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»ront-ils à la corrompre? Les fanatiques! ils accusent les prètres >> constitutionnels d'erreur et de schisme, et ce sont ces prêtres >> constitutionnels qui sont obligés chaque jour de s'élever » contre les nouveaux livres dogmatiques que les apôtres de » l'erreur s'efforcent de répandre. »

On comprend facilement l'irritation de ces misérables intrus contre les véritables pasteurs dont ils avaient usurpé les siéges; car loin d'augmenter, le nombre de leurs adhérents diminuait de jour en jour, et le gouvernement, qui jusqu'alors les avait protégés, commencait à les regarder comme des sectaires dangereux pour le repos de la France.

Vers le mois de mars de l'année 1800, les consuls permirent aux prêtres exilés de rentrer dans leur patrie, à la condition qu'ils prèteraient le serment suivant :

« Je promets que je ne troublerai point l'ordre civil, que je » serai soumis aux lois civiles et justes, que je ne m'opposerai » point au gouvernement sous lequel je vis. C'est dans ce » sens que je promets fidélité à la constitution. »>

Ce serment, ou plutôt cette simple promesse, devint un sujet de contestation parmi le clergé catholique. Quelques évêques crurent pouvoir le permettre, d'autres le défendirent absolument. Ces derniers disaient, pour motiver leur défense, que le gouvernement consulaire ne pouvait inspirer aucune confiance; qu'il ne fallait plus, depuis la révolution, compter sur la valeur des mots; qu'on leur donnait un sens nouveau, et que des curés, qui avaient fait cette promesse, croyant qu'elle ne renfermait seulement que l'engagement de se soumettre au gouvernement, d'en respecter les pouvoirs et de ne prendre part à aucun complot, avaient été inquiétés et traités de parjures; l'un, parce qu'il avait blâmé un acquéreur de biens nationaux, qui le consultait au lit de la mort, et qu'il l'avait engagé à restituer ces biens mal acquis; l'autre, parce qu'il avait condamné le divorce. Ils montraient ensuite que la légitimité de la promesse était douteuse, et que ce devait être une raison pour ne la pas faire.

Quoi qu'il en soit, un grand nombre de prêtres, fatigués des misères de l'exil et encouragés par le silence du Saint-Siége au sujet de ce nouveau serment civil, firent la promesse exigée et reçurent en échange une carte de sûreté conçue en ces termes : « Le citoyen N., prêtre catholique, peut exercer publiquement » et paisiblement, tant dans les villes que dans les campagnes.

>> On l'exhorte à concourir, par la voie de son ministère, au » maintien de la paix, de l'ordre et de la soumission aux lois. »> L'acceptation d'une telle carte n'avait rien qui pût raisonnablement alarmer la conscience la plus délicate; car sa formule ne renfermait rien de contraire à la foi et à la morale catholiques. Il y avait d'ailleurs pour les soumissionnaires un argument qui semble décisif et que voici : s'il n'est pas permis de faire du mal pour qu'il en arrive du bien, il n'est pas permis non plus d'omettre un bien d'obligation certainement et évidemment commandé, dans la crainte d'un mal douteux. Or, pour les prêtres, pour les pasteurs surtout, c'est un devoir essentiel, de droit naturel et divin, de ne pas livrer le peuple à l'ignorance et à la séduction, de ne pas déserter le culte des autels, de ne pas abandonner les temples aux schismatiques et aux impies, de ne pas errer séparés de leur troupeau dans des régions lointaines. Les uns sont donc certains de remplir une obligation; tandis que les autres doutent ou doivent douter de la réalité du mal qui les empêche de la remplir, puisque les sentiments sont partagés, et que le chef de l'Eglise refuse de reconnaître ce mal.

Cependant la frégate la Dédaigneuse faisait voile vers Cayenne pour en ramener les prêtres déportés; le retour en France de tous ces confesseurs de la foi, et celui des autres prêtres qui revenaient de l'Allemagne, de l'Angleterre, de l'Espagne et des autres pays voisins, rauima le courage des catholiques, augmenta leur nombre et diminua les rangs déjà si clairs des partisans du schisme constitutionnel. Les indifférents euxmêmes préféraient les ministres fidèles, qui avaient tout sacrifié pour conserver leur foi, à ces lâches apostats qu'on avait vus, dans toutes les phases de la révolution, régler leur conscience sur l'esprit anarchico-philosophique, quelque impie qu'il pût être, et qui, d'ailleurs, ne se recommandaient pas généralement par la régularité de leurs mœurs, Abandonnés par le gouvernement auquel ils s'étaient livrés corps et âme, les intrus ne touchaient plus de traitement, et se trouvaient, pour la plupart réduits à l'indigence. Le Masle, évêque du Morbihan, qui n'avait plus que deux prêtres pour l'assister à la cathédrale de Vannes, était tombé dans une si grande pauvreté, qu'il résolut d'aller à l'hôpital afin d'y obtenir une place. Ce sont les Annales des constitutionnels qui rapportent ce fait. Bonaparte entrevoyait le rôle de la religion catholique dans

les sociétés humaines; il savait que toute organisation puissante et durable doit reposer sur une croyance, sur un culte, qui, tout à la fois, parlent à l'esprit et au cœur; or, cette croyance et ce culte raisonnables se trouvaient seuls dans le catholicisme, qui venait d'être si cruellement persécuté par la révolution, dont il était devenu le maître. Son regard profond, en sondant le passé, avait lu dans l'avenir. L'histoire lui avait appris que les trônes les plus solides étaient ceux qui s'appuyaient contre l'autel et que les majestés les plus imposantes étaient celles que la main d'un Pontife avait consacrées. Le malheur des temps avait renversé le trône des enfants de saint Louis; l'impiété avait fait rouler, avec la tête de Louis XVI, la couronne de France sur un échafaud; elle était tombée dans une mare de sang; mais qui empêchait le jeune vainqueur de Marengo, devenu premier consul, de ramasser cette couronne, de l'essuyer et de se la mettre sur le front? Ce trône antique, sur lequel trois races illustres s'étaient successivement assises, qui l'empêchait de le relever, de le restaurer et de s'y asseoir à son tour? Les frères du roimartyr, ses héritiers légitimes, vivaient encore, il est vrai, mais ils étaient dans l'exil, et ils y pouvaient mourir aussi obscurément que les derniers rejetons des deux races mérovingiennes et carlovingiennes. Il avait, grâce à la vaillance de son épée et à la force de son bras, dompté l'hydre révolutionnaire; le peuple et l'armée étaient pour lui, mais il lui fallait encore l'Église, et cette Eglise, décimée par une persécution de dix ans, il pouvait se l'attacher en lui rouvrant les portes de ses sanctuaires profanés, en l'aidant à reconstruire ses autels, en la pròtégeant, en lui rendant les antiques splendeurs de son culte ! Cette politique adroite et sage s'harmonisait d'ailleurs parfaitement avec ses idées d'ordre et ses principes religieux.

Bonaparte, en effet, avait gardé au fond du cœur les premiers instincts de la foi italienne, les traditions mal éteintes d'une enfance catholique. «Il aimait les belles cérémonies du culte pa»ternelle son des cloches, vibrant à travers le silence du soir, >> le faisait tressaillir malgré lui; quand il passait devant nos » vieilles basiliques fermées, il se rappelait, avec une émotion » mêlée de crainte, la pauvre église d'Ajaccio, le signe de la » croix de sa nourrice, et son vieil oncle l'archidiacre Lucien, » qui l'avait béni au lit de mort. De cet ensemble de sentiments >> religieux et politiques, naissait en son âme le désir fermement >> arrêté de reconstituer l'Eglise de France; mais il voulait que

» cette Eglise, docile et disciplinée, ne devînt jamais un obstacle » à ses desseins, et servît avant tout d'instrument à sa poli»tique 1. »

Ainsi, grâce aux projets et aux inclinations du consul Bonaparte, la République Française et l'Eglise Romaine allaient enfin se réconcilier et se donner publiquement le baiser de paix! Hélas! que cette Église de France, la fille aînée de celle de Rome, avait perdu de sa splendeur première et de son antique liberté !

Sous la domination des Césars, et tandis que la Gaule faisait modestement partie d'un prétoire de l'empire romain, les évêques et le clergé catholiques avaient joué parmi nos pères un grand rôle : ils avaient conservé sur le sol, dépourvu de nationalité et de bonheur, les notions de la justice et du droit, les consolations impérissables dont l'Evangile et la prière sont la double source. Durant les invasions des barbares, ils avaient adouci la tyrannie des hommes du Nord, et stipulé en faveur du peuple. La société ne s'était fondée que par eux, et, avec elle, la monarchie. Tuteurs naturels d'une civilisation qui émanait de leur autorité et de leurs travaux, ils avaient été associés à son gouvernement, ils avaient pris place dans l'Etat; et, si le peuple existait, il ne le devait qu'à l'Eglise. D'autres temps étant venus, le clergé était entré dans le système féodal. Plus tard il avait formé l'un des trois grands ordres de l'Etat; plus tard encore, il avait eu à lutter contre l'invasion armée du protestantisme; et quand le traité de Westphalie eut exclu l'idée catholique du gouvernement des peuples et du droit international, il s'était vu relégué dans ses temples et comme parqué sur le terrain religieux. Là étaient désormais sa puissance et sa gloire. Sa mission administrative et politique touchait à son terme, mais son œuvre sociale, loin d'être finie, devait se prolonger aussi longtemps que durerait l'humanité.

Malheureusement les rois savent que la liberté et l'isolement du clergé augmentent sa puissance et sa force morales. Philippe le Bel avait commencé la lutte contre l'indépendance de l'Eglise, Louis XIV l'acheva. Aidé par les parlements, favorisé par la noblesse de quelques évêques et par les craintes de plusieurs autres, l'orgueilleux monarque constitua autour de lui une

'Amédée Gabourd, Révolution française, t. v, p. 372.

Eglise monarchique, soumise au roi et à ses lieutenants, relevant d'eux autant que possible, sans consommer sa séparation d'avec Rome, sans détruire formellement l'unité catholique. Le génie et l'éloquence de Bossuet avaient servi à Louis XIV pour opérer cette espèce de schisme que les plis du manteau des rois très-chrétiens devaient protéger contre les foudres du Vatican. Rome, en effet, usant d'indulgence envers sa fille aînée,* se contenta de gémir et de prier pour l'enfant téméraire qui s'éloignait d'elle, afin de vivre sous la police des rois. Le 18° siècle avait permis à l'Eglise de France de moissonner les tristes fruits de ce fatal éloignement. Associé aux pompes de la cour, l'épiscopat s'était vu recruté dans la noblesse et dans les salons de Versailles; sa solidarité avec le pouvoir civil l'avait compromis aux yeux du peuple, et la tempête qui avait renversé le trône avait aussi renversé ses autels!

Ainsi que nous l'avons vu, l'expiation suivit de près la faute; expiation terrible, il est vrai, mais aussi courageusement acceptée. L'Eglise de France a compris la rude leçon que lui a donnée la philosophie rationnelle, durant les dernières années du 18 siècle; elle a vu ce qu'elle pouvait gagner en associant des intérêts célestes à une cause purement humaine, et maintenant, devenue pauvre et soumise à la voix de Rome sa mère, elle s'est réconciliée avec le peuple qui ne l'opprimera plus. L'abbé Alph. CORDIER.

Sciences législatives.

HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL
DES PEUPLES MODERNES,

CONSIDÉRÉ DANS SES RAPPORTS AVEC LES PROGRES DE LA CIVILISATION DEPUIS
LA CHUTE DE L'EMPIRE ROMAIN JUSQU'AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

2 I.

CHAPITRE XXIV 1.

Du Sachsenspiegel ou Miroir des Saxons.

Histoire externe du Miroir des Saxons.

Au commencement du 13 siècle, l'Allemagne venait d'être divisée par des principes opposés et déchirée par des factions Voir le chap. xxIII au no précédent ci-dessus, p. 311.

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