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>> notre protection ceux de nos sujets qui sont le plus pri» vés de tout autre appui, tels que les juifs, les sarrasins » et ceux qui appartiennent à une secte séparée de l'Eglise. » Et un peu plus loin : « L'amende de 50 augustales » sera levée sur les habitants des lieux où sera trouvé mort un juif ou un sarrasin; car nous estimons que les persécutions » des chrétiens contre eux vont trop loin, et qu'il faut y mettre » un terme 2. >>

Ce furent ces mesures de tolérance prises en faveur des sarrasins qui valurent à Frédéric II la reconnaissance du sultan Malek-Kalem, et qui rendit possible le fameux traité par lequel le sultan cédait Jérusalem sans coup férir à l'empereur chrétien. Les deux souverains s'étaient merveilleusement entendus en parlant d'Aristote, d'Averrcès, et en professant ensemble l'indifférentisme religieux. On sait quel cri d'indignation poussa le monde catholique, quand il apprit cette cession des lieux saints achetée au prix de la conservation des mosquées à Jérusalem, et cette consécration de la liberté du culte musulman à côté du tombeau de Jésus-Christ.

Frédéric II, toujours guidé par les desseins d'une politique ambitieuse et égoïste, pensait qu'il recueillerait encore un autre avantage de sa politique protectrice à l'égard de ses sujets sarrasins: c'est qu'il pourrait s'appuyer sur leurs armes fidèles quand il serait frappé des foudres de l'Eglise, et que les chrétiens de ses états répugneraient à porter les armes contre le Saint-Siége. L'événement répondit en effet à ces prévisions machiavéliques.

Dès qu'un crime était commis contre un sarrasin dans le royaume de Sicile, une enquête devait être faite contre le meurtrier présumé, à quelque peuple ou à quelque religion qu'il appartint, et l'emploi de la forture était permis à l'égard des personnes de condition inférieure, s'il y avait contre elles un commencement de preuve 3. On comprend combien l'exécution rigoureuse et quelquefois arbitraire ou inintelligente de pareilles mesures devait froisser les populations chrétiennes de cette époque.

1 Id., ibid., lib. 1, tit. xxvi.

* Prout certò perpendimus, claristianorum persecutio contrà cos nimis abundat in præsens. Ibid., lib. 1, tit. xxXVII,

3 Id., ibid., tit. xxv.

Mais il est un autre point sur lequel nous ne pouvons que louer la sévérité du législateur impérial. Il punissait les soustractions faites non-seulement au détriment des incendiés pendant que leurs maisons brûlaient, mais celles commises au détriment des naufragés, pendant que ceux-ci s'occupaient du sauvetage de leurs effets et de leurs personnes. Il infligeait une amende aux témoins de ces désastres qui négligeaient de porter secours aux infortunés qui en étaient les victimes 1. Nous sommes déjà bien loin dans cette législation du droit de naufrage et du droit d'épaves, presque consacrés au moyen âge sur une grande partie des côtes de l'Océan.

Une amende de quatre augustales était infligée à ceux qui n'accouraient pas aux cris d'une femme, objet d'une tentative de viol, et qui ne lui prêtaient pas un prompt secours 2.

Le viol et le rapt des vierges ou veuves était puni de mort; mais lorsqu'il n'y avait qu'une tentative douteuse et mal prouvée, l'empereur réservait à lui-même ou à sa cour la connais'sance de l'affaire 3.

Du reste, la liberté morale de la femme, quelle qu'elle fût, était tellement protégée à cette époque, que le viol, mème d'une courtisane, était puni du dernièr supplice : c'était la disposition d'une loi du roi Guillaume, rappelée et confirmée par Frédéric II. Mais aussi l'empereur allemand déclare que la femme qui aura porté des plaintes fausses en pareille matière, sera pendue elle-même, comme l'aurait été l'objet de sa dénonciation, si cette dénonciation avait pu être établie avec cetitude 5.

Du reste, c'est le droit commun des constitutions de Sicile contre le délateur ou l'accusateur sciemment calomnieux: il devait subir la peine à laquelle aurait été condamné l'accusé, si sa culpabilité avait été réelle. Pour un crime aussi bas et aussi làche, Frédérie recommande à ses juges de ne pas faire acception de personnes, et d'être aussi sévères contre les grands et les puissants que contre les petits et les faibles".

1

Id., ibid., lib. 1, tit. xxvm, De surripientibus aliquid naufragiis vel incendiis. * Id., ibid., lib. 1, tit. XXI.

3 Id., ibid., tit. XXI.

4

Id., ibid., tit. xx.

Id., ibid., tit. xxш, De pœnâ mulierum injustè conquerentium.

Id., ibid., lib. 11, tit. xiv.

Au surplus, comme dans toutes ces législations du moyen âge qui succèdent au wergeld et au fried-geld, la pénalité des constitutions siciliennes était dure et souvent barbare. Le roi Roger avait décrété le dernier supplice contre ceux qui altéraient les lettres ou les ordonnances royales, contre les faux-monnayeurs, les suborneurs de témoins, et les destructeurs de testaments publics 1. Le droit ancien, qui remonte au même temps, ou plus haut encore, condamnait à la mutilation de la main ceux qui sc parjuraient en justice 2. Ces diverses pénalités sont conservées par Frédéric II.

Cependant, ce prince germain, voulant que la sévériié de la punition n'excède pas la gravité du délit 3, adoucit sur quelques points la rigueur des lois imposées par les rois normands. Ainsi, pour détruire les abus de la vaine pâture, pour faire respecter la propriété privée aux bergers de Calabre et de Sicile, Guillaume avait institué la peine de mort et la confiscation des biens contre ceux qui, en faisant paître leurs troupeaux, dépassaient les limites permises. Frédéric II substitua à cette peine excessive celle d'une juste indemnité à payer au propriétaire pour le dommage causé, et d'une amende quadruple de cette indemnité pour le trésor royal 4.

Ailleurs il adoucit l'ancienne pénalité qui condamnait à mort pour toute espèce de sacrilége. Il réserve le dernier supplice pour ceux qui détruisent ou saccagent les églises, ou qui enlèvent furtivement les vases sacrés pendant la nuit 5.

Malgré sa tolérance affectée pour les sarrasins et les juifs, l'empereur philosophe, par des considérations toutes politiques, croyait devoir réprimer très-sévèrement les crimes contre la religion établie. Ainsi il avait décrété la peine de l'arrachement de la langue contre les blasphémateurs, et son code commence par des lois sévères contre les hérétiques et les patarins. Il veut « qu'on procède contre eux par voie inquisitoriale, et qu'après >> avoir été convaincus d'hérésie par les ecclésiastiques chargés

1 Ibid., lib. ш, tit. Lx, art. 1, 2, 3, 4 et 5.

2 Ibid., tit. LIX. Cette même peine de la mutilation de la main est aussi prononcée contre ceux qui violent un sépulcre et dépouillent un homme mort (lib. m, tit. LX).

3 Ut delicti fines pœnæ crudelitas non excedat.

Ibid., lib. m, tit. xxxvш, art. 3.

› Ibid., lib. 1, tit. v.

» de l'enquête, ils soient condamnés par les juges séculiers, et » brûlés vifs en présence du peuple 1. »

Les complices des patarins et ceux qui leur donneront asile auront leurs biens confisqués; ils perdront leurs emplois et tous leurs droits civils, ce sera une conséquence de la note d'infamic dont ils seront frappés. Cependant ceux de leurs enfants qui découvriront la retraite d'un patarin ou le livreront à la justice, pourront être relevés de cette mort civile, et les biens de leur famille pourront leur être rendus 2. Frédéric livre aussi à l'exécration et à la proscription les apostats qui renient la foi catholique.

Quant à l'usure, il confirme les décrets du roi Roger, qui avait prêté la sanction du droit pénal aux prescriptions sévères de l'Eglise romaine contre ce délit : il condamne à la confiscation des biens toul chrétien qui se livre à cette pratique illicite, mais il la permet aux juifs, et fixe le maximum du taux légal à dix pour cent par an3. Il résultait de là qu'une seule classe d'hommes, les juifs, étaient appelés à s'enrichir aux dépens des chrétiens par l'usure, les opérations de banque et l'agiotage.

Mais ce n'est pas un pareil privilége pécuniaire accordé à ces ennemis du nom chrétien, ni même le système de tolérance excessive de Frédéric II pour les sarrasins, qui attirèrent le plus de reproches à ce prince de la part de la Papauté et des jurisconsultes attachés à l'Eglise romaine. Les plus grands défauts qui furent relevés dans la législation, ce fut d'abord la défense qu'il fit de disposer de biens immeubles en faveur de l'Eglise, soit par testament ou donation, soit même par contrat de vente. Ce furent ensuite les singulières entraves qu'il apporta à la liberté de ses barons féodaux, dans l'acte qui devrait être le plus indépendant du pouvoir civil, dans le mariage. D'après une de ses lois, les possesseurs de fief ne pouvaient pas contracter cette union sacrée sans sa permission', et il se réservait d'exercer sur le choix de leurs femmes, une grande influence au profit de ses intérêts politiques. Il semblait que ce prince exigeait plus

'Constitutiones siculi, lib. 1, tit. 1.

› Id., ibid., lib. 1, tit. 1. Les jugements des crimes d'adultère étaient renvoyés anx juges d'Église, à qui les magistrats séculiers devaient préter main-forte (lib. m, tit. Li). Les mères qui prostituaient leurs filles étaient punies de la mutilation du nez. Ibid., tit. Lm.

Idem, lib. 1, tit. vi, art. 1 et 2.

4 Ibid., lib. in, tit. 20 et 21.

de ses barons à mesure qu'il leur ôtait davantage. Après leur avoir retiré la haute justice, il usurpait sur eux les droits même de la famille. Cette constitution impériale, suivant les propres expressions d'un jurisconsulte fameux, André d'Isernia, « s'attaquait indirectement à l'essence même du mariage, tel qu'il avait été institué par Dieu même dans le paradis, et elle avait dû amener la damnation de celui qui en était l'auteur 1. »

Malgré les violentes critiques, dont la législation de Frédéric II fut l'objet de la part d'une foule de commentateurs, surtout après la décadence et la chute de la maison de Souabe, cette législation fut adoptée dans son ensemble par Charles d'Anjou et par les rois de sa race. Il n'y fut introduit que des modifications partielles.

Relativement à la défense faite aux sujets siciliens, de donner leurs biens à l'Eglise, les jurisconsultes chargés d'interpréter la loi, soutinrent qu'il fallait seulement entendre que l'Eglise ne pouvait pas aliéner ses propres biens; d'autres prétendirent que la constitution de Frédéric sur ce point n'avait pas reçu de promulgation et ne figurait pas dans les recueils les plus autorisés. On ne la trouve pas en effet dans l'édition grecque dont nous avons le manuscrit à la bibliothèque impériale 2.

Les entraves apportées aux mariages dans les familles féodales disparurent graduellement.

L'organisation judiciaire fut maintenue dans son ensemble: il y a pourtant à ce sujet des réserves à faire et d'importantes observations à présenter.

Les rois de Naples de la dynastie française ne laissèrent pas échapper de leurs mains le merum et mixtum imperium ou la haute justice; et cependant ils venaient d'un pays où ce grand attribut de la souveraineté s'était divisé comme la souveraineté elle-même, et où elle était tombée en la possession des principaux seigneurs féodaux. Charles d'Anjou se montra tellement jaloux de ce droit régalien, que, quand il concéda à son fils la principauté de Salerne, qui comprenait non-seulement cette ville mais un grand territoire à l'entour, et plusieurs places voisines, il ne lui donna dans toute l'étendue de la principauté que

Quæ constitutio adducere debuit destructionem animæ istius Frederici prohibentis per obliquum matrimonia instituta à Deo in paradiso. (Giannone, Storia civile del regno di Neapoli, lib. xvi, cap. 8.)

2 Leges barbarorum, préface des Constitutiones siculi de Canciani, t. r, p. 300.

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