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IXe. BULLETIN.

Elchingen, 29 vendém. an 14 (21 octobre).

L'EMPEREUR vient de faire la proclamation et de rendre les décrets ci-joints.

A midi, Sa Majesté est partie pour Augsbourg. On a enfin le compte exact de l'armée renfermée dans Ulm; elle se monte à 33 mille hommes, ce qui, avec 3000 blessés, porte la garnison prisonnière à 36 mille hommes. Il y avait aussi dans la place 60 pièces de canon avec leur approvisionnement, drapeaux.

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Rien ne fait un contraste plus frappant que l'esprit de l'armée française et celui de l'armée autrichienne. Dans l'armée française l'héroïsme est porté au dernier point; dans l'armée autrichienne le découragement est à son comble. Le soldat est payé avec des cartes ; il ne peut rien envoyer chez luí, et il est très-maltraité. Le Français ne songe qu'à la gloire. On pourrait citer un millier de traits comme le suivant: Brard, soldat du 76e, allait avoir la cuisse amputée; il avait la mort dans l'ame: au moment où le chirurgien se préparait à faire l'opération, il l'arrête : « Je sais que je n'y survivrai pas; mais n'importe : un homme de moins n'empêchera pas la 76e de marcher, la baïonnette en avant et sur trois rangs,

à l'ennemi. >>

L'Empereur n'a à se plaindre que de la trop grande impétuosité des soldats. Ainsi le 17e d'infanterie légère arrivé devant Ulm, se précipita dans la place; ainsi pendant la capitulation, toute l'armée voulait monter à l'assaut, et l'Empereur fut obligé de déclarer fermement qu'il ne voulait pas d'assaut.

La première colonne des prisonniers faits dans Ulm, part dans ce moment pour la France.

Voici le compte de nos prisonniers, du moins de

ceux actuellement connus, et les lieux où ils se trouvent: 10 mille dans Augsbourg; 33 mille dans Ulm; 12 mille à Donawerth, et 12 mille qui sont déjà en marche pour la France. L'Empereur dit dans sa proclamation, que nous avons fait 60 mille prisonniers; il est probable qu'il y en aura davantage. Il porte le nombre des drapeaux pris à 90; il est probable aussi que nous en aurons davantage.

L'Empereur a dit aux généraux autrichiens qu'il avait appelés près de lui, pendant que l'armée ennemie défilait : « Messieurs, votre maître me fait une guerre injuste; je vous le dis franchement, je ne sais point pourquoi je me bats; je ne sais ce qu'on veut de moi.

» Ce n'est pas dans cette seule armée que consistent mes ressources. Cela serait-il vrai, mon armée et moi ferions bien du chemin. Mais j'en appelle au rapport de vos propres prisonniers, qui vont bientôt traverser la France : ils verront quel esprit anime mon peuple, et avec quel empressement il viendra se ranger sous mes drapeaux. Voilà l'avantage de ma nation et de ma position. Avec un mot, 200 mille hommes de bonne volonté accourront près de moi, et en six semaines seront de bons soldats; au lieu que vos recrues ne marcheront que par force, et ne pourront, qu'après plusieurs années, faire des

soldats.

» Je donne encore un conseil à mon frère l'Empereur d'Allemagne : qu'il se hâte de faire la paix. C'est le moment de se rappeler que tous les empires ont un terme : l'idée que la fin de la dynastie de la maison de Lorraine serait arrivée, doit l'effrayer. Je ne veux rien sur le continent. Ce sont des vaisseaux, des colonies, du commerce que je veux, et cela vous est avantageux comme à nous. » M. Mack a répondu que l'Empereur d'Allemagne n'aurait pas voulu la guerre, mais qu'il y a été forcé par la Russie. «En ce cas, a répondu l'Empereur, vons n'êtes donc plus une puissance. >>

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Du reste, la plupart des officiers-généraux ont témoigné combien cette guerre leur était désagréable et avec quelle peine ils voyaient une armée russe au milieu d'eux.

Ils blâmaient cette politique assez aveugle pour attirer au cœur de l'Europe un peuple accoutumé à vivre dans un pays inculte et agreste, et qui, comine ses ancêtres, pourrait bien avoir la fantaisie de s'établir dans de plus beaux climats.

L'Empereur a accueilli avec beaucoup de grâce le lieutenant-général Klena i, qu'il avait connu commandant le régiment de Wurmser; les lieutenansgénéraux Giulay, Gottesheim, Ries ; les princes de Lichtenstein, etc.

Il les a consolés de leur malheur, leur a dit que la guerre a ses chances, et qu'ayant été souvent vainqueurs, ils pouvaient être quelquefois vaincus.

Du quartier-général impérial d'Elchingen, le 29 vend. an 14 ( 21 octobre).

SOLDATS DE LA GRANDE-ARMÉE,

« En quinze jours nous avons fait une campagne. Ce que nous nous proposions est rempli. Nous avons chassé les troupes de la maison d'Autriche de la Bavière, et rétabli notre allié dans la souveraineté de ses états. Cette armée qui, avec autant d'ostentation que d'imprudence, était venue se placer sur nos frontières, est anéantie. Mais qu'importe à l'Angleterre? son but est rempli. Nous ne sommes plus à Boulogne, et son subside ne sera ni plus ni moins grand.

» De 100 mille hommes qui composaient cette armée, 60 mille sont prisonniers. Ils iront remplacer nos conscrits dans les travaux de nos campagnes, 200 pièces de canon tout le parc, 90 drapeaux, tous les généraux sont en notre pouvoir; il ne s'est pas échappé de cette armée 15 mille hommes. Soldats, je vous avais annoncé une grande bataille; mais,

grâces aux mauvaises combinaisons de l'ennemi, j'ai pu obtenir les mêmes succès sans courir aucune chance; et, ce qui est sans exemple dans l'histoire des nations, un aussi grand résultat ne nous affaiblit pas de 15 cents hommes hors de combat.

» Soldats, ce succès est dû à votre confiance sans bornes dans votre Empereur, à votre patience à supporter les fatigues et les privations de toute espèce, à votre rare intrépidité.

» Mais nous ne nous arrêterons pas là : vous êtes impatiens de commencer ne seconde campagne. Cette armée russe que l'or de l'Angleterre a transportée des extrémités de l'univers, nous allons lui faire éprouver le même sort.

» Ace combat est attaché plus spécialement l'honneur de l'infanterie ; c'est là que va se décider pour la seconde fois cette question qui l'a déjà été en Suisse et en Hollande : si l'infanterie française est la seconde ou la première de l'Europe? Il n'y a point là de généraux contre lesquels je puisse avoir de la gloire à acquérir; tout mon soin sera d'obtenir la victoire avec le moins possible d'effusion de sang: mes soldats sont mes enfans. >>

De mon camp impérial d'Elchingen, le 29 vend. an 14 ( 21 octobre).

Napoléon, Empereur des Français et Roi d'Italie, Considérant que la grande-armée a obtenu, par son courage et son dévouement, des résultats qui ne devaient être espérés qu'après une campagne ;

Et voulant lui donner une preuve de notre satisfaction impériale, nous avons décrété et décrétons ce qui suit :

Art. 1. Le mois de vendémiaire de l'an 14 sera compté comme une campagne à tous les individus composant la grande-armée.

Ce mois sera porté comme tel sur les états pour l'évaluation des pensions et pour les services militaires.

2. Nos ministres de la guerre et du trésor public sont chargés de l'exécution du présent décret.

Signé, NAPOLÉON.

Par l'Empereur,

Le ministre secrétaire-d'état, H. B. MARET.

De mon camp impérial d'Elchingen,

le 29 vend. an 14 (21 octobre).

Napoléon, Empereur des Français et Roi d'Italie, Nous avons décrété et décrétons ce qui suit: Art. 1. Il sera pris possession de tous les Etats en Souabe de la maison d'Autriche.

2. Les contributions de guerre qui y seront levées, ainsi que les contributions ordinaires, seront toutes au profit de l'armée. Tous les magasins qui seraient pris à l'ennemi, autres que les magasins d'artillerie et de subsistances, seront également à son profit.

Chacun aura une part dans ces contributions proportionnée à ses appointemens.

3. Les contributions particulières qui auraient été levées, ou les objets qui auraient été tirés des magasins de l'ennemi, seront restitués à la masse générale; personne ne devant profiter du droit de la guerre, pour faire tort à la masse générale de

l'armée.

4. Il sera incessamment nommé un trésorier et un directeur-général, qui rendront compte, chaque mois, à un conseil d'administration de l'armée, des contributions qui auront été levées. L'état en sera imprimé avec la répartition.

5. La solde sera exactement payée sur les fonds de notre trésor impérial.

6. Notre ministre de la guerre est chargé de l'exécution du présent décret.

Signé, NAPOLéon.

Par l'Empereur,

Le ministre secrétaire-d'état, H. B. MARET.

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