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tation, sans aucune forme de procès. On rapporta la loi qui rappelait les prêtres déportés et l'on remit en vigueur celle du 7 vendémiaire (29 septembre 1793), en substituant au serment que cette loi ordonnait celui de haine à la royauté et de fidélité à la constitution de l'an III. Tout émigré rentré en France avait quinze jours pour en sortir; passé ce temps, il devait être traduit devant une commission militaire, jugé sans appel et exécuté dans les vingt-quatre heures; disposition atroce, qui regardait un certain nombre de prêtres inscrits sur la liste des émigrés, et qui plus d'une fois ne fut que trop fidèlement suivie.

Les événements du 18 fructidor rallument avec violence le feu de la persécution qui s'en prit aussi bien aux laïques qu'aux prêtres. On tourmenta les paysans et les marchands qui observaient le repos du dimanche et travaillaient le jour de décade; on fusilla des émigrés, rentrés en France sous divers déguisements, pour mettre ordre à leurs affaires domestiques; on emprisonna des suspects, et l'on déporta des prêtres à la Guyane.

Néanmoins, quelque violente que fût la persécution, elle n'atteignit pas le clergé constitutionnel, et les évêques intrus purent continuer leur conciliabule de Paris, sans qu'aucune vexation vînt le troubler. Ils devaient cette tranquillité à la souplesse de leurs consciences, qui s'accommodaient d'un gouvernement impie et protecteur naturel de tout schisme avec l'Eglise de Rome. La clôture du prétendu concile national eut lieu le 12 novembre et finit par des acclamations patriotiques dont les deux principales furent les suivantes :

«Reconnaissance aux autorités constituées qui ont protégé la » liberté des délibérations du concile national! >>

«Que Dieu conserve la République; qu'il en assure la prospé» rité et qu'il donne aux Français les grâces nécessaires pour » faire un saint usage de la liberté qu'ils ont reconquise!...>>

Il est facile de voir, par ces deux citations, quelles sympathies existaient entre les autorités républicaines et les Pères du concile national. Du reste, cette Assemblée ne produisit aucun résultat favorable à l'église constitutionnelle, car ceux qui la composaient étaient trop éloignés du véritable esprit ecclésiastique pour pouvoir rien faire de solide, même dans l'intérêt de leur parti.

Le 12 mars 1798, une frégate, nommée la Charente, sortit du port de Rochefort avec cent quatre-vingt-treize prisonniers destinés pour les déserts de la Guyane française. Sur ces 193 nouvelles victimes de la Révolution, on comptait cent cinquante-cing

prètres, clercs et religieux. Un naufragé força cette cargaison de martyrs à changer de vaisseau, et ce fut à bord de la Décade que tous ces malheureux exilés continuèrent leur route vers Cayenne, où ils arrivèrent le 12 juin de la même année.

Environ deux mois après, le 1 août 1798, la corvette la Bayonnaise, sortie également du port de Rochefort, emporta encore au delà des mers cent-un prêtres avec quelques laïques. La traversée fut très-pénible pour les déportés qui, la nuit, étaient entassés dans l'entre-pont où l'air manquait à leur poitrine oppressée par une chaleur pestilentielle, et, le jour, parqués sur l'avant du navire où ils étaient brûlés par un soleil obstiné. La plupart d'entre eux étaient sans argent et sans linge; dévorés par la faim et la vermine, ils étaient encore livrés aux tristes pensées que leur inspirait leur exil et aux inquiétudes déchirantes d'un horrible avenir. La Bayonnaise, enfin, mouilla devant Cayenne le 29 septembre 1798. Les déportés débarquèrent sur le territoire de la colonie française. Mais le gouverneur, qui était un homme dur et cruel, les chassa bientôt vers les déserts affreux de Kouamana et de Synamari, terre homicide qui avait déjà dévoré presque tous les Français infortunés que le Directoire, et avant lui l'Assemblée législative et la Convention, y avaient envoyés.

Le lieu assigné pour résidence aux confesseurs de la foi, fut un village perdu au milieu d'un immense désert et composé d'une quinzaine de huttes. Là, privés des choses les plus nécessaires à la vie, dans un pays malsain, rempli d'insectes et de reptiles dangereux, ils ne tardèrent pas à contracter des maladies cruelles que suivait toujours une mort prompte et douloureuse. C'est ainsi que les successeurs de Robespierre, ne voulant point verser le sang des prêtres, pour ne point rappeler l'époque de la terreur, savaient néanmoins les faire mourir dans les tourments de l'exil, qui, suivant l'expression d'un député, étaient une guillotine sèche. Quelques-uns cependant survécurent à tant de privations et à tant de inaux. On compte parmi ces rares victimes échappées à la rage des tyrans du Directoire, M. Brumault de Beauregard, qui mourut, en 1844, évêque démissionnaire d'Orléans. Ce vénérable prélat publia, avant de mourir, une relation détaillée de tous les maux que lui et ses compagnons de captivité avaient soufferts dans les déserts de la Guyane.

« La terre sablonneuse sur laquelle était construite notre cabane, dit-il, était brûlante, et le sable réfléchissait la chaleur » jusqu'à nous étouffer. A quelques pas de nous, un rideau d'ar

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bres, une forêt située dans les marais, nous séparaient de la »mer, interceptaient l'air et nous privaient de la fraicheur de » la brise. Nous n'avions pour nous retirer qu'un coin dans no»> tre case qui était très-basse, et pour société que des nègres » voleurs qui nous haïssaient. La nuit qui nous apportait quel» que fraîcheur, nous livrait à un tourment qui ne peut guère. » être apprécié que par ceux qui ont habité la Guyane. A peine » le soleil était-il disparu, que, de ces marais infects placés entre » la mer et nous, sortaient des nuées de maringouins de diver» ses espèces, dont les piqûres nous brûlaient comme des étin» celles de feu. Nous ne pouvions nous en garantir dans la case qu'à force de fumée, et cette ressource devint insuffisante quand arriva le temps des pluies. Nous nous groupions alors » près d'un feu de fumée, et nous ne garantissions qu'une par» tie de nos corps. Nous fûmes réduits à prendre sur nous nos » vêtements d'hiver, à envelopper nos jambes de linge, et mal» gré ces précautions, les désolants insectes trouvaient encore » le moyen de nous dévorer. D'énormes crapauds nous dispu >> taient notre logement, où les serpents s'insinuaient quelque>> fois; les scorpions se mêlaient parmi nos livres. Des fourmis » de toute espèce dévoraient nos aliments, et pour peu que nous » n'eussions pas le soin d'isoler nos comestibles dans des vases » d'eau, ils étaient bientôt infectés et inutiles. Des ravers ou ca» querlaques se glissaient partout, rongeant nos habits et nos >> chaussures, tandis que les poux de bois mangeaient dans une » nuit une partie de notre linge. L'habitude et la nécessité de »> nous tenir dans la cendre, nous fit dévorer par les chiques. Ces » insectes sont de véritables puces d'une extrême petitesse, qui » s'insinuent dans la peau par un des pores qu'elles dilatent; >> elles y déposent des œufs qu'on en retire avec la pointe d'une épingle ou celle d'un canif, mais non sans douleur. J'en ai >> quelquefois retiré vingt, et cette opération, à laquelle j'étais » peu habile, me mettait les pieds en sang.... Altérés par une >> chaleur brûlante, nous n'avions que très-peu d'eau, tirée d'un >> trou et fort mauvaise; c'était là notre seule boisson. Nos ali>>ments étaient de la cassave, du poisson salé et gâté pour l'or» dinaire, et de la morue de deux ans. A nos beaux jours, nous > avions de la viande salée qui nous coûtait quinze à vingt sous » la livre. Un peu de riz à l'eau faisait notre souper. Nous » n'avions sur cette misérable habitation aucun fruit, ni aucun » légume... Cependant la religion vint consoler notre exil. Nous

» dressàmes un autel. Il était pauvre, mais bien tenu. Je consa» crai la pierre, et nous offrîmes dans cette humble cabane la » victime de paix qui doit s'immoler dans tous les lieux du » monde. Nous devancions le soleil, pour en ôter la connais»sance aux nègres. Cette grande action ne réussit; elle me donna » la paix; pouvais-je être si lâche de me plaindre, quand Dieu » m'accordait la plus douce consolation du monde? Nous récitions »notre office en commun à des heures réglées. Nous nous fîmes » des occupations, nos malheurs devinrent plus tolérables.... >>

Ce fragment des mémoires de Mgr Brumault de Beauregard, donne une idée de tout ce que les prêtres déportés eurent à souffrir dans leur affreux exil de la Guyane, et de tout ce qui attendrait encore le clergé français, à part la guillotine, si le volcan révolutionnaire qui mugit sourdement sous nos pieds venait à faire, comme en 1792, une épouvantable éruption!...

Tandis que les corps d'un si grand nombre de confesseurs engraissaient le sol américain, quarante-huit évêques catholiques, sortis de France par suite de la constitution civile du clergé, adressaient aux fidèles de leurs diocèses, du fond de l'exil et sous la date du 15 août 1798, une Instruction sur les atteintes portées à la religion. Cette instruction, solide et bien écrite, se terminait par une conclusion touchante dont voici un passage qui fera juger du reste. Les évêques s'adressent aux parents qui avaient des enfants en âge d'être instruits::.

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« Les sources de la saine doctrine, disent-ils, étaient ouvertes » de toutes parts; elles coulaient en abondance; qu'il vous était » facile d'y puiser la connaissance de la vérité et l'amour de la » vertu ! Vos enfants sont privés de tous ces avantages. Les signes » de la piété ont été proscrits et anéantis; ce qui reste des sanc>> tuaires du Seigneur n'offre plus que de tristes débris qui en » attestent la spoliation et le pillage. Que de temples il faut fuir, » de peur de participer à un culte sacrilége! Que la parole du » Seigneur est devenue rare! Les moyens de séduction semblent » se multiplier à proportion que les ressources pour s'en garantir disparaissent. Quelles écoles a-t-on ouvertes à la jeunesse, » et que se passe-t-il dans la plupart des établissements destinés à » son instruction? La vérité en est bannie. On met tout en œuvre » pour y introduire des pratiques anti-chrétiennes et l'enseigne»ment de l'erreur, ou pour forcer, du moins, à y laisser les » malheureux élèves dans l'ignorance absolue de ce qui leur importe le plus de connaitre, tandis que la dépravation inouïe

» des mœurs publiques menace d'étouffer dans les cœurs jus>> qu'au dernier germe de la vertu. Pères et mères, entendez» ceci, et que vos entrailles en soient émues. Ne laissez pas périr » ceux à qui vous avez donné le jour; ne vous exposez pas à pé» rir éternellement avec eux. Qu'ils vous soient redevables d'un >> bienfait plus grand que la naissance selon la chair. Engendrez» les en Jésus-Christ, par l'Évangile; vous ne pouvez leur don»> ner une plus grande preuve de votre tendresse. Prêchez-leur » le nom de Jésus-Christ, prêchez-leur la doctrine de Jésus>> Christ. Déplorez en leur présence, apprenez-leur à déplorer » avec vous les malheurs de la religion et l'oubli de tous les principes. Que vos regrets et vos larmes leur inspirent le dé» sir de voir la vérité et la vertu reprendre leur empire, la reli» gion obtenir un nouveau triomphe, réparer ses pertes, el sor>> tir plus brillante que jamais de l'oppression sous laquelle la » font gémir des enfants dénaturés devenus ses ennemis...

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Parmi les signatures qui terminaient cette instruction on distinguait les noms des cardinaux de la Rochefoucault et de Montmorency; des archevêques de Rouen, d'Embrun, de Paris, de Lyon et de Bourges, et de beaucoup d'autres prélats illustres.

Les impies qui composaient le Directoire ne négligeaient aucun des moyens propres à atteindre le but criminel qu'ils s'étaient proposé et qui était l'entière destruction de la religion catholique en France. Dans un arrêté du 3 avril 1798, ils avaient déclaré que le calendrier républicain était une des meilleures institutions pour faire oublier jusqu'aux dernières traces du régime royal, nobiliaire et sacerdotal. En conséquence, on régla sur ce calendrier, les foires, les marchés, les jours de vacances des administrations; de sorte que le peuple fut forcé de se nourrir d'aliments gras les vendredis et de travailler le dimanche. Des peines furent portées contre ceux qui vendraient du poisson un jour d'abstinence ou qui ne sanctifieraient pas la décade républicaine par un repos absolu. Ces mesures tyranniques furent mises en vigueur pendant toute l'année 1798.

Pour excuser leur schisme, les prêtres constitutionnels se vantaient d'avoir conservé la religion en France; mais cette excuse mensongère faisait rire jusqu'à leurs partisans qui connaissaient leur impuissance et leur orgueil. C'étaient de lâches

■ Cité par M. l'abbé Tresvaux, dans son Histoire de la persécution en Bretagne, t. 1, p. 326.

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