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pressés, ne pouvaient pas se mettre à genoux, inclinaient profondément la tête, et de tous côtés on demandait la bénédiction. On criait aussi : A bas le chapeau! A bas le commissaire! Les applaudissements, les cris, les soupirs qui se faisaient entendre sur tous les points occupés par cette multitude avaient véritablement quelque chose d'imposant.

» Le Pape fut transféré de Grenoble à Valence. On se mit en route le 10 juillet.

» En sortant de la première de ces villes, il s'arrêta près d'une prison et donna trois fois sa bénédiction aux détenus: c'était un grand nombre d'ecclésiastiques fidèles emprisonnés là pour leur attachement à l'Eglise romaine. Il y avait beaucoup de monde dans les rues de Grenoble pour voir le départ du Pape; mais la foule était sur la route, hors les portes de la ville. Aussi Pie VI, à mesure qu'il avança, recueillit-il des marques nombreuses de vénération. A Tullins, des dames obtinrent, en donnant de l'argent aux gardes, d'orner de fleurs l'intérieur de la voiture du Saint-Père, et suspendirent sur sa tête une couronne de roses avec une colombe au milieu. Lorsque Pie VI vit ces fleurs, il fit signe de les ôter. Le peuple accourut alors et se pressa autour de la voiture pour recueillir ces fleurs, et ceux qui purent en avoir les emportaient précieusement et les baisaient avec dévotion. Les habitants de Saint-Marcellin ne montrèrent pas moins de zèle pour honorer le Père commun des fidèles. En approchant de Romans, on se trouva entouré d'une si grande multitude, qu'eu égard à la population il ne s'était peut-être rien vu de pareil ni en Italie ni en France. Tout ce peuple paraissait animé d'un saint enthousiasme. De toute part on demandait au Saint-Père sa bénédiction apostolique, et on s'efforçait de voir et de contempler de son mieux cette figure si auguste et si vénérable. Près de la ville, où la foule allait toujours croissant, se trouvèrent quelques membres de l'administration municipale. Dans la ville même, les balcons et les fenêtres étaient remplis de monde habillé comme aux jours de fête, et, en avant de la voiture du Pape, on voyait une troupe de jeunes filles vêtues de blanc, portant de jolis paniers pleins de fleurs, dont elles jonchaient le chemin jusqu'à la maison où descendit Sa Sainteté. Cette maison, une des plus belles et des plus commodes de la ville, appartenait à un riche bourgeois, homme affable et poli, mais qui passait pour ne point avoir de religion. Il s'offrit lui-même à recevoir le Pape, pour éviter, disait-il, les inconvénients qui

étaient à craindre s'il logeait chez quelque fanatique. Il permit cependant à une vertueuse dame d'arranger les appartements d'une manière convenable. Il alla au-devant de Pie VI par politesse. Il fut présent à la longue et pénible opération nécessaire pour le firer hors de la voiture; il le vit languissant entre les bras de ses serviteurs qui le transportaient dans la maison; il considéra ce visage auguste, en admira le calme et la sérénité. Il n'en fallut pas davantage pour le changer du tout au tout. Il fut non-seulement touché, ému, mais, reconnaissant dans celui qu'il recevait le vicaire même de Jésus-Christ, il tomba tout à coup à genoux, lui baisa les pieds, implora humblement sa bénédiction, fit ensuite sa confession à un prêtre catholique, et mena désormais une vie chrétienne. Il y eut beaucoup d'autres conversions semblables même parmi les prêtres jureurs. Les habitants de Valence sortirent au-devant du Pape, et ce fut la seule fois qu'il leur fut donné de le voir, durant les quarante jours qu'il demeura au milieu d'eux.

» Il fut, en arrivant, conduit au palais qui lui était destiné; les portes en furent aussitôt fermées, de manière que personne ne put y pénétrer. C'était le 14 juillet 1799.

» Le 22 du même mois, un prêtre apostat, président du Directoire, le ci-devant abbé Siéyès, décréta que Pie VI, qu'il appelait le ci-devant Pape, fût transféré de Valence à Dijon. Mais la chose fut reconnue impossible; et, de fait, le vénérable Pontife mourut à Valence, de la mort des justes, le 29 août 1799, dans la quatre-vingt-unième année de son âge, et après vingt-quatre ans six mois et quatorze jours de pontificat. Son corps fut embaumé et mis dans un cercueil de plomb.

» Vers le commencement d'octobre, les ecclésiastiques de la suite du Pape se promenaient le long des murs de la citadelle de Valence, à une petite distance de la route de Lyon. Passait une berline à deux places. Le principal voyageur leur envoya dire que, s'ils voulaient prendre la peine de se rapprocher de la route, il les verrait avec plaisir. En même temps, il fit arrêter sa voiture, et lorsque nous nous présentâmes, dit l'abbé Baldassari, il nous reçut d'un air gracieux et riant, et nous demanda des nouvelles du Pape. Apprenant qu'il était mort le 29 août : « J'en suis fâché, dit-il. » Puis il ajouta : « Et vous, que pensez» vous faire? »

» Nous lui répondîmes que nous désirions beaucoup retourner en Italie, mais que, malgré toutes nos insistances, nous n'avions

pu obtenir de passe-ports. « Il est juste, reprit-il, il est juste que vous retourniez dans les lieux où votre religion s'exerce en liberté. Mais le corps du Pape, que voulez-vous en faire?» Nous lui dîmes que nous avions inutilement sollicité du Directoire la permission de le transporter en Italie pour l'inhumer suivant les intentions qu'avait manifestées le feu Pape. Le voyageur répondit qu'il ne voyait à cela aucune difficulté. Il voulut savoir nos noms à tous et demanda des nouvelles du cardinal Mattei, du duc Braschi et de monseigneur Calepepi. Il lui fut répondu que nous étions sans aucun renseignement sur ces personnages, qu'il ne nous avait pas même été donné de correspondre avec nos familles. « Cela est trop fort, » dit alors le voyageur. Voyant qu'il se montrait si humain et si poli, on le pria de vouloir bien, lorsqu'il serait à Paris, aider de son crédit les demandes qu'on y avait adressées. Il promit de le faire et continua sa route.

» Ce voyageur était Napoléon Bonaparte, qui revenait de l'Egypte et allait à Paris changer le gouvernement de la France et la situation de l'Europe. »

La Révolution française était lasse d'elle-même et cherchait un homme à qui se donner. Elle le trouva cet homme dans la personne du général Bonaparte, jeune héros au regard d'aigle, dont le nombre des victoires surpassait déjà celui des années.

En effet, le Directoire était usé, avili par ses propres fautes, par ses coups d'Etat, par ses intrigues, par son incapacité à défendre la patrie au dehors et à comprimer l'anarchie au dedans. Pendant sept années, les pouvoirs s'étaient succédé, se renversant, s'entredévorant l'un l'autre comme des bêtes féroces, et ne fondant rien de stable, ni ordre ni liberté. Néanmoins, un pareil état de choses ne pouvait pas durer; la France, saignée aux quatre membres par le couteau de la Convention et couverte des emplâtres du Directoire, avait, comme nous venons de le dire, besoin d'un sauveur qui, en lui rendant sa paix et sa gloire, pût lui faire oublier la guillotine de Robespierre et les intrigues du citoyen Barras le Pourri.

Touché des maux de la patrie, et peut-être aussi avide d'un pouvoir suprême qui allait bien à sa gloire, le vainqueur des Pyramides, qui venait de débarquer à Fréjus, avait d'abord songé à s'emparer des rênes de l'Etat. Quelques membres du Directoire s'étant opposés à ce projet, il ne balança plus à le mettre à exécution, l'obstacle irritant ses désirs. Il avait amené

avec lui d'Egypte les généraux Lannes, Murat et Berthier. Bientôt accoururent à lui Jourdan, Augereau, Macdonald, Beurnonville, Leclerc, Lefebvre, Marbot, Moreau et une infinité d'autres. C'en était assez pour attaquer de front un gouvernement qui croulait de toutes parts.

Le 15 brumaire, après un grand banquet donné dans l'église de Saint-Sulpice, polluée et convertie en grange nationale par la sans-culotterie de 1793, il fut décidé que les conseils des Anciens et des Cinq-Cents seraient suspendus pour trois mois, qu'on substituerait aux cinq directeurs trois consuls provisoires qui, pendant ces trois mois, auraient une espèce de dictature et seraient chargés de faire une constitution. Les trois consuls devaient être l'abbé Sieyès, Bonaparte et Roger-Ducos. Comme moyen d'exécution, on imagina de supposer de la part des jacobins un projet d'attentat contre la représentation nationale; et afin d'échapper à ce danger imaginaire, on convint de demander la translation du Corps législatif de Paris à Saint-Cloud, et de confier à Bonaparte le soin de protéger cette translation. L'entreprise fut fixée au 18 brumaire.

Ce jour arrivé, le conseil des Anciens, qui était dans les intérêts de Bonaparte, ouvre sa séance à huit heures du matin.

Le député Cornet monte à la tribune, expose le danger que courait la République, et propose le décret de translation du Corps législatif à Saint-Cloud, lequel décret est aussitôt rendu par la majorité du Conseil. Le général, chargé de son exécution paraît bientôt, environné d'un nombreux état-major, au milieu du Conseil où il avait été appelé :

« Citoyens représentants, dit-il, la République allait périr, » votre décret vient de la sauver. Malheur à ceux qui voudraient » le trouble et le désordre, car, aidé de tous mes compagnons » d'armes, je saurais bien les arrêter! Qu'on ne cherche pas » dans le passé des exemples qui pourraient retarder notre » marche rien dans l'histoire ne ressemble à la fin du 18° siè»>cle... Nous voulons une République fondée sur la vraie liberté, sur la représentation nationale: nous l'aurons, je le » jure... je le jure, en mon nom et en celui de mes compa» gnons d'armes!... »

Ce serment solennel fut à l'instant répété par les généraux et les officiers qui étaient à la barre. Le conseil des Cinq-Cents, dont Lucien, frère de Bonaparte, avait la présidence, adopta,

non sans quelques difficultés, la translation décrétée par les

nciens.

Il ne s'agissait plus que de forcer les directeurs à donner leur démission, ce qui n'était pas chose très-difficile, puisque l'abbé Siéyès et Roger-Ducos avaient trempé dans le complot. Barras, prié fort poliment d'abdiquer le pouvoir, voulut d'abord faire le récalcitrant; mais voyant bien qu'un nouveau soleil se levait sur la France, il ne tarda pas à céder et à aller se cacher au fond de sa terre de Grosbois. Quant à Moulins et au président Gohier, ce fut autre chose; il fallut employer la force pour leur arracher leur démission. Gohier fut même emprisonné durant vingt-quatre heures au Luxembourg.

Durant ce temps, Bonaparte haranguait le peuple et les troupes, rassemblés dans le jardin des Tuileries:

<< Dans quel état, disait-il, j'ai laissé la France! Dans quel état » je la retrouve ! Je vous avais laissé la paix, et je retrouve le >> guerre! Je vous avais laissé des conquêtes, et l'ennemi presse » vos frontières ! J'ai laissé vos arsenaux garnis, et je n'ai pas » trouvé une arme! Vos canons ont été vendus; le vol a été » érigé en système; les ressources de l'Etat sont épuisées. On a » eu recours à des moyens vexatoires, réprouvés par la justice » et le bon sens; on a livré le soldat sans défense. Où sont-ils » les braves, les cent mille camarades que j'ai laissés couverts » de lauriers? Que sont-ils devenus! Ils sont morts!...>>>

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« Cet état de choses ne peut durer. Il est temps que tous les citoyens oublient les factions dont on les fit membres, pour

» leur permettre d'être Français... Il est temps que l'on rende >> aux défenseurs de la patrie la confiance à laquelle ils ont tant » de droits. A entendre quelques factieux, bientôt nous serions >> tous les ennemis de la République; nous qui l'avons affermie » par nos travaux et notre courage, nous ne voulons pas de » gens plus patriotes que les braves qui ont été mutilés au service de la République...

» Vous avez espéré que mon retour mettrait un terme à tant » de maux; vous l'avez célébré avec une union qui m'impose » des obligations que je remplis; vous remplirez les vôtres et >> vous seconderez votre général avec l'énergie, la confiance » et la fermeté que j'ai toujours trouvées en vous.

» La liberté, la victoire et la paix replaceront la République » française au rang qu'elle occupait en Europe, et que l'ineptie » et la trahison ont pu seules lui faire perdre!...»

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