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bivouacs de l'ennemi, et se faire rendre compte par les grand'gardes de ce qu'elles avaient pu entendre des mouvemens des Russes. Il apprit qu'ils avaient passé la nuit dans l'ivresse et des cris tumultueux, et qu'un corps d'infanterie russe s'était présenté au village de Sokolnitz, occupé par un régiment de la division du général Legrand, qui reçut ordre de le renforcer.

Le 11 frimaire, le jour parut enfin. Le soleil se leva radieux; et cet anniversaire du couronnement de l'Empereur, où allait se passer un des plus beaux faits d'armes du siècle, fut une des plus belles journées de l'automne.

Cette bataille, que les soldats s'obstinent à appeler la journée des Trois Empereurs, que d'autres appellent la journée de l'Anniversaire, et que l'Empereur a nommée la bataille d'Austerlitz, sera à jamais mémorable dans les fastes de la Grande-Nation.

L'Empereur, entouré de tous les maréchaux, at tendait pour donner ses derniers ordres, que l'hori zon fût bien éclairci. Aux premiers rayons du soleil, les ordres furent donnés, et chaque maréchal rejoignit son corps au grand galop.

L'Empereur dit en passant sur le front de bandière de plusieurs régimens: « Soldats, il faut finir >> cette campagne par un coup de tonnerre qui con» fonde l'orgueil de nos ennemis; » et aussitôt les chapeaux au bout des baïonnettes, et des cris de vive l'Empereur, furent le véritable signal du combat. Un instant après la canonnade se fit entendre à l'extrémité de la droite, que l'avant-garde ennemie avait déjà débordée; mais la rencontre imprévue du maréchal Davoust arrêta l'ennemi tout court, et le combat s'engagea.

Le maréchal Soult s'ébranle au même instant, se dirige sur les hauteurs du village de Pratzen avec les divisions des généraux Vandamme et Saint-Hilaire, et coupe entièrement la droite de l'ennemi, dont tous les mouvemens devinrent incertains. Surprise

par une marche de flanc pendant qu'elle fuyait, se croyant attaquante et se voyant attaquée, elle se regarde comme à demi-battue.

Le prince Murat s'ébranle avec sa cavalerie. La gauche, commandée par le maréchal Lannes, marche en échelons par régimens, comme à l'exercice. Une canonnade épouvantable s'engage sur toute la ligne; 200 pièces de canon et près de 200 mille hommes faisaient un bruit affreux; c'était un véritable combat de Géans. Il n'y avait pas une heure qu'on se battait, et toute la gauche de l'ennemi était coupée. Sa droite se trouvait déjà arrivée à Austerlitz, quartier- général des deux empereurs, qui dûrent faire marcher sur le champ la garde de l'empereur de Russie, pour tâcher de rétablir la communication du centre avec la gauche. Un bataillon du 4o de ligne fut chargé par la garde impériale russe à cheval, et culbuté: mais l'Empereur n'était pas loin ; il s'aperçut de ce mouvement; il ordonna au maréchal Bessières de se porter au secours de sa droite avec ses invincibles, et bientôt les deux gardes furent aux mains.

Le succès ne pouvait être douteux; dans un moment la garde russe fut en déroute. Colonel, artillerie étendards, tout fut enlevé. Le régiment du grand-duc Constantin fut écrasé; lui-même ne dut son salut qu'à la vîtesse de son cheval.

Des hauteurs d'Austerlitz, les deux empereurs virent la défaite de toute la garde russe. Au même moment le centre de l'armée, commandé par le maréchal Bernadotte, s'avança; trois de ses régimens soutinrent une très belle charge de cavalerie. La gauche, commandée par le maréchal Lannes, donna plusieurs fois. Toutes les charges furent victorieuses. La division du général Caffarelli s'est distinguée; les divisions de cuirassiers se sont emparées des batteries de l'ennemi. A une heure après midi la victoire était décidée; elle n'avait pas été un moment douteuse. Pas un homme de la réserve n'avait été nécessaire et

n'avait donné nulle part. La canonnade ne se soutenait plus qu'à notre droite. Le corps ennemi, qui avait été cerné et chassé de toutes ses hauteurs, se trouvait dans un bas-fond et acculé à un lac. L'Empereur s'y porta avec 20 pièces de canon. Ce corps fut chassé de position en position, et l'on vit un spectacle horrible, tel qu'on l'avait vu à Aboukir; 20 mille hommes se jetant dans l'eau et se noyant dans les lacs.

Deux colonnes, chacune de 4 mille Russes, met tent bas les armes, et se rendent prisonnières; tout le parc ennemi est pris. Les résultats de cette journée sont 40 drapeaux russes, parmi lesquels sont les étendards de la garde impériale; un nombre considérable de prisonniers; l'état-major ne les connaît pas encore tous; on avait déjà la note de 20 mille; 12 à 15 généraux, au moins 15 mille Russes tués, restés sur le champ de bataille. Quoiqu'on n'ait pas encore les rapports, on peut, au premier coup d'œil, évaluer notre perte à 800 hommes tués, et à 1500 ou 1600 blessés. Cela n'étonnera pas les militaires, qui savent que ce n'est que dans la déroute qu'on perd des hommes; et nul autre corps que le bataillon du 4 n'a été rompu. Parmi les blessés sont le général Saint-Hilaire, qui, blessé au commencement de l'action, est resté toute la journée sur le champ de bataille; il s'est couvert de gloire. Les généraux de division Kellermann et Walther, les généraux de brigade Valhubert, Thiébaut, Sébastiani, Compan, et Rapp, aide-de-camp de l'Empereur. C'est ce dernier qui, en chargeant à la tête des grenadiers de la garde, a pris le prince Repnin, commandant les chevaliers de la garde impériale de Russie. Quant aux hommes qui se sont distingués, c'est toute l'armée qui s'est couverte de gloire. Elle a constamment chargé aux cris de vive l'Empereur! et l'idée de célébrer si glorieusement l'anniversaire du couronnement, animait encore le soldat.

L'armée française, quoique nombreuse et belle

était moins nombreuse que l'armée ennemie, qui était forte de 105 mille hommes, dont 80 mille Russes et 25 mille Autrichiens. La moitié de cette armée est détruite; le reste a été mis en déroute complète, et la plus grande partie a jeté ses armes.

Cette journée coûtera des larmes de sang à SaintPétersbourg. Puisse-t-elle y faire rejeter avec indignation l'or de l'Angleterre! et puisse ce jeune prince, que tant de vertus appelaient à être le père de ses sujets, s'arracher à l'influence de ces trente freluquets que l'Angleterre solde avec art, et dont les impertinences obscurcissent ses intentions, lui font perdre l'amour de ses soldats, et le jettent dans les opérations les plus erronées. La nature, en le douant de si grandes qualités, l'avait appelé à être le consolateur de l'Europe. Des conseils perfides, en le rendant l'auxiliaire de l'Angleterre, le placeront dans l'histoire au rang des hommes qui, en perpétuant la guerre sur le continent, auront consolidé la tyrannie britannique sur les mers et fait le malheur de notre génération. Si la France ne peut arriver à la paix qu'aux conditions que l'aide-decamp Dolgorouski a proposées à l'Empereur, et que M. de Novozilof avait été chargé de porter, la Russie ne les obtiendrait pas, quand même son armée serait campée sur les hauteurs de Mont

martre.

Dans une relation plus détaillée de cette bataille, l'état-major fera connaître ce que chaque corps, chaque officier, chaque général, ont fait pour illustrer le nom français, et donner un témoignage de leur amour à leur Empereur.

Le 12, à la pointe du jour, le prince Jean de Lichtenstein, commandant l'armée autrichienne est venu trouver l'Empereur à son quartier-général, établi dans une grange. Il en a eu une longue audience. Cependant nous poursuivons nos succès. L'ennemi s'est retiré sur le chemin d'Austerlitz à Godding. Dans cette retraite il prête le flanc; l'ar

mée française est déjà sur ses derrières, et le suit l'épée dans les reins.

Jamais champ de bataille ne fut plus horrible. Du milieu de lacs immenses, on entend encore les cris de milliers d'hommes qu'on ne peut secourir. Il faudra trois jours pour que tous les blessés ennemis soient évacués sur Brünn. Le cœur saigne. Puisse tant de sang versé, tant de malheurs retomber enfin sur les perfides insulaires qui en sont la cause ! puissent les lâches olygarques de Londres porter la peine de tant de maux !

Au bivouac, le 10 frimaire an 14 ( 2 décembre). SOLDATS,

L'armée russe se présente devant vous pour venger l'armée autrichienne d'Ulm. Ce sont ces mêmes bataillons que vous avez battus à Hollabrunn, et que depuis vous avez constamment poursuivis jusqu'ici.

Les positions que nous occupons sont formidables, et pendant qu'ils marcheront pour tourner ma droite, ils me présenteront le flanc.

Soldats, je dirigerai moi-même tous vos bataillons; je me tiendrai loin du feu, si, avec votre bravoure accoutumée, vous portez le désordre et la confusion dans les rangs ennemis; mais si la victoire était un moment incertaine, vous verriez votre Empereur s'exposer aux premiers coups: car la victoire ne saurait hésiter, dans cette journée sur-tout où il y va de l'honneur de l'infanterie française, qui importe tant à l'honneur de toute la nation.

Que sous prétexte d'emmener les blessés, on ne dégarnisse pas les rangs, et que chacun soit bien pénétré de cette pensée, qu'il faut vaincre ces stipendiés de l'Angleterre, qui sont animés d'une si grande haine contre notre nation.

Cette victoire finira notre campagne, et nous pourrons reprendre nos quartiers d'hiver, où nous

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