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Dans la journée, l'empereur de Russie se rendit à Vischau, et toute l'armée russe prit position derrière cette ville.

L'Empereur avait envoyé son aide-de-camp, le général Savary, pour complimenter l'empereur de Russie, dès qu'il avait su ce prince arrivé à l'armée. Le général Savary revint au moment où l'Empereur faisait la reconnaissance des feux de bivouac ennemis placés à Vischau. Il se loua beaucoup du bon accueil, des graces et des bons sentimens personnels de l'empereur de Russie, et même du grand-duc Constantin, qui eut pour lui toute espèce de soins et d'attention; mais il lui fut facile de comprendre, par la suite des conversations qu'il eut pendant trois jours avec une trentaine de freluquets qui, sous différens titres, environnent l'empereur de Russie, que les présomptions, l'imprudence et l'inconsidération régneraient dans les décisions du cabinet militaire, comme elles avaient régné dans celles du cabinet politique.

Une armée ainsi conduite, ne pouvait tarder à faire des fautes. Le plan de l'Empereur fut, dès ce moment, de les attendre, et d'épier l'instant d'en profiter. Il donna sur-le-champ l'ordre de retraite à son armée, se retira de nuit, comme s'il eût essuyé une défaite, prit une bonne position à trois lieues en arrière, fit travailler avec beaucoup d'ostentation à la fortifier et à y établir des

batteries..

Il fit proposer une entrevue à l'empereur de Russie, qui lui envoya son aide-de-camp, le prince Dolgorouki: Cet aide-de-camp put remarquer que tout respirait, dans la contenance de l'armée française, la réserve et la timidité ; le placement des grand'gardes, les fortifications que l'on faisait en toute hâte, tout laissait voir à l'officier russe une armée à demi-battue.

Contre l'usage de l'Empereur, qui ne reçoit jamais avec tant de circonspection les parlementaires à son quartier

quartier-général, il se rendit lui-même à ses avantpostes. Après les premiers complimens, l'officier russe voulut entamer des questions politiques. Il tranchait sur tout avec une impertinence difficile à imaginer il était dans l'ignorance la plus abe solue des intérêts de l'Europe et de la situation du continent. C'était, en un mot, un jeune trompette de l'Angleterre. Il parlait à l'Empereur, comme il parle aux officiers russes, qué depuis long-temps il indigne par sa hauteur et ses mauvais procédés. L'Empereur contint toute son indignation; et ce jeune homme, qui a pris une véritable influence sur l'empereur Alexandre, retourna plein de l'idéo que l'armée française était à la veille de sa perte. On se convaincra de tout ce qu'a dû souffrir l'Empereur, quand on saura que sur la fin de la conversation, il lui proposa de céder la Belgique et de mettre la couronne de fer sur la tête des plus implacables ennemis de la France. Toutes ces différentes démarches remplirent leur effet. Les jeunes têtes qui dirigent les affaires russes, se livrèrent sans mesure à leur présomption, naturelle. Il n'était plus question de battre l'armée française, mais de la tourner et de la prendré : elle n'avait tant fait que par la lâcheté des Autrichiens. On assure què plusieurs vieux généraux autrichiens, qui avaient fait des campagnes contre l'Empereur, prévinrent le conseil que ce n'était pas avec cette confiance qu'il fallait marcher contre une armée qui comptait tant de vieux soldats et d'officiers du premier més rite. Ils disaient qu'ils avaient vu l'Empereur réduit à une poignée de monde, dans les circonstances les plus difficiles, ressaisir la victoire par des opé, rations rapides et imprévues, et détruire les armées les plus nombreuses; que cependant ici on n'avait obtenu aucun avantage; qu'au contraire toutes les affaires d'arrière-garde de la première armée russe avaient été en faveur de l'armée française: mais à cela cette jeunesse, présomptueuse opposait. Je

bravoure de 80 mille Russes; l'enthousiasme que leur inspirait la présence de leur Empereur, le corps d'élite de la garde impériale de Russie, et, ce qu'ils n'osaient probablement pas dire, leur talent, dont ils étaient étonnés que les Autrichiens voulussent méconnaître la puissance.

Le 10, l'Empereur, du haut de son bivouac, aperçut, avec une indicible joie, l'armée russe commençant, à deux portées de canon de ses avantpostes, un mouvement de flanc pour tourner sa droite. Il vit alors jusqu'à quel point la présomption et l'ignorance de l'art de la guerre avaient égaré les conseils de cette brave armée. Il dit plusieurs fois : « Avant demain au soir, cette armée est à moi. » Cependant, le sentiment de l'ennemi était bien différent il se présentait devant nos grand'gardes à portée de pistolet ; il défilait par une marche de flanc sur une ligne de quatre lieues, en prolongeant l'armée française, qui paraissait ne pas oser sortir de sa position: il n'avait qu'une crainte, c'était que l'armée française ne lui échappât. On fit tout pour confirmer l'ennemi dans cette idée. Le prince Murat fit avancer un petit corps de cavalerie dans la plaine; mais tout d'un coup il parut étonné des forces immenses de l'ennemi, et rentra à la hâte. Ainsi tout tendait à confirmer le général russe dans l'opération mal calculée qu'il avait arrêtée. L'Empereur fit mettre à l'ordre la proclamation ci-jointe. Le soir, il voulut visiter à pied, et incognito, tous les bivouacs; mais à peine eut-il fait quelques pas, qu'il fut reconnu. Il serait impossible de peindre Penthousiasme des soldats en le voyant. Des fanaux de paille furent mis en un instant au haut de milliers de perches, et 80 mille hommes se présentèrent au-devant de l'Empereur, en le saluant par des acclamations, les uns pour fêter l'anniversaire de son couronnement, les autres disant que l'armée donnerait le lendemain son bouquet à l'Empereur. Un des plus vieux grenadiers s'approcha

de lui, et lui dit : « Sire, tu n'auras pas besoin de t'exposer. Je te promets, au nom des grenadiers de l'armée, que tu n'auras à combattre que des yeux, et que nous t'amènerons demain les drapeaux et l'artillerie de l'armée russe pour célébrer l'annig versaire de ton couronnement »

L'Empereur dit en entrant dans son bivouac, qui consistait en une mauvaise cabane de paille sans toit, que lui avaient faite les grenadiers: « Voilà la plus belle soirée de ma vie ; mais je regrette de penser que je perdrai bon nombre de ces braves gens. Je sens au mal que cela me fait, qu'ils sont véritablement mes enfans; et, en vérité, je me reproche quelquefois ce sentiment; car je crains qu'il ne finisse par me rendre inhabile à faire la guerre. » Si l'ennemi eût pu voir ce spectacle, il eût été épouvanté. Mais l'insensé continuait toujours son mouvement, et courait à grands pas à sa perte.

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L'Empereur fit sur le champ toutes ses dispositions de bataille. Il fit partir le maréchal Davoust en toute hâte, pour se rendre au couvent de Raygern; il devait, avec une de ses divisions, et une division de dragons, y contenir l'aile gauche de l'ennemi afin qu'au moment donné elle se trouvât toute enveloppée il donna le commandement de la gauche au maréchal Lannes de la droite au maréchal Soult, du centre au maréchal Bernadotte, et de toute la cavalerie, qu'il réunit sur un seul point, au prince Murat. La gauche du maréchal Lannes était appuyée au Santon, position superbe que l'Empereur avait fait fortifier, et où il avait fait placer 18 pièces de canon. Dês la veille; il avait confié la garde de cette belle position au 17e régiment d'infanterie légère; et certes elle ne pouvait être gardée par de meilleures troupes. La división du général Suchet formait la gauche du maréchal Lannes; celle du général Caffarelli formait sa droite, qui était appuyée sur la cavalerie du prince Murat.

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Celle-ci avait devant elle les hussards et chasseurs sous les ordres du général Kellermann, et les divisions de dragons Walter et Beaumont, et en réserve les divisions de cuirassiers des généraux Nansouty et d'Hautpoult, avec 24 pièces d'artillerie légère.

Le maréchal Bernadotte, c'est-à-dire le centre, avait à sa gauche la division du général Rivaud, appuyée à la droite du prince Murat, et à sa droite la division du général Drouet.

Le maréchal Soult, qui commandait la droite de l'armée, avait à sa gauche la division du général Vandamme, au centre la division du général Saint-Hilaire, à sa droite la division du général Legrand.

Le maréchal Dávoust était détaché sur la droite du général Legrand, qui gardait les débouchés des Etangs, et des villages de Sokolnitz et de Celnitz. Il avait avec lui la division Friant et les dragons de la division du général, Bourcier. La division du général Gudin devait se mettre de grand matin en marche de Nicolsburg, pour contenir le corps ennemi qui aurait pu déborder la droite.

L'Empereur, avec son fidèle compagnon de guerre le maréchal Berthier, son premier aide-de-camp le colonel-général Junot et tout son état-major, se trouvait en réserve avec les dix bataillons de sa garde, et les dix bataillons de grenadiers du général Oudinot, dont le général Duroc commandait une partie.

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Cette réserve était rangée sur deux, lignes en colonnes par bataillon, à distance de déploiement, ayant dans les intervalles 40 pièces de canon servies par les canonniers de la garde. C'est avec cette ré+ serve que l'Empereur avait le projet de se précipiter par-tout où il eût été nécessaire. On peut dire que cette réserve seule valait une armée.

A une heure du matin l'Empereur monta à cheval pour parcourir ses postes, reconnaître les feux des

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