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fleurir le schisme que la révolution avait implanté sur le vieux sol catholique de France, leur culte, détesté de la majeure partie des habitants, ne faisait que languir de plus en plus, car ils ne pouvaient donner la vie à un parti religieux qui n'avait pour sectateurs que des indifférents et pour protecteurs que des impies. D'ailleurs les royalistes armés ne souffraient l'exercice de ce culte sacrilége dans les cantons où ils se trouvaient.

Une lettre de Saint-Brieuc, écrite dans les premiers mois de 1796, et publiée dans les Annales de la Religion, donne à ce sujet des détails curieux et montre clairement le peu d'importance qu'avait alors le clergé constitutionnel : « Beaucoup de pasteurs » de campagne de ce département, y est-il dit entre autres cho»ses, ont été obligés de se réfugier dans les grandes communes, » où, dénués de tout, abandonnés de tous, ILS PÉRISsent de misère; » j'en excepte une quinzaine qui donnent leur vie pour leurs » ouailles; ils s'attendent tous les jours à être égorgés par les » chouans, comme l'ont été beaucoup de leurs confrères. »

L'aveu que fait l'auteur de cette lettre de l'état d'abandon dans lequel se trouvaient les curés intrus, dans un pays chrétien, prouve combien était petit le nombre de leurs partisans. Il est vrai qu'outre leur apostasie qui les rendait odieux, ils n'avaient rien dans leur conduite qui pût inspirer l'intérêt des peuples en leur faveur. Ces intrus réfugiés, presque chaque jour plongés dans la crapule et l'ivresse, ne fréquentaient guère d'autre compagnie que celle des soldats.

Si les prêtres constitutionnels avaient à souffrir, leur position était cependant moins pénible que celle des prêtres catholiques. Ceux-ci, réduits à se cacher avec soin, pour échapper aux regards de leurs persécuteurs, vivaient au milieu de dangers que leur zèle rendait sans cesse renaissants. Il y en eut parmi eux, tels que MM. Orain, Robin, Courtois, Eon, Corbillé, et plusieurs autres dont les noms sont connus et bénis de toute la Bretagne, qui montrèrent un courage que l'on peut appeler véritablement héroïque.

Les périls continuels au milieu desquels vivaient les prêtrescachés leur inspiraient quelquefois, aussi bien qu'à ceux qui leur donnaient asile, les moyens les plus ingénieux pour mettre en défaut leurs persécuteurs.

Un jour, M. Eon confessait, dans une maison de Montauban, des enfants qu'il disposait à la première communion. Tout à coup il entend crier à son hôtesse qui était dehors : « Ouvre

ta porte, tu as des gens suspects chez toi. » Cette femme effrayée appelle son mari, et la violence redouble. Il n'y avait pas un instant à perdre, car la maison était cernée par des soldats. M. Eon, qui craignait que ses hôtes ne périssent pour lui, quitte son habit, et, sortant par une porte de derrière, il va hardiment dans la cour au milieu de la troupe, et, s'adressant à un soldat: « Que demandes-tu? lui dit-il. Je demande à entrer. tience, mon ami, je vais t'ouvrir. » Puis se tournant vers un autre : « Toi, que veux-tu? — Je veux à déjeuner. — Je vais te servir, et tu le seras bien. » Cette assurance étonna les soldats; ils ne purent soupçonner que ce fût un prêtre qui leur parlait de la sorte, et ils se retirèrent sans l'arrêter,

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Une autre fois, il était assis paisiblement au foyer d'une ferme, lorsque des soldats arrivent soudain et la remplissent. La maîtresse du logis rentre au même instant, et, par un trait de présence d'esprit admirable, elle saisit une verge, et en frappant M. Eon, qui était d'une taille peu avantageuse : « Comment, petit malheureux, lui dit-elle d'un ton courroucé, tu n'es pas encore allé garder nos vaches. » Aux coups rigoureux que lui administre la fermière, l'abbé se lève et se retire en feignant de pleurer. Les soldats voyant la brave femme le poursuivre et continuer a le frapper, eurent pitié du pauvre pâtre et engagèrent sa maîtresse à n'être plus si sévère envers lui.« Depuis ce matin, leur répondit-elle avec aigreur, je lui dis d'aller avec nos vaches, et il reste là, les bras croisés, à faire le paresseux. » Trompés par la bonne foi apparente de la fermière, les républicains ne songèrent pas à arrêter ce petit homme qu'ils prenaient pour un vacher, et M. Eon put ainsi se sauver une seconde fois d'entre les mains de ses ennemis, grâce à ce trait ingénieux de son hôtesse.

Comme en 1794, les prêtres catholiques qui, à cause de leur grand âge ou de leurs infirmités, avaient été exemptés de la déportation, furent encore enfermés dans des maisons d'arrêt. Ceux qui évitaient la détention, se trouvaient obligés de se cacher soigneusement, afin de ne pas tomber entre les mains de leurs bourreaux. Ce n'était qu'au péril de leur vie qu'ils pouvaient, le plus souvent pendant la nuit, procurer aux fidèles les secours de leur saint ministère.

Ennemi acharné de la religion, le Directoire employait, pour l'anéantir en France, des moyens moins violents que ceux de Robespierre, mais tout aussi puissants, tout aussi destructeurs.

Dès les premiers mois qui suivirent son établissement, il avait adressé aux commissaires nationaux une instruction dans laquelle se montre d'une manière révoltante la haine aveugle des révolutionnaires contre les prêtres catholiques. Les directeurs disaient, dans cette instruction barbare, en parlant des prêtres réfractaires :

« Désolez leur patience; enveloppez-les de votre surveillance; qu'elle les inquiète le jour, qu'elle les trouble la nuit. Ne leur » donnez pas un moment de relâche; que, sans vous voir, ils » vous sentent partout à chaque instant. »

Et ces commissaires impies exécutaient avec une lâche cruauté les ordres féroces des nouveaux maîtres de la France.

Le Directoire était également secondé par les membres du Conseil des Cinq-Cents, qui partageaient sa haine contre le clergé catholique. Drulhe, ancien conventionnel et prêtre apostat, fut chargé par ce Conseil, dont il était membre, de faire un rapport sur les prêtres réfractaires; il remplit cette tâche dans la séance du 16 mai 1796, et les peignit sous les couleurs les plus noires. Il les représenta comme des rebelles dangereux, des esprits turbulents, des perturbateurs de l'ordre social, qui faisaient couler des flots de sang. Dans sa conclusion, il renchérit sur la rigueur des lois tyranniques déjà rendues contre eux, et demanda à ce qu'ils fussent tous soumis à la déportation, Cette assemblée, composée en partie de régicides, comptait peu d'hommes humains; aussi la proposition de Drulhe fut-elle favorablement accueillie, et il ne dépendit pas de ce Conseil qu'elle ne devînt une loi de l'Etat, Heureusement le Conseil des Anciens, auquel il fallait la soumettre pour qu'elle reçût sa sanction, la rejeta unanimement dans sa séance du 26 août; et, pour un temps au moins, les prètres qui avaient fait la soumission, jouirent de quelque tranquillité,

Les constitutionnels profitèrent de cette époque de calme pour réaliser le projet qu'ils avaient depuis longtemps rêvé d'un concile national. Ils l'ouvrirent à Paris, dans l'église de Notre-Dame, le 15 août 1797, Il était composé de trente-un évêques intrus, de onze procureurs épiscopaux, de cinq députés de presbytères et cinquante-deux députés du clergé des diocèses. Le Coz, évêque intrus de l'Ile-et-Vilaine, en fut le président, et l'abbé Lanjui, nais y remplit les fonctions de secrétaire.

Nous n'entrerons pas dans le détail des opérations de ce conciliabule. Nous dirons seulement que les intrus qui le compo

saient curent grand soin de proclamer qu'ils faisaient profession de la religion catholique, apostolique et romaine: conduite qui prouve qu'ils sentaient eux-mêmes le besoin de rassurer leurs partisans sur ce point important, et qui ressemble assez à ces protestations de bonne foi, que prodiguent en toute occasion certaines gens dont la probité est des plus suspectes. Ils publièrent un décret de pacification dans lequel ils offraient la paix aux prêtres catholiques, qu'ils auraient reçus avec plaisir, si ceux-ci avaient voulu participer à leur schisme. Cette assemblée sacrilége préconisa les principes et les livres jansénistes, et n'épargna pas le blâme au vénérable Pie VI, évêque de Rome, tout en le reconnaissant pour le chef de l'Eglise.

Tandis que le concile des intrus s'évertuait à rédiger des décrets et adressait aux fidèles des lettres pastorales que ceux-ci ne recevaient pas, les députés, amis de la justice et de l'ordre, travaillaient, au Conseil des Anciens et à celui des Cinq-Cents, à faire rapporter les lois de proscription rendues contre les prêtres réfractaires, et à faire rentrer en France les véritables pasteurs. Leurs efforts furent enfin couronnés de succès; mais ce ne fut pas sans peine qu'ils parvinrent à triompher de la résistance opiniâtre que leur opposait l'esprit révolutionnaire. Dans la séance du 8 messidor (26 juin), le député Dubruel fit un rapport sur les lois pénales rendues contre les prêtres non assermentés. Ce rapport, remarquable par le courage et le talent de l'orateur, présente d'abord le tableau des maux de toute espèce qu'ont eu à souffrir les prêtres fidèles; il rappelle ensuite leur patience et leur résignation; il montre qu'ils ne sont pas des étrangers, mais bien des parents, des amis, des membres enfin de la grande famille française. Le rapporteur conclut à ce que toutes les lois pénales, rondues contre les prètres, soient abrogées, et il presse ses collègues de faire disparaître ces restes impurs des lois révolutionnaires.

Un autre rapport, celui de Camille Jordan sur la police des cultes, offrait ce précieux avantage qu'il ne demandait, de la part des prêtres, aucune des formules de soumission aux lois de la République qui avaient été exigées jusqu'alors. La discussion sur cc rapport commença dans la séance du 20 messidor (8 juillet). Le Merer, député de l'Ile-et-Vilaine, parla avec une éloquence peu commune en faveur du projet, et son discours fut un hommage magnifique rendu à la religion. D'autres députés, tels que Pavie (de l'Eure), Royer-Collard et Pastoret, s'exprimèrent dans

le même sens; mais il y en eut plusieurs qui opinèrent pour la soumission et manifestèrent toute leur haine contre le sacerdoce catholique. La proposition de Camille Jordan, soumise au scrutin, fut rejetée à une majorité de six voix.

Il se passa plus d'un mois avant que le Conseil des Anciens prononcât sur la proposition de Camille Jordan. Enfin Muraire, dans la séance du 7 fructidor (24 août), ayant fait un rapport favorable sur cette question, ses conclusions furent adoptées. La justice rendue en ce jour au clergé fidèle devint un immense sujet de joie pour tous les bons catholiques, et leur fit espérer des jours tranquilles pour la religion. Hélas! ces jours de bonheur ne furent pas de longue durée.

L'impiété révolutionnaire avait frémi de rage, en voyant le Corps législatif incliner en faveur des prêtres. De fougueux républicains qui croyaient découvrir des projets contre-révolutionnaires dans ces mesures de modération, résolurent de tenter un coup d'Etat, et prirent tous les moyens les plus propres à faire réussir leur dessein. Trois membres du Directoire étaient les chefs de cette conspiration qui avait à sa tête le président La Revellière-Lepaux, homme d'une impiété notoire et qui s'était déclaré le pontife de la nouvelle religion des théophilanthropes. Les intrigues de ces conspirateurs n'avaient pas été si secrètes que les députés favorables à la cause catholique n'en eussent été avertis. Ils avaient plus d'une fois manifesté à la tribune des inquiétudes à ce sujet; mais les complices des directeurs les avaient traitées d'imaginaires ou d'exagérées, et, comme en temps de révolution les méchants finissent toujours par tromper les gens de bien, les conjurés leur avaient inspiré une sorte de sécurité qui les aveugla au point de les empêcher de prendre les précautions qu'auraient dû leur dicter la prudence et l'existence du danger. Au mépris formel de la constitution, le Directoire avait fait venir à Paris le général Augereau, à la tête d'un corps de troupes. Ce général, issu de la plus basse classe du peuple, devait à la révolution son rang et son immense fortune. Il était donc l'homme propre à soutenir les révolutionnaires; ils comptaient sur lui, et il ne leur faillit pas. En effet, le 18 fructidor (4 septembre 1797), les factieux, appuyés sur la force armée, firent arrêter les deux directeurs Barthélemi et Carnot, avec les cinquante-trois membres des deux conseils qui professaient les meilleurs principes politiques et s'étaient montrés les plus zélés défenseurs de la religion. Ils furent tous condamnés à la dépor

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