment du congé général est arrivé. Nous avons dû en accorder près de cent pour cause de maladie constatée, et nous en refusons chaque jour un grand nombre. (Mouvements divers.) M. LE PRÉSIDENT. On est sur les dents!

M. LEGROS-DEVOT. Le président plus que tout autre !
M. LE RAPPORTEUR. Certes, on ne vous dira pas, comme

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on l'a fait l'année dernière, que nous n'avons encore rien fait pour répondre à l'attente du pays et à la grandeur de notre mandat. (Ah! ah!)

Ceux d'entre nous qui ont appartenu à l'Assemblée constituante, et qui font depuis vingt-huit mois le plus rude de tous les métiers, pouvaient dès lors repousser avec énergie ce reproche; mais aujourd'hui, c'est l'Assemblée tout entière qui peut se rendre le témoignage d'avoir noblement gagné le repos auquel elle aspire. Depuis qu'elle est revenue au 1er octobre dernier, elle a discuté, voté et adopté deux cent vingt-huit lois, sans compter celles qu'elle a rejetées. (Hilarité.)

M. SAUTAYRA. Il y en a deux cents de trop!

M. LE RAPPORTEUR. Après cet immense contingent apporté au Bulletin des lois, nul ne peut être tenté de lui dire qu'elle a perdu son temps. La modestie convient aux Assemblées comme aux individus, et nous ne sommes pas chargés d'ailleurs de dresser la statistique des travaux de l'Assemblée à laquelle j'ai l'honneur de m'adresser; mais la justice la plus stricte exige que nous rappelions au pays avec quel zèle et quel laborieux dévouement ses représentants ont cherché à répondre à sa confiance.

Heureusement délivrée des trop légitimes préoccupations que lui avaient donnés, avant sa dernière prorogation, des actes d'insurrection ouverte contre l'ordre et les lois, l'Assemblée a pu, depuis son retour, se consacrer tout entière à l'accomplissement pacifique de son mandat. D'accord avec le pouvoir exécutif, elle a nettement formulé et vigoureusement dirigé la politique étrangère de la France, notamment en Italie et en Grèce (exclamations à gauche, vive approbation à droite), où notre drapeau a été, comme il doit l'être partout, le symbole de la justice, de la vraie liberté et des

véritables intérêts de la société européenne. A l'intérieur, elle a courageusement abordé toutes les difficultés de l'ordre politique; elle a mené à bonne fin une des questions les plus difficiles et les plus longuement débattues sous les gouvernements précédents, celle de la liberté d'enseignement. (Nouvelles exclamations à gauche.)

A DROITE. Très-bien!

M. SAUTEYRA. Dites le musèlement de l'enseignement!

M. LE RAPPORTEUR. Elle a rassuré le pays et confondu l'esprit de faction par sa nouvelle législation électorale. (Interruption et rires ironiques à gauche.) Elle a garanti et consolidé l'édifice de l'impôt, si témérairement ébranlé; elle a rétabli l'ordre naturel, trop longtemps interrompu, dans le vote des lois de finances, et elle ne se séparera pas avant d'avoir voté le budget de 1851, comme elle a déjà voté celui de 1850.

M. SAUTEYRA. Oui, au pas de course!

M. LE RAPPORTEUR. Enfin elle a commencé et poursuivi, avec la plus persévérante sollicitude, la solution de toutes les questions qui se rattachent au grand problème de notre époque et de notre société, à l'assistance publique. Ses votes récents sur les caisses de retraites, sur les sociétés de secours mutuels, sur les sociétés de patronage, sur les domiciles insalubres, marquent les pas qu'elle a faits dans cette voie laborieuse, et annoncent dignement les autres mesures que sa commission d'assistance publique lui propose et lui prépare chaque jour. C'est surtout, Messieurs, dans le sein de vos commissions, loin des regards du public, loin des luttes et des entraînements de la tribune, que se déploient ce zèle modeste, cette étude approfondie des questions les plus épineuses, ce dévouement sérieux au pays, cette recherche désintéressée du bien public, qui sont les vertus spéciales du

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