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et crucls mercenaires qui ne savaient nullement se servir de la houlette qu'ils avaient usurpée, et qui entretenaient des loups dévorants dans la bergerie au lieu de les en éloigner. L'histoire a flétri leur stupide ambition en leur octroyant la large part de mépris qu'ils méritaient.

L'abbé Alphonse Cordier.

Sciences législatives.

HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL

DES PEUPLES MODERNES,

CONSIDÉRÉ DANS SES RAPPORTS AVEC LES PROGRÈS DE LA CIVILISATION DEPUIS la chute de l'empire romain JUSQU'AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

CHAPITRE XXI 1.

De la féodalité en Italic, d'après le livre des fiefs et quelques autres sources d'une époque plus avancée. De l'état des personnes. Des Des juridictions. formes de procéder et des pénalités féodales. Des pénalités de droit commun d'après le droit impérial, et des origines diverses auxquelles elles semblent se rattacher.

§ I.

Le Livre des Fiefs n'est point une œuvre législative des empereurs, promulguée avec ou sans le consentement des grandes diètes d'Allemagne. C'est un recueil de coutumes et de décisions d'écoles fait par un jurisconsulte, ami du pouvoir. Pour juger du degré d'autorité qu'a pu avoir ce recueil dès son origine, il faut se reporter aux circonstances dans lesquelles il fut rédigé et publié.

Au mois de novembre 1158, l'empereur Frédéric I convoqua une grande diète près de Roncaglia, dans les plaines de Lombardie, pour y faire connaître ses droits comme empereur sur les terres de l'Italie et pour régler ses rapports avec les grands vassaux et les cités, considérées comme personnes féodales 2 elles-mèmes, depuis qu'elles étaient devenues communes ou républiques.

Les seigneurs italiens et les cités lombardes avaient profité des absences fréquentes et forcées des empereurs en Italie, pour se

Voir le chap. xx au no précédent, ci-dessus, p. 15.

2 Expression de M. Augustin Thierry, dans son Histoire du Tiers-État.

créer une indépendance telle, qu'elle menaçait de rompre les liens qui les raltachaient à leur suzerain germanique.

Frédéric le chercha, à l'aide des traditions et des principes du droit romain dont l'enseignement se reconstituait à Bologne et à Milan, à donner un nouveau prestige et un nouvel éclat à sa couronne. Il voulut ressusciter à son profit la majesté du vieil empire pour l'opposer à celle qui entourait de plus en plus dans la chrétienté la Tiare des souverains pontifes, protecteurs naturels des libertés de l'Italie. Cette tentative de transformation d'une suzeraineté féodale en empire romain avait quelque chose d'artificiel et de faux, qui ne pouvait pas avoir un succès complet et durable, et en voulant s'en faire une arme contre la Papauté, puissance morale fondée sur le respect des peuples, la maison de Souabe, au lieu de marcher à son élévation, ne fit que précipiter sa décadence et sa ruine.

Cependant, à la diète de Roncaglia, Frédéric Ier parut réussir momentanément à établir son autorité sur cette base trom

peuse.

Ses prétentions à une autorité absolue, semblable à celle des Dioclétien et des Justinien, fut repoussée presque unanimement par les seigneurs et par les cités de l'Italie. Mais comme il fallait que ce conflit fût vidé et que ce différend cût une solution, l'empereur et ses vassaux convinrent de s'en remettre à la décision de quatre docteurs fameux de l'école de Bologne, Bulgare, Martin, Jacob et Hugo. Effrayés de la grandeur de la tâche qui pesait sur eux, ces professcurs demandèrent et obtinrent qu'on leur adjoignît deux représentants par cité, et comme ces cités étaient au nombre de quatorze, ce tribunal, chargé de prononcer sur de si grands intérêts, se composa de trente-deux membres, tous jurisconsultes ou magistrats civils. La sentence de cette singulière cour de justice fut bien plus influencée par le culte du droit romain que pour l'esprit de nationalité qui aurait

Frédéric avait souvent des entretiens avec les docteurs de l'école de Bologne. L'un d'eux lui avait persuadé qu'il était non-seulement souverain absolu, mais propriétaire de toutes les terres de son empire: aussi un chroniqueur poëte met dans la bouche de l'empereur cette doctrine qu'il n'osa pourtant formuler nulle part d'une manière si nette et si audacieuse :

Quidquid habet locuples, quidquid custod, avarus,

Quidquid in occultis abscondit terra cavernis,

Jure quidem nostrum est; populo concediu us usum.

(GUNTHERINES, lib. 11, vers 360 a 374 )

(Scriptor, rerum italicarum, Muratori, t. vi, p.

dù l'animer: elle fut tellement favorable à l'extension des droits régaliens de l'empereur qu'elle souleva d'indignation toute l'Italie 1.

On s'est beaucoup élevé contre la décision du tribunal des trente-deux jurisconsultes que l'on a accusés d'avoir abandonné et trahi honteusement les intérêts de leurs concitoyens d'ltalie.

Un publiciste allemand a pourtant entrepris, dans ces derniers temps, de justifier leur sentence, tout en blâmant les empereurs de la maison de Souabe d'avoir beaucoup trop tardé à réclamer contre les usurpateurs de leurs droits, et d'avoir laissé s'établir ainsi, par une longue prescription, une sorte de disjonction mo- : mentanée entre l'altum Dominium et le principat 2.

Mais, comme l'a fait remarquer un écrivain moderne 3, ce résultat de la diète de Roncaglia peut être cnvisagé sous un point de vue plus important et plus instructif pour l'histoire. Ce fut en effet quelque chose d'étrange et de nouveau que de voir les barons et les chevaliers, qui composaient en majeure partie cette représentation fictive de la société italienne du moyen âge, remettre la décision de leurs différends avec leur suzerain, non point à leurs pairs, ou à des princes étrangers, mais à des avocats et à des légistes, à ces hommes contre lesquels on ne saurait dire si les anciens Germains avaient conçu plus de mépris ou plus de haine.

Ne semblait-il pas qu'en choisissant de tels arbitres, les ducs et les comtes lombards ou francs, descendants de ces fiers conquérants du monde romain, se courbaient à leur tour devant les hommes mêine qui avaient été pliés jusque-là sous leur joug héréditaire, et que le droit féodal abdiquait devant le vieux droit des vaincus?

Et cependant les seigneurs lombards s'étaient peu mėlés à la population romaine des grandes villes d'Italie. Ils avaient vécn dans une atmosphère entièrement différente. Leur législation,

'Pour le détail de ces droits régaliens, voir Federigo Sclopis, Storia della legislazione italiana.

'M. de Savigny.

'M. Frédéric Sclopis, Histoire de la législation italienne.

Lors de la défaite de Varus, les Germains firent prisonnier un avocat romain, qu'ils mirent à mort et qu'ils foulèrent aux pieds, en s'écriant: Vipère, cesse de siffler. Les Francs héritèrent de ce préjugé, ainsi que les autres barbares qui se parta gèrent l'empire romain.

toute empreinte de germanisme, avait tellement pris racine dans leurs fiefs et leurs possessions territoriales que Muratori penchait à croire qu'elle n'avait pas été encore abrogée de son temps dans le nord de l'Italie, et qu'elle devait continuer à être considérée comme en vigueur dans plusieurs de ses parties. De même le droit lombard sembla disparaître dans le royaume de Naples sous une couche législative nouvelle, après que les rois d'Aragon y eurent transporté leur domination et leurs lois; mais il survécut dans celles de ses dispositions, que des dispositions contraires n'avaient pas abrogées, et ses derniers vestiges ne furent effacés que par les codes français qu'importèrent dans ce royaume les armes de Napoléon 2.

Mais l'ensemble de la législation de l'Italie n'en reçut pas moins des modifications considérables à la suite de la diète de Roncaglia; après l'arbitrage des docteurs de Bologne et de leurs assesseurs vint la publication du Livre des Fiefs qui altera profondément la constitution germanique et féodale, sous prétexte de la régulariser et de la perfectionner. Voici ce qui donna lieu à la composition et à la propagation de cet ouvrage.

A la diète de Roncaglia, deux consuls de Milan, jurisconsultes célèbres, Obertus de Orto et Gerardus Niger, s'étaient fait remarquer par l'habileté avec laquelle ils avaient soutenu les intérêts de la cité dont ils étaient les représentants contre les attaques des députés de quelques villes voisines et rivales. Les décisions d'Obertus et de Gerardus, soit comme avocats consultants, soit comme présidents des cours de justice de leur cité, faisaient autorité dans le monde judiciaire en Lombardie; un jurisconsulte milanais, dont on ignore le nom, conçut l'idée de recueillir celles de ces décisions qui avaient rapport aux contestations féodales; il en fit un livre qu'il intitula le Livre des Fiefs, et qu'il offrit à Frédéric ler comme une espèce de traité du droit féodal.

L'empereur envoya cette compilation à l'école de Bologne, ainsi que la décision des jurisconsultes de Roncaglia; elle était moins favorable à l'extension des droits féodaux qu'à celle des droits régaliens. L'université bolonaise la reçut donc avec empressement. Elle ordonna que le livre des fiefs serait lu et commenté publiquement. Le premier lecteur et glossateur de ce li

Au 18° siècle, Antiquitates medii ævi, t. 1 et 1, passim.

2 Giannone, Storia civile del regno di Napoli, lib. v, cap. v. Voir aussi les beaux travaux de Carlo Troja, célèbre publiciste napolitain, sur les découvertes faites, au monastère de la Cava, des lois lombardes inédites jusqu'à ce jour.

vre fut le fameux Hugo, l'un des quatre jurisconsultes chargés primitivement de l'arbitrage entre l'empereur et ses vassaux italiens. Depuis, cet ouvrage fut considéré à Bologne comme la base de l'enseignement du droit féodal. Il fut joint aux neuf collections des Novelles de Justinien, sous le titre de dixième collection 1.

Le plus grand mérite du livre des fiefs est d'avoir été le premier recueil connu des coutumes, décisions judiciaires et constitutions impériales relatives au droit féodal. Publié de nouveau par Cujas, à la suite de son édition des Novelles, il s'y trouve composé de cinq livres, le premier attribué à Gerardus Niger, le second et le troisieme à Obertus de Orto, le quatrième à plusieurs auteurs du même temps; le cinquième est une collection des constitutions promulguées par divers empereurs de la maison de Souabe 2.

Cette compilation, à la différence des lois barbares du moyen âge, est une œuvre de droit civil faite dans l'esprit et avec la méthode des Pandectes, Les décisions des jurisconsultes milanais, sur les points controversés du droit féodal, y sont rangées et classées comme les responsa prudentum dans le Digeste. On n'y aperçoit plus l'esprit d'une nation conquérante, ou plutôt d'une bande armée venant prendre possession d'un territoire étranger et y apportant ses mœurs et ses coutumes. On n'y reconnaît plus une société fondée sur la force, et n'ôtant à l'indépendance de chacun des guerriers victorieux dont elle se compose que ce qui est absolument nécessaire au maintien de la discipline d'une armée pendant des expéditions temporaires, et toujours moins fréquentes. C'est tout simplement un recueil de règles sur la transmission des patrimoines féodaux et sur les diverses servitudes personnelles ou redevances réelles qui sont attachées à leur possession, Quant à ces règles elles-mêmes, elles ont bien été conçues dans un certain esprit de transaction entre le droit successoral des Romains et celui de la féodalité lombarde; mais on comprend que l'influence de la législation appelée dès lors la raison écrite, doit y être bien moindre que celle d'une législation considérée comme barbare par les compilateurs eux-mêmes. Aussi parmi nos jurisconsultes français, ceux qui font le moins de cas du livre des fiefs, et qui lui refusent toute autorité, sout

Laferrière, Histoire du droit français, p. 544. 'Édition des Novelles, par Cujas; Aurelia Allobrogumi, 1609.

XXXVI VOL. 2 SERIE. TOME XVI.

- N° 92.

1833.

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