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l'Europe, toutes choses sont à peu près confondues dans une même › physionomie; ce n'est que par le développement successif que la " variété se prononce'. » Dans la première partie de cette histoire de la législation criminelle, depuis l'ère moderne, il a donc été possible de retracer, pour ainsi dire, à la fois, toutes les institutions des peuples de l'Europe, parce qu'elles se rencontraient dans leur origine. et dans leur souche primitive. Dans la deuxième partie, nous arrivions à cette période de l'histoire où devait se prononcer de plus en plus la variété des mœurs et des institutions nationales. Il a donc fallu considérer, d'abord, séparément un des rameaux européens, pour le comparer aux rameaux divers qui ont poussé du sein du même trône, et pour montrer leurs ressemblances et leurs différences dans la suite de leurs développements.

C'est au sein de la vieille Germanie que nous avons cherché, en commençant, la source féconde d'où sont dérivées les principales législations européennes ; à la suite des invasions et des conquêtes des Germains et des Scandinaves, on retrouve les traces de leurs mœurs et de leurs lois, d'Aix-la-Chapelle à Cantorbéry, et de Bénévent à Huesca.

Le droit de vengeance, et plus tard les guerres privées qui ne sont qu'une forme nouvelle de ce droit, le Wergeld et le FriedGeld, ou la composition pécuniaire, et le fredum, devenus la base d'une sorte de pénalité barbare, appliquée aux crimes privés, une répression véritable, et encore insuffisante, n'existant que pour les crimes d'état; les moyens de preuves des crimes et délits se bornant aux témoignages oraux et à la production des compurgateurs, ou bien aux épreuves judiciaires et au jugement de Dieu; le pouvoir judiciaire, reconnu ainsi que le pouvoir législatif, comme émanant de la souveraineté nationale, et exercé d'abord pour les crimes d'ordre public par les assemblées appelées Mahls, placités ou plaids généraux, et divisé ensuite en des placités particuliers, présidės par des magistrats locaux, pour l'administration de la justice ordinaire, tels sont les traits généraux que nous avons retrouvés dans toutes les branches de la race germanique, chez les Ostrogoths, comme chez les Francs, chez les Lombards, comme chez les Scandinaves, chez les Danois comme chez les Saxons.

Ainsi, le même esprit général est profondément empreint dans les mœurs et les coutumes de ces peuples divers; il se conserve fi

▲ Histoire de la civilisation en Europe, septième leçon, par la fin.

delement même après leurs émigrations et leurs invasions loin

taines.

Or, quand ces invasions ont eu quelque durée, qu'elles se sont immobilisées sur le sol conquis; que les nations victorieuses se sont plus ou moins amalgamées avec les nations vaincues, alors des différentes considérables commencèrent à se révéler entre les peuples issus des différentes familles germaniques, répandues dans l'Europe entière.

Cependant, du 9 au 12° siècle, une même institution, qui semble être une conséquence éloignée de la conquête, surgit de toutes parts dans les contrées qui l'ont subie, c'est la Féodalité.

Mais cette institution ne se produit pas partout à la même époque. Reconnue d'abord en France par l'autorité royale bien avant la fin du 9e siècle, elle n'apparaît en Allemagne et en Italie avec ses principaux caractères constitutifs qu'au commencement du 11° siècle; elle se forme, pour ainsi dire, tout d'un bloc en Angleterre, dans la seconde partie du même siècle, après la conquête de cette île par les Normands.

Si nous avions à chercher avant tout l'expression la plus pure du développement féodal, dégagé plus qu'ailleurs d'un certain alliage avec des traditions romaines ou nationales, nous le trouverions dans le droit anglo-normand ; mais l'ordre des matières, d'accord cette fois avec l'ordre chronologique, nous fait une loi de ne pas séparer ainsi l'histoire de la féodalité française et du droit criminel qui en découlait, de l'histoire de la féodalité en Italie et en Allemagne; car, d'une part, ces pays ont été des portions démembrées de l'empire carlovingien, dont nous avons eu à nous occuper; d'autre part, une partie du territoire qui constitue aujourd'hui le territoire français, a été longtemps soumise à la juridiction, sinon de fait, au moins de droit, des empereurs d'Allemagne; en effet, les lois générales promulguées par ces princes à Aix-la-Chapelle ou à Roncaglia étaient reconnues, par exemple, dans les royaumes d'Arles et de Provence, en Bourgogne, en Dauphiné.

Il paraît assez étrange, au premier coup-d'œil, que les nations germaines, qui passent pour avoir transporté avec elles sur les terres des Gaules les premiers germes des institutions féodales, n'aient

+ En 877.

2 En 1066, ou plutôt en 1070.

3 Ou mieux encore, dons celui des assises de Jérusalem.

vu se développer que beaucoup plus tard ces mêmes institutions dans leur pays natal.

Cela peut s'expliquer de diverses manières. D'abord la conquête n'a pas été le fait dominant dans la vieille Germanie. Sans doute, il y a eu de peuplade à peuplade des actes de violence, d'horribles massacros, et des expulsions en masse. Tacite lui-même dit que les Chamaves et les Angrivariens avaient chassé ou détruit entièrement les Bructères, que les Marcomans s'étaient substitués aux Boïens, dont ils avaient envahi le territoire. Mais on n'aperçoit dans ces faits rien de semblable à cet asservissement complet d'un peuple déjà civilisé par un peuple barbare, qui succède à d'anciens conquérants, et qui leur emprunte certaines pratiques de fiscalité et de tyrannie, sans compenser ces actes oppressifs par les progrès des lumières publiques, ni par les bienfaits d'une administration régulière et éclairée. Aussi, la domination des Francs eut pour les Gaules les principaux inconvénients de la domination des Romains, en y joignant ceux de la barbarie et du désordre, si intolérables pour une nation policée. L'association féodale, en France put mettre quelque ordre dans ce désordre immense, en groupant les habitants des villages autour des seigneurs ou barons qui les protégeaient du haut de leurs donjons. Mais cette association, qui n'aggrava pas le scrvage, ne le détruisit pas non plus, puisqu'elle le laissait en dehors d'elle elle permit même au seigneur, comme représentant la puissance publique, de recevoir l'héritage de ces exactions que la tyrannie des Romains avaient léguées à la barbarie des Francs, et qui pesaient à un certain degré sur les vilains ou moyennement libres, aussi bien que sur les serfs.

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Rien de semblable n'est arrivé dans la Germanie, ni surtout dans la Germanie du nord, où les armes romaines n'avaient jamais pu pénétrer. La conquête de certaines tribus Germaines par d'autres tribus, était suivie d'une destruction partielle, d'une substitution de propriété, ou d'une absorption nationale plutôt que d'une servitude régulière des vaincus. Le patriarcat primitif, le mundium germanique, l'association du comitat fondée sur la famille et non sur la bande guerrière, ont donc pu laisser des traces profondes chez ces peuples, dont plusieurs, restés indépendants, avaient conservé leurs traditions et leurs lois de races depuis un temps immémorial. Sans doute, il a pu en être autrement là où il y a eu choc de nationalités diverses et ennemies, comme cela est arrivé entre A De moribus Germanorum, chap. 35 e. 42.

les Hongrois et les Slaves, ou entre les Slaves et les Germains; mais, comme le dit M. Guizot, « dans la généralité de l'Allemagne, » la souveraineté du chef de famille propriétaire n'était pas exclu»sivement celle du vainqueur sur les vaincus, du maître sur les >> esclaves ou demi-esclaves; il y avait là quelque chose du régime » patriarchal; la famille, ses relations, ses habitudes, ses sentiments » étaient ; en partie, du moins, la source de cet état de société 1. »

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Seulement, M. Guizot n'a pas vu que la Germanie s'était trouvée à l'abri des influences perverses exercées sur la barbarie victorieuse par une civilisation déjà dégradée avant d'être vaincue. C'est de là, comme nous l'avons déjà insinué, que sont venus ces grands abus de l'hérilité et de la seigneurialité que l'on a si improprement appelés plus tard droits féodaux; ce sont les traîtres et les apostats galloromains qui enseignaient à des conquérants de mœurs violentes, mais pures, l'art d'opprimer et de flètrir leurs malheureux compatriotes, et qui leur apprenaient des corruptions savantes, dont ces jeunes sociétés ne connaissaient pas les secrets *.

C'est cette confusion d'idées qui a rendu la féodalité impopulaire en France, tandis que l'Allemagne a toujours aimé ses vieilles origines et ses traditions du moyen-âge. De plus, le démembrement de l'empire carolingien ne produisit pas les mêmes effets au-delà qu'en deçà du Rhin. Tandis que les Gallo-Romains, les Francs, les Bourguignons, les Wisigoths finissaient par ne plus faire qu'un peuple, le peuple français, le pays appelé dès-lors la Teutschland, voyait se réveiller des nationalités comprimées, mais non détruites par la main de Charlemagne et de ses premiers successeurs. La Franconie, la Saxe, l'Alemanie et la Bavière recouvrèrent des existences séparées et des ducs nationaux. La Lorraine conserva les siens. Les Thuringiens et les Frisons eurent aussi des chefs de leur race. Peutêtre tout lien se serait-il rompu entre ces divers peuples s'ils n'avaient pas eu à réunir leurs efforts pour repousser les invasions des Normands, celles des Wendo-Slaves, et enfin celles des Hongrois. C'est ce qui les amena, après l'extinction de la branche germanique des Carolingiens, à former une confédération d'états, d'où sortit une royauté élective qui leur donna une sorte d'unité, et qui redevint plus tard, en s'étendant sur l'Italie, l'empire d'Occident, le saint empire romain.

4 Cours d'histoire moderne, tome IV, et troisième leçon.

* C'est du moins ce qu'assure Tacite de la manière la plus formelle (de moribus Germanorum, passim).

Quoi qu'il en soit, les ducs de la Teutschland et même les margraves qui en défendaient les frontières, formaient dans cet empire une première classe de feudataires. Souverains, bien autrement nationaux que les cinq ou six grands vassaux qui se partageaient la France, et dont quelques-uns, tels que le duc de Normandie, venaient à peine d'essuyer le sang de l'épée victorieuse qui avait fondé leur domination sur une population étrangère.

Autour de ces ducs de la Saxe, de l'Alemanie et de la Bavière, se groupaient des chefs de famille propriétaires, qui leur étaient souvent rattachés par des liens de famille et qui formaient avec eux les assemblées politiques et les plaids judiciaires du pays.

Cependant la forme élective de l'empire fédéral et la faiblesse du gouvernement favorisa de la part de ces grands feudataires, la prétention de transmettre héréditairement à leurs enfants leurs titres ducaux, et la souveraineté qui y était attachée. Ils cherchèrent aussi à étendre cette souveraineté aux dépens de ce qui était auprès ou au-dessous d'eux.

Les empereurs d'Allemagne qui tendaient toujours eux-mêmes à rendre la couronne héréditaire dans leurs familles, ne combattirent pas d'abord bien ouvertement une prétention semblable dans leurs grands feudataires. Ils laissèrent même tomber l'institution carolingienne des missi dominici, ou des messagers de la chambre; mais ils la remplacèrent bientôt par celle des comtes du palais, qu'ils adjoignirent aux ducs pour inspecter et gérer les biens de la couronne, pour exercer leur juridiction sur ceux-mêmes qui étaient exempts de la juridiction ducale, et qui relevaient directement de l'empepereur, enfin pour assister le duc dans les jugements criminels'.

On comprend que cette institution pouvait prévenir les inconvénients d'une hérédité qui aurait dégénéré en une indépendance absolue, si on ne lui avait pas imposé des limites légales.

Le roi ou l'empereur, après avoir été élu par les princes ou ducs, donnait à son tour aux princes ou ducs reconnus par les peuples, la confirmation et l'investiture; mais ceux-ci prêtaient entre ses mains le serment de fidélité, lui juraient de rendre la justice à eux et à leurs peuples, et de réprimer les abus et les violences. C'est ainsi que la puissance ducale et la puissance impériale se contenaient réciproquement 2.

1 Le comte du palais devait le service militaire au heerleaun ou duc. Il tenait le milieu entre le duc et les comtes proprement dits (Gebhardi, Gesch, dex Erbl, Reichs ftande, tome 1, 154.

Eichorn; histoire du droit Allemand, tome 1. § 288.

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