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l'autre, et il réussissait à atteindre sans cesse à ces deux perfections si difficiles, celle de ne pas confondre les mots et celle d'observer les règles si compliquées et souvent si bizarres de la prononciation. Toutefois ce n'était pas sans peine qu'il donnait l'étonnant spectacle de ce tournoi linguistique: «'il avouait que » son attention était moins profonde et moins soutenue lorsque » la conversation s'engageait avec plusieurs interlocuteurs, » parlant des langues sans analogie entre elles, n'appartenant » pas à la même famille, l'italien et l'allemand par exemple; » mais que l'exercice devenait des plus fatigants, lorsque les » langues, par leur nature, se rapprochaient le plus possible, » qu'elles étaient filles de la même mère, comme l'italien et » l'espagnol, où les si, les chi, les i et les o sont si souvent en » guerre avec les as et les os. »>

Le cardinal Mezzofanti parlait la langue flamande, et il eut plus d'une fois occasion de faire preuve de la connaissance qu'il avait de ses divers dialectes. On a de bonnes raisons de supposer qu'il apprit cette langue en conversant avec les élèves du collége belge de Bologne, fondé par un orfèvre bruxellois nommé Jacobs, qui après avoir fait fortune à Bologne, fonda des bourses en faveur des jeunes Bruxellois qui viendraient étudier à la célèbre université italienne. Le cardinal Mezzofanti parlait avec beaucoup de précision le dialecte bruxellois, et ce fait pourrait trouver son explication dans ses rapports fréquents avec les habitants de l'établissement bolonais. Quoi qu'il en soit de cette explication, on a remarqué que la langue flamande dont usait ordinairement le savant prélat envers ses visiteurs belgès, portait fort souvent l'empreinte de la langue allemande et se rapprochait ainsi du dialecte parlé à Maestricht et dans les localités voisines de la Prusse. Il est du reste permis de supposer que le cardinal, connaissant très-bien l'allemand et l'ayant sans doute parlé plus souvent que le flamand, son langage ait dû se rapprocher du premier de ces deux idiomes. Toujours est-il qu'il était au courant des discussions qui ont lieu sur les rapports des diverses langues germaniques entre elles et sur les tentatives d'améliorer la langue flamande, sans la confondre avee le hollandais.

Le cardinal accédait volontiers à la demande des étrangers qui lui rendaient visite de conserver quelques lignes de son écriture dans la langue même qui avait servi à leur entretien, et il avait toujours à sa disposition des images sur lesquelles il

écrivait des sentences, de courtes prières ou même de petites pièces de vers. D'autres fois c'était sur l'album même des voyageurs qu'il inscrivait ces précieux témoignages de sa science et de son affabilité, qui sont presque tous demeurés inconnus. La rareté des œuvres laissées par lui doit faire savoir gré à M. Wap d'avoir inséré dans sa relation de voyage les vers hollandais que le cardinal inscrivit sur son album le 19 avril 1837 1. Il est à remarquer que dans la bibliothèque de Mezzofanti la langue flamande n'est représentée que par un seul ouvrage, la traduction de l'Imitation de J.-C. publiée à Malines en 1843 par M. le chanoine David; sous la rubrique des livres hollandais, qui sont assez nombreux, on a placé plusieurs ouvrages flamands de Conscience, Pieters, Van Duyse et Van den Nest.

Le cardinal accompagnait toutes ces études philologiques de l'étude des monuments les plus importants qui existent dans chacune des langues dont il se rendait maitre. Aussi était-il aussi versé dans l'histoire, la philosophie, la mythologie des grandes contrées de l'Orient, que dans la connaissance du syriaque, du persan, de l'arabe, du copte, du sanscrit et du chinois. Il tenait à se pénétrer du génie particulier à chacun de ces idiomes par l'étude des peuples qui s'en servent. II aurait cru n'avoir fait que d'insuffisantes recherches s'il n'avait pu dominer chaque idiome avec assez de puissance pour y réaliser facilement des compositions poétiques de tout genre; il ne lui suffisait pas d'exercer cette faculté sur les langues des plus grandes nations, il était parvenu à rendre avec une expression pleine de naturel les chants des Lapons, des Samoïèdes, des bandes errantes des Kamtchatka, des Tartares usbecks, des Cosaques, des Turcomans et des peuples qui habitent les bords de la mer Caspienne et les monts. Ourals.

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La bibliothèque du cardinal Mezzofanti a fourni à M. Manavit l'occasion d'une courte étude (p. 168-183), où il a cité les titres des ouvrages les plus rares. Une main amie nous a procuré le rarissime catalogue de cette superbe collection, et nous l'avons

1 J. WAP. Mijne Reis naar Rome in het voorjaar van 1837. Breda, Sterk, 1838. 2 deelen in-8°. A l'occasion de la mort du cardinal, un journal flamand, l'Eendragi de Gand (III' jaar, no 25, 1849), a publié la relation de son entrevue avec M. Wap, telle que celui-ci nous l'a transmise.

soigneusement examiné. Ce catalogue 1, dont peu d'exemplaires ont passé les monts et que nous avions vainement cherché à Paris, a paru par les soins du libraire Philippe Boniface. Le Bulletin du Bibliophile de Techener (1851, p. 508) l'annonça en peu de mots comme comprenant dans ses 45 sections les titres d'ouvrages écrits en plus de 400 langues 2, idiomes ou dialectes différents. Le feuilleton du Journal de la librairie (no 3. Paris, 17 janvier 1852) reproduisit les rubriques des différentes sections et présente ainsi la nomenclature d'environ 84 principaux idiomes ou dialectes qui étaient représentés dans cette bibliothèque, « sans aucun doute le recueil polyglotte le plus complet du >> monde... qui avait dû coûter au célèbre cardinal beaucoup » d'argent et pendant toute sa vie des recherches dans les pays » les plus éloignés. » On y émettait aussi le vœu que cette collection fût acquise pour quelque établissement littéraire. Les événements politiques ont empêché ce vœu de se réaliser: quelques journaux avaient annoncé que le gouvernement romain projetait l'acquisition de cette bibliothèque, mais il n'a pas donné suite à ce projet, puisque M. Manavit nous apprend que la famille du cardinal conserve toute la collection à Bologne.

Le catalogue présente les ouvrages rangés par ordre alphabétique dans chaque langue ou dialecte. On a placé en tête de la

Catalogo della libreria dell' Eminentissimo Cardinale Giuseppe Mezzofanti, compilato per ordine di lingue da Filippo BONIFAZJ, Librajo Romano. Roma, tipografia dei Fratelli Pallotta, via del sem. no 60, 1851, un vol. in-8o de VIII-140 pages avec l'imprimatur.

Il est à regretter qu'on n'ait point introduit une classification plus rigoureuse dans ce catalogue, qui aurait acquis par là un nouvel intérêt pour l'étude comparative des langues, et où l'on aurait trouvé réunis tous les ouvrages qui peuvent y servir directement. En adoptant pour seules divisions les langues ou dialectes, on a placé, par exemple, parmi les livres latins ou allemands, un certain nombre d'ouvrages qui appartenaient à la théologie, à l'histoire ou à la littérature et qui auraient été mieux placés d'après leurs sujets. Un grand nombre de fautes d'impression défigurent les titres de beaucoup de livres, et font regretter qu'on n'ait pas mis plus de soin à les copier ou à surveiller le travail de l'imprimeur. Les livres français, hollandais et allemands justifient tout particulièrement cette remarque qu'on pourrait étendre avec raison à d'autres catégories. Nous citerons parmi les fautes les plus lourdes et les plus aisées à éviter : Mocheldon, pour Mechelen (Malines); Teith, pour Feith, missenschaften, pour wissenschaften; holstandige, pour volstandige; werterbuch, pour worterbuch; Cibried, pour Cirbied; Van Boenmel, pour Van Bommel; Wetelet pour Watelet; chruch, pour church; emprimerie, Peys-Bas, etc., etc.

2 On sait que le Mithridates d'Adelung contient le Pater en 500 langues. Le chiffre de 400 pour la bibliothèque de Mezzofanti est certainement exagéré.

collection les ouvrages polyglottes et les dictionnaires. Ces derniers sont au nombre de 90, sans compter ceux qui figurent au milieu de chaque littérature et qui concourent à former un total d'environ 140. On y remarque tous les dictionnaires publiés au 17° siècle et au 18", principalement en Italie, à Rome et à l'île Saint-Lazare, etc., les nouveaux vocabulaires pour les langues de l'Orient et de l'Occident. L'énumération des livres de chaque idiome renferme une collection presque complète de tous les ouvrages qui ont été publiés par la Congrégation de la Propagande pour l'évangélisation de tous les peuples infidèles de l'ancien et du nouveau monde.

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Ayant eu constamment à sa disposition toutes les ressources de la bibliothèque de Bologne, qu'il a enrichie d'un grand nombre d'ouvrages, et celles des bibliothèques de Rome, le cardinal n'a songé dans ces deux villes qu'à réunir auprès de lui les ouvrages qui lui étaient le plus utiles pour ses recherches ordinaires. Cependant, comme il était à la fois littérateur et philologue, on trouve dans les principales langues qu'il cultivait par prédilection le grec, l'italien, le français, l'anglais, un choix de leurs monuments les plus remarquables. Il a été donné à M. Manavit de faire à ce sujet d'intéressantes observations à la suite des entretiens qu'il a eus avec le cardinal en 1846.

La bibliothèque de l'illustre polyglotte est donc presque exclusivement une bibliothèque de philologie et de littérature. Il n'y faut chercher aucune série d'ouvrages sur la théologie ou les sciences qui s'y rattachent; l'exégèse même y est à peine représentée, quoique, comme nous l'avons vu, le linguiste n'ait perdu aucune occasion de diriger son attention et celle de ses disciples sur l'examen du texte sacré; mais il eut constamment à sa portée les livres dont il avait besoin, et il attachait même tant de prix à se tenir au courant de la science contemporaine, qu'il eut soin de placer à Bologne tous les recueils périodiques dans lesquels elle consigne les premiers résultats de ses découvertes ou discute les solutions nouvellement présentées.

Parmi les ouvrages modernes qui figurent dans la bibliothèque dont nous parlons, il importe de signaler les textes, grammaires et vocabulaires publiés dans les principaux dialectes qui se sont conservés en Europe à côté de la langue dominante dans chaque pays, ou dans ceux d'autres pays qui ont trouvé récemment pour la première fois une grammaire ou un éditeur.

Cette série d'un intérêt tout pratique est fort riche, et elle s'est accrue par les vastes relations personnelles du cardinal, à qui l'on a souvent offert des ouvrages qu'on chercherait vainement dans les plus grands dépôts littéraires. Cependant, nous le répétons, il importe de ne point oublier, pour éviter les mécomptes, que l'utilité, et une utilité présente et immédiate, a toujours guidé la main qui a réuni ces livres. Il ne faut point y chercher les curiosités bibliographiques, les pièces rares qui excitent l'envie du bibliophile ou l'orgueil de l'amateur. Les ouvrages de ce genre qu'on y rencontre, comme les éditions de Constantinople, de Calcutta, de Mexico, de la Chine, y ont été placés comme objet d'études, et leur possesseur aurait pu facilement en accroître le nombre s'il avait eu le goût des collections. Il aurait pu surtout, lui qui était aussi bon paléographe que philologue, recueillir des manuscrits; soit qu'il ne l'ait point voulu, soit qu'il en ait disposé avec sa libéralité ordinaire en faveur des bibliothèques de Bologne ou de Rome, c'est à peine si l'on en rencontre quelques-uns parmi ses livres. Nous y remarquons cependant un bel exemplaire du Coran, dont on ne nous dit pas la date d'exécution, deux psautiers, un rituel ou ouvrage de médecine en arabe, un livre de liturgie en hébreu rabbinique, des recueils divers et des vies de saints en turc, un recueil allemand de prières à l'usage des militaires, exécuté en 1741. Aucune particularité ne signale ces manuscrits à l'attention; le dernier seul peut sans doute avoir servi à l'abbé Mezzofanti, lorsqu'il évangélisait les soldats dans les hôpitaux de Bologne.

Nous terminerons cette notice en reproduisant en italien les divisions et subdivisions du catalogue; nous ne les traduirons pas, afin de conserver jusqu'aux dénominations employées probablement presque toutes par le cardinal même, qui se servait ordinairement de cette langue pour ses études linguistiques, comme on en peut juger par le fragment publié par Mellini. Cette énumération servira à la fois à montrer la richesse de la bibliothèque du cardinal et à faire passer en revue l'immense variété d'idiomes qui lui étaient connus:

<< Albanesi o Epirotici, Arabi, Armeni (ant. e mod.); Americani, » Brasile, Messico, Paraguai, Perù, Stati-Uniti, Dialetto Indiano (Oahu e Lenni-Lenape); Boemi, Caldaici, Cinesi, Cochinchinesi, » Tunchinesi, Giapponesi; Danesi, Svedesi, Norvegesi, Irlandesi, » Lapponici; Ebraïci, Rabinico antico, Sammaritani; Egiziani o XXXVI VOL. 2o SÉRIE. TOME XVI. - N° 94.

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1853.

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