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lution française: Elle fut commencée contre le catholicisme et pour la démocratie: le résultat sera pour le catholicisme et contre la démocratie.

Telles sont, Messieurs, les pensées qui m'ont animé en étudiant la noble carrière de celui que vous m'avez appelé à remplacer parmi vous. On le sait, du reste: quand vous daignez adopter l'un de ceux qui aspirent à votre choix, rien ne vous oblige à adopter ses opinions; et je n'ai pas cette ambition pour les miennes. Mais vous excuserez, je l'espère, la hardiesse habituelle à un homme qui ne s'est jamais servi de la parole pour briguer le pouvoir ou la popularité, et qui place la réaction morale et sociale dont il est le serviteur passionné à une hauteur infinie au-dessus de toutes les questions de gouvernement, de constitution ou de dynastie. Que cette réaction doive durer ou triompher, je l'ignore; je n'y compte pas; je cherche surtout à ne me faire aucune illusion sur ses forces; mais je tiens qu'il faut profiter de la trêve qu'elle nous a value pour proclamer la vérité sans détour. Après cela, que nous soyons vainqueurs ou vaincus, c'est le secret de Dieu. Ce qui importe, c'est de ne pas avoir préparé soi-même la catastrophe où l'on succombe, et après sa défaite de ne pas devenir le complice ou l'instrument de l'ennemi victorieux. Je me souviens à ce propos d'une belle réponse attribuée au plus chevaleresque des révolutionnaires, à M. de la Fayette. On lui demandait ironiquement ce qu'il avait pu faire pour le triomphe de ses doctrines libérales sous l'Empire; il répondit : Je me suis tenu debout.

Il me semble, Messieurs, que cette fière et noble parole pourrait servir de devise et de résumé à votre histoire. L'Académie française a le droit, elle aussi, de dire: Je suis restée debout! Depuis que la forte et dure main du cardinal de

Richelieu l'a fondée, elle a subi bien des orages sans y succomber, traversé bien des régimes sans s'inféoder à aucun. Quelles qu'aient pu être les défaillances individuelles, elle n'a jamais complétement abdiqué devant le monopole de l'opinion dominante ou devant l'éternité chimérique de la force contemporaine.

C'est votre indépendance, Messieurs, qui est le gage de votre durée. En plein dix-huitième siècle, un prêtre, parlant en votre nom, devant la tombe ouverte de Voltaire, osa blàmer hautement ce triomphateur de n'avoir pas dédaigné la triste célébrité qui s'acquiert par l'audace et la licence. Vous n'accorderez pas aux pygmées qui se disputent aujourd'hui la dépouille de Voltaire la connivence que vous avez refusée au plus formidable esprit que le mal ait jamais enfanté.

:

L'esprit révolutionnaire, qu'il faut combattre partout, sera réprimé par vous dans le domaine des lettres, du style, de la langue. Vous défendrez la société contre l'empire fatal de la phrase. Vous vengerez notre langue, chaque jour insultée par l'emploi sacrilége des termes, des images, des symboles empruntés à la religion, par la prostitution des mots les plus saints aux choses les plus souillées. Les bons écrivains ne sauraient être révolutionnaires s'ils commencent quelquefois par là, ils s'en corrigent: s'ils le deviennent, après avoir brillé par ailleurs, leur châtiment ne se fait pas attendre: ils cessent d'être et ne comptent plus. Oui, sauver cette langue française, qui est la forme la plus attrayante, la plus expansive de la vérité, c'est une mission qui vous appelle, Messieurs, aux premiers rangs dans l'œuvre de la régénération sociale, et qui vous attirera toujours le respect, la sympathie, les vœux de tout ce qui aura conservé parmi nous les traditions de l'ordre, de l'esprit, du goût et du bon

sens.

Euvres. III

Discours, III.

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Ainsi s'explique et se justifie cette suprême ambition des âpres lutteurs de l'arène politique, qui est de venir se reposer à vos côtés. Cette distinction déjà si recherchée du temps de Bossuet et de Montesquieu est devenue aujourd'hui la véritable couronne et la seule durable des vies les plus glorieuses.

A une époque où il y avait encore des grands seigneurs, l'un d'eux, le maréchal prince de Beauveau, fier d'ètre admis parmi vous, remarquait que les premiers personnages de l'État venaient briquer ici l'honneur d'être les égaux des gens de lettres. S'il en était ainsi dans cette ancienne société, où tous les rangs étaient si réglés et si distincts, combien plus l'Académie française ne doit-elle pas fixer les regards, éveiller les désirs, enflammer les ambitions, de nos jours où tout est confondu et abaissé, où aucune position n'est assurée, aucune dignité debout, où l'on ne voit plus qu'elle, seul débris du passé qui ait échappé à l'universelle ruine, seul témoin vivant de notre antique gloire!

Pour moi, qui n'étais indiqué à vos suffrages que par des titres si peu nombreux et si contestés, je ne saurais vous exprimer assez la reconnaissance que je vous dois. Vous m'avez ouvert, au milieu de l'orage, le port que n'atteignent pas toujours les plus généreux courages. Vous me permettez d'y retrouver chaque jour des modèles, des amis éprouvés dans d'autres luttes et d'anciens adversaires transformés en alliés. Il me sera donné d'y vivre avec eux, d'y apprendre et d'y goûter cette équité, cette impartialité, cette mesure qui font la force et le charme de votre existence. Heureux si je puis désormais, loin des fatigues, des mécomptes, des animosités de la vie politique, me consacrer tout entier aux nobles études, aux laborieux loisirs dont c'est ici le sanctuaire. Mais j'ai trop parlé de tout pour avoir le droit de parler de moi,

même pour me confondre en actions de grâces. J'ai hâte de finir, car je comprends et je partage votre juste impatience d'entendre cette grande voix, trop longtemps muette, et qui me vaudra votre indulgence en me faisant oublier '.

'M. Guizot, directeur de l'Académie française, qui n'avait pas parlé en public depuis la révolution de Février 1848, a répondu à M. le comte de Montalembert.

DISCOURS AUX CINQ ACADÉMIES

(17 août 1857.)

Le 1er juillet 1857, l'Académie française ayant procédé au renouvellement trimestriel de son bureau. M. le comte de Montalembert fut élu directeur. Il se trouva en cette qualité chargé de présider la séance publique annuelle des cinq académies de l'Institut, pour l'année 1857, qui eut lieu le 17 août. A cette occasion, il prononça le discours suivant :

MESSIEURS,

Au milieu des vicissitudes du temps et de la mobilité des hommes, c'est toujours un grand et consolant spectacle que celui d'une assemblée qui résume tous les labeurs et toutes les gloires de l'esprit. Ce spectacle nous rappelle à tous le grand honneur dont nous sommes investis et les grands devoirs qui nous sont imposés. Admis dans le premier corps littéraire et scientifique du monde, quelle que soit notre faiblesse individuelle, nous devenons tous solidaires de sa grandeur passée, comme de sa destinée future. Il faut se le répéter, non par une puérile satisfaction d'amour-propre, mais par respect pour la responsabilité morale et nationale qui pèse sur nous. En venant une fois tous les ans constater devant le public l'unité de ce grand corps, nous proclamons par cela même l'unité de l'esprit humain, dont nous devons,

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