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de voir, il résolut, de concert avec lui, de nommer dans les diocèses de Cambrai et de Reims une Commission composée d'hommes spéciaux, afin de préparer une nouvelle édition des livres de chœur. Le souverain Pontife approuva ce projet, et promit de donner son autorisation au travail de la Commission, qui lui serait présenté par les deux prélats.

Cette Commission, nommée aussitôt, se mit à l'œuvre, et, après deux ans de travaux, fit paraître la nouvelle édition du Graduel.

Le souverain Pontife la fit examiner, et l'autorisa d'après le rapport satisfaisant qui lui en fut fait.

§ 3. Principes adoptés par la Commission, et marche qu'elle

a suivie.

Donner une édition des livres de chœur où le chant fût reproduit dans toute sa pureté primitive, et par là contribuer à ramener l'unité dans cette partie de la liturgie: tel est le double but qu'on voulait atteindre.

Ce seul énoncé montre que nous sommes loin de partager l'opinion de ceux qui regardent le chant grégorien comme trèsimparfait, digne à peine des siècles barbares qui l'ont vu naître, rudiment grossier qui demande de nombreux perfectionnements, afin d'être mis à la hauteur de la science musicale actuelle. Pour être de cet avis, il faut regarder comme vraies deux choses, selon nous, fort contestables: la première, que l'on a fait, depuis saint Grégoire, un progrès réel en matière de musique populaire et religieuse 1; la seconde, que les auteurs des

4 A ceux qui partageraient cette opinion, nous citerons ces remarquables paroles de l'abbé Baïni, l'un des juges les plus compétents en cette matière, et qui joignait à un goût exquis une connaissance approfondie du chant ecclésiastique.

. Les anciennes mélodies du chant grégorien sont absolument inimitables. On » peut les copier..., mais en composer de nouvelles comparables aux anciennes, » on ne saurait le faire, et personne ne l'a fait. Je ne dirai pas que la plus grande >> partie de ces chants fut l'ouvrage des premiers chrétiens, que quelques uns » appartiennent à l'antique synagogue, et qu'ils sont nés, s'il m'est permis de >> me servir de cette expression, quand l'art était vivant; je ne dirai pas que >> beaucoup sont les œuvres de saint Damase, de Gélase, et principalement de » saint Grégoire le Grand, pontifes illuminés de l'esprit de Dieu pour cette » mission; je ne dirai pas quelques uns de ces chants ont pour auteurs les moi» nes les plus saints et les plus doctes qui fleurirent dans les viii, 1xo, xo, x1o, par » et x11° siècles, et qui, avant de les écrire, s'inspiraient par le jeune et

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divers plains-chants perfectionnés sont capables de réformer et d'embellir l'œuvre de ce grand Pontife. Nous croyons au contraire qu'admettre un tel principe, c'est méconnaître l'esprit traditionnel de l'Église; c'est ouvrir la porte à un arbitraire sans frein, livrer le chant ecclésiastique au caprice et au mauvais goût du premier venu, et anéantir à jamais la possibilité même de l'unité.

La Commission a pris une marche tout opposée. Le chant ecclésiastique n'est pas à faire, il est fait. Il n'est pas non plus à refaire, car il est bien fait. Mais, tel que nous l'avons, il est défiguré, il est altéré, et il faut le rétablir dans sa beauté première en remontant aux sources. De là, le principe fondamental qui nous a servi constamment de règle ne rien innover, rejeter toute espèce d'arbitraire, et si la théorie semble contredire quclquefois la tradition des manuscrits, suivre la tradition malgré la théorie, avec la certitude qu'une théorie plus savante et plus profonde que la première viendra plus tard donner raison à la tradition,

• prière ; je ne dirai pas, bien que cela soit évident par une multitude de mo»numents encore existants, qu'avant de composer un chant ecclésiastique, les » auteurs considéraient la nature, la forme et le sens des paroles, les circonstan ⚫ ces dans lesquelles il devait être exécuté, et qu'en prévoyant le résultat, ils » se plaçaient dans le mode ou ton dont l'élévation ou gravité, le mouvement ou » manière de procéder, soit par le placement des demi-tons, soit par les formes particulières de modulations, soit enfin par le mouvement propre de la mélo» die, y correspondaient le mieux; établissant des différences entre le chant de » la Messe et celui de l'Office; qu'ils avaient soin de faire qu'autre fût le carac» tère du chant pour l'Introit, autre pour le Graduel, autre pour le Trait, autre pour l'Offertoire, autre pour la Communion, autre pour les Antiennes, autre pour les Répons, autre pour la psalmodie après l'Antienne de l'Introit, » autre pour la psalmodie dans les Heures canoniques, autre pour le chant qui » devait être exécuté par une voix seule, autre pour le chant du Chœur; et tout » cela dans l'extension limitée de quatre, cinq ou six intervalles, et quelquefois, > mais rarement, de sept ou huit. Je ne dirai, je le répète, rien en particulier » de ces choses; mais je dis que de tous ces mérites réunis résulte, dans l'ancien > chant Grégorien, un je ne sais quoi d'admirable et d'inimitable, une finesse » d'expression indicible, un pathétique qui touche, un naturel élégant et facile, toujours frais, toujours nouveau, toujours fleuri, toujours beau, qui ne se » fane pas, qui ne vieillit point; tandis qu'on reconnaît immédiatement que » les mélodies des chants changés ou ajoutés, depuis le milieu du 15° siècle » jusqu'à l'époque actuelle, sont stupides, insignifiants, fastidieux et grossiers (Baini, Memorie storico-critiche, t. 11, p. 84.) XXXVI VOL. 2 SÉRIE. TOM. XVI.

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N° 91.

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1855.

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En d'autres termes, nous avons voulu reproduire le chant de saint Grégoire, le donner aussi pur que possible, et ne donner que lui, parce que lui seul est le véritable chant de l'Église. Mais comment le retrouver?

Si l'on possédait l'autographe de saint Grégoire; si, le possédant, on pouvait le lire, la question serait résolue, et il devien-. drait inutile de chercher ailleurs le chant ecclésiastique. Malheureusement ce trésor est à jamais perdu.

On croit, il est vrai, avoir une copie partielle de cet autographe, et depuis longtemps quelques savants prétendent la retrouver dans le manuscrit de Saint-Gall. Nous acceptons ce fait sans le discuter. Mais, si précieux qu'il puisse être en lui-même, il n'aura qu'une importance scientifique très-limitée, tant qu'on ne parviendra pas à lire directement la notation en neumes; et les derniers efforts tentés dans ce sens semblent n'avoir eu jusqu'à présent aucun succès.

Cela n'a rien d'étonnant pour qui connaît cette notation. Le même signe, un podatus, par exemple, peut représenter tous les intervalles ascendants, et avoir vingt-quatre significations différentes. Le pes sinuosus, série de trois notes, dont la note intermédiaire est toujours la plus élevée, en a plus de trente-cing. et ainsi de suite, sans que rien, ni dans la contexture du chant, ni dans la forme du signe, puisse faire reconnaître avec certitude l'intervalle exprimé. Aussi convient-on généralement qu'on ne peut pas lire cette notation d'une manière directe. Quelques savants cependant prétendent lire les neumes par les neumes eux-mêmes. - Nos pères, disent-ils, les lisaient. - Oui, parce qu'ils connaissaient les morceaux ainsi notés, et que touies les formules mélodiques leur étaient familières; mais ils ne s'en dissimulaient pas l'imperfection. A chaque page des livres qu'ils nous ont laissés sur cette matière, ils se plaignent de l'obscurité de cette notation 3.

Nous disons partielle. En effet, le manuscrit de Saint-Gall ne contient ni Introïts, ni Offertoires, ui Communions.

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« Sans doute, répondrons-nous à M. Nisard, les Neumes, étaient intelligibles avec le secours des maîtres de chant, sortis de l'école que saint Grégoire avait fondée à cet effet; mais ces signes u'avaient par eux-mêmes qu'une valeur tonale indéfinie, et le chant ne s'apprenait véritablement que par sage.....» Et un peu plus loin: Cette valeur, qu'on pourrait appeler numérique et valeur tonale approximative, est donc tout ce qu'il faut demander aux signes neumatiques; et chercher autre chose, c'est perdre son temps.... (Antiph. de S. Grégoire, par le C. P. Lambillotte, p. 16 et 19).

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Qualiter autem irregulares neumæ potius errorem scientiam

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Il est donc nécessaire de recourir à d'autres sources, d'interroger des manuscrits lisibles, de peser la valeur des documents, et d'arriver, par leur comparaison, d'une manière indirecte, mais tout aussi sûre, à retrouver le chant de saint Grégoire. Un seul manuscrit, quelle que soit d'ailleurs son autorité, ne suffit pas, cela est évident.

Il semble que le meilleur moyen serait d'étudier, de confronter tous les manuscrits de toutes les époques et de tous les pays; mais une telle idée est chimérique, si on veut l'appliquer d'une manière complète. Elle demanderait un concours inouï de circonstances favorables, avec le travail de plusieurs siècles. Si la restauration du plain-chant n'était possible qu'à ce prix, il faudrait y renoncer pour longtemps, et peut-être pour toujours.

Hâtons-nous de dire que ce système, fût-il réalisable, ne serait pas d'une très-grande utilité : les manuscrits de plain-chant, quelles que soient leurs différences d'âge et de provenance, sont des copies plus ou moins exactes d'un mème original, et, ainsi que la Commission en a acquis l'heureuse certitude, les différences vraiment importantes entre eux sont peu nombreuses. Or, l'unanimité d'un certain nombre de copies, de dates et d'origines diverses est une preuve suffisante d'authenticité, et le concours d'un plus grand nombre n'y ajouterait rien, ou peu de chose.

§ 4. Du manuscrit de Montpellier.

Comme nous l'avons dit dans la préface du Graduel, c'est le manuscrit de Montpellier qui nous a servi de point de départ. Ce manuscrit célèbre a été l'objet de critiques plus ou moins sérieuses. Nous devons les discuter, et justifier l'importance que nous lui avons accordée. Sans admettre tout ce qu'en a dit M. Danjou 1, à cause de quelques suppositions hasardées, nous rent in virgulis, ét in clinibus atque podatis, considerari perfacile est : quoniam quidem et æqualiter omnes disponuntur, et nullus elevationis vel depositionis modus per eas exprimitur. Unde fit, ut unusquisque tales neumas pro libitu suo exaltet aut deprimat, et ubi tu semiditonum vel diatessaron sonas, alius ibidem ditonum vel diapente faciat; et si adhuc tertius adsit, ab utrisque disconveniat. Dicat namque unus: Hoc modo magister Trudo me docuit ; subjungit alius: Ego autem sic a magistro Albino didici; ad hoc tertius : Cert magister Salomon longe aliter cantat. Et ne te longis morer ambagibus, raro tres in uno cantu concordant, nedum mille, quia nimirum dum quisque suum profert magistrum, tot fiunt divisationes canendi, quot sunt in mundo magistri....» (Joan. Cottonis Musica, apud Gerbert, t. 1, p. 258.)

Revue de Musique religieuse, etc., t. m, p. 585.

croyons que plusieurs assertions des adversaires du manuscrit sont erronées, quelques-unes peut-être déloyales.

Disons d'abord ce qu'il est.

Il commence par un traité de musique intitulé Breviarium de musicâ, dont Réginon, abbé de Prum, est l'auteur. Ce traité ne fait pas corps avec le manuscrit.

Vient ensuite le Graduel proprement dit, contenant, par ordre de tons et avec une double notation en neumes et en lettres, d'abord les Introïts, puis les Communions, les Alleluia avec les Versets, les Traits, les Graduels et les Offertoires; enfin, les Antiennes et Répons de la procession des Rameaux 1.

Un Domine, non secundum, noté en neumes, sans traduction; quelques pièces en l'honneur de saint Blaise et de saint Hilaire terminent l'ouvrage.

L'ordre dans lequel sont placées les diverses parties de l'office montre que ce manuscrit n'était pas un livre choral destiné aux usages quotidiens du culte, mais une collection à la fois théorique et pratique de toutes les mélodies grégoriennes. Le but de l'auteur a été de classer d'une manière régulière les types ou formules de chant de l'Eglise, afin d'en rendre l'étude plus facile; et ceci nous explique pourquoi il manque plusieurs Graduels, ainsi que des Traits et des Alleluia, tandis que tous les Introïts, Offertoires et Communions contenus dans le Sacramentaire de saint Grégoire s'y trouvent.

C'est que, dans les Introïts, Offertoires et Communions, le chant n'est jamais le même; tandis que les Graduels n'ont dans chaque mode qu'un nombre assez restreint de formules. Ainsi on trouvera noté le Graduel Tollite portas, et ce chant typique servira pour plusieurs autres, tels que Domine Deus virtutum, Hodie scietis, Angelis suis Deus, etc..... L'Alleluia, Dies sanctificatus du jour de Noël, également noté, sert de type pour les Alleluia de saint Etienne, de saint Jean l'Evangéliste, de l'Epiphanie, etc..... Ce fait a échappé à quelques observateurs superficiels, et voilà pourquoi ils ne cessent de répéter que le manuscrit de Montpellier est incomplet, par conséquent inutile.

On sent tout ce qu'il y a d'avantageux dans cette classification pour reconnaître la tonalité douteuse de certaines pièces, pour faciliter la comparaison des divers morceaux, et par là jeter du jour sur la contexture intime des mélodies grégoriennes ; mais ce qui est plus important, ce qui donne au manuscrit de Mont

1 Quelques morceaux omis dans le corps de l'ouvrage sont placés dans un Supplément, depuis le folio 151 jusqu'au folio 159.

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