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»losophe; c'est l'idée que l'enfance reçoit avec une merveilleuse » docilité dès qu'elle est capable de raison, et que l'âge mûr mé>> dite sans pouvoir l'épuiser. Cette idée est le fonds de l'intelli»gence humaine; sans elle, il n'y a pas de raison; sans elle, >> nous ne pouvons rien concevoir; sans elle, nous ne pouvons » penser, nous ne pouvons parler; en la niant, nous l'affirmons. >> Toutes nos notions de vérité, de bonté, de beauté, reposent sur » elle, nous mènent à elle. Cette idée est la lumière de l'âme, >> l'air qu'elle respire, la vie qui circule en elle et l'anime. »

Nous ne voulons pas pousser plus loin l'indication des auteurs contemporains qui se servent des mêmes expressions, et ont continué le langage et les erreurs de Malebranche, malgré la condamnation dont l'Église a frappé tous ses livres. Il nous serait facile de citer un grand nombre de philosophies d'auteurs divers, et surtout un grand nombre de livres mystiques qui, de bonne foi, ont adopté ces formes de parler. Mais nous croyons inutile de le faire. Tout ce que nous voulons, c'est de montrer le danger de ces expressions en face du rationalisme et du panthéisme, qui font un si grand ravage autour de nous, et la nécessité par conséquent de s'abstenir de semblables expressions. En effet, nous espérons que tous les auteurs, et en particulier tous les professeurs de philosophie et de théologie, nous aideront dans cette réforme, dont ils reconnaîtront comme nous l'importance.

Pour conclure, je dis que la logique d'Aristote comme celle de Descartes nous interdisent formellement de considérer la notion abstraite d'être en général et l'idée positive de l'Étre actuellement infini comme une seule et même idée, puisqu'autrement ce serait nous exposer à faire entrer, contre la première des règles, quatre termes au lieu de trois dans chacun de nos syllogismes.

Je ne disconviens pas cependant que l'idée d'être en général ne puisse comme tout le reste servir à démontrer l'existence de Dieu; car cette idée abstraite suppose l'existence de notre esprit qui se forme cette idée, et notre propre existence nous démontre à nous-mêmes celle de Dieu. Mais cette preuve repose alors sur le principe de causalité, et non sur celui d'identité, comme le voudraient apparemment les philosophes dont je viens de citer les paroles. Identifier, comme le font ces messieurs, l'idée de Dieu avec celle de l'être en général, ce serait l'identifier de la même manière avec celle de tous les autres

êtres, qui tous sont compris sous la même idée. Et c'est ainsi qu'en voulant simplifier la démonstration de l'existence de Dieu, on arriverait au Panthéisme, c'est-à-dire à la négation implicite de la Divinité.

L'abbé A. C. PELTIER.

Traditions indiennes.

LA LÉGENDE DES PANDAVAS.

Intérêt qu'il y a pour la Religion de connaître les croyances indiennes.

Description de Bénarès un jour de fête. Récit de la légende. - Origine des Pandavas indiens. Leur provenance de la haute Perse. Leur histoire.

Jadis il y eut un roi dans l'Inde qui s'écria douloureusement aux approches d'une famine : « Ah! mon Djamboudvipa si » riche, si prospère, si fortuné, si abondant en tous biens, si » agréable, si rempli d'hommes et de peuples, il va dans peu de» venir désert et privé d'habitants! » La lamentation de ce bon roi ne se vérifia pas, grâce aux sages mesures qu'il prit ensuite. Il ordonna que toutes les récoltes fussent amassées dans de vastes magasins, et quand la sécheresse fut venue et avant que ses peuples ne criassent famine, il fit distribuer tous les jours et à chacun, une portion de nourriture suffisante, et ainsi la crise passa sans qu'on s'en aperçût beaucoup.

Les temps ont bien changé pour ces pauvres Hindous. Personne n'a plus souci de leur bien-être; on a coupé l'arbre pour avoir le fruit, et les trois quarts du pays languissent dans une misère dont le seul récit saisit d'épouvante.

Cependant malgré cet état déplorable qui fait que les paroles de louange du roi précité ne trouvent plus guère où s'appliquer, si ce n'est à quelques localités assez restreintes, et qui est la cause que la grande majorité des Hindous reste plongée dans cette torpeur d'esprit que produisent les longues souffrances, il y a toutefois certains indices qui permettent de conclure que ce peuple, producteur de si grandes choses dans le passé, et dont l'histoire ancienne atteste la valeur intrépide et une étonnante activité de conquête, peuple qui écrivit des poëmes où les vers se comptent

Voir Burnouf, Intr. à l'hist, du Bouddh.

par millions, qui tailla dans le roc les temples d'Ellora et creusa dans le basalte les souterrains d'Oudjin, qui bâtit des châteaux en comparaison desquels les plus forts de notre moyen âge sont comme des châteaux de cartes, et couvrit le sol de l'Inde de tant d'autres ouvrages, quelquefois si prodigieux qu'on se refuserait à les croire faits de main d'homme : il y a, dis-je, des indices que ce peuple ne s'est pas encore entièrement endormi dans le sommeil de la mort intellectuelle, et ces indices, il les révèle par l'intérêt qu'il porte aux choses qui se rattachent à la religion.

Oui, pour tirer l'Hindou de son assoupissement et réveiller en lui un vif sentiment de son être, on n'a qu'à toucher en lui la corde religieuse, et les spectacles ainsi que les légendes en sont les deux moyens les plus efficaces. Pour voir un spectacle ou entendre une légende, l'Hindou redevient le plus actif des hommes. Lui, que l'appât du gain ne ferait pas bouger de place tant qu'il lui reste une parcelle de cette chétive nourriture à laquelle les exactions de l'étranger l'ont condamné, il sort de son repos, il fait un long chemin, quelquefois des centaines de lieues, il surmonte l'impossible, et cela dans le seul but de satisfaire son penchant pour le merveilleux, ce merveilleux par lequel le profane vulgaire, privé de lumière, dit un texte pouranique, est instruit de tout ce qui intéresse sa religion exclusivement sensuelle et légendaire.

Transportons-nous en esprit dans l'Inde. Nous voici sur les bords du Gange, en face de la cité sainte, de l'antique Bénarės, appelée par les Hindous Kaçi de kaç, briller, resplendir. Et en effet, l'aspect de cette ville est plein de splendeur, de cette splendeur particulière à l'Inde, qu'il faut voir pour la comprendre... Le Gange coule à nos pieds avec une lenteur majestueuse, et ses ondes de la rive opposée semblent fuir avec regret les temples sans nombre dont elles baignent les fondements sacrés. Derrière ces demeures des dieux, s'élèvent en amphithéâtre les rangs pressés et confus des habitations particulières; beaucoup en sont d'une grandeur imposante et couronnées d'élégantes terrasses. Çà et là au-dessus de cette masse qui s'étend à plus de deux milles anglais en long sur un mille environ de largeur, et dont l'éclat du soleil fait ressortir la teinte rougeâtre, perce le sommet mitral d'une pagode, et au dernier plan, dominant le tableau entier, s'élèvent, comme deux princes fiers et gracieux, les deux minarets de la mosquée de Bicéçor, bâtie par Aureng-Zèb. Oh! quel dommage qu'il n'apparaisse à l'horizon ni palmier, ni

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talipât, ni aucun de ces arbres dont la hauteur est plus hau que les archers ne font voler leurs traits!

Ubi aera vincere summum

Arboris haud ullæ jactu potuere sagittæ '.

Sans doute nous ne pourrions pas encore dire alors que « la beauté de ces lieux est tellement admirable que si un ange » jouissait de leur vue il perdrait la raison 2», mais pour être moins orientale notre admiration n'en serait que plus profonde. Passons le Gange. Dans cette saison, en hiver, c'est fait en quelques minutes. Nous débarquons à un de ces nombreux escaliers de pierre qui permettent aux Hindous de faire leurs ablutions dans le fleuve, puis nous entrons dans un dédale de rues très-étroites et très-sales. Elles sont en outre tortueuses et pavées de dalles de manière à se rompre le cou. Les maisons qui les bordent ont l'aspect le plus varié. Bâties en pierres de taille d'une couleur foncée et en briques cuites, elles sont sculptées sur leurs façades ou couvertes de peintures mythologiques. La hauteur n'en est pas aussi considérable que le grand nombre des étages le ferait supposer (on en compte jusqu'à sept); point de fenêtres, à moins qu'on ne veuille donner ce nom à des ouvertures très-petites.

Nous voilà en pleine Inde: pas une figure blanche dans la foule que nous traversons; toutes sont plus ou moins noires, quelques-unes seulement montrent la couleur du cuivre jaune ou celle du bronze. Mais pour cela ces figures ne sont pas laides; loin de là. Leur coupe est presque toujours d'une régularité classique et dans leurs traits résident la gravité et la douceur. Le costume de ces gens est on ne peut plus pittoresque. Une sorte de tunique à fond bleu, rose ou vert, couverte de palmettes et à longues manches, les couvre jusqu'aux genoux ou plus bas, et une ceinture blanche la serre autour des reins. Les Musulmans sont reconnaissables aux pantalons, les Hindous s'en passent volontiers, mais les uns et les autres portent des turbans de toutes couleurs, et beaucoup d'entre eux ont, par-dessus la tunique, une pièce d'étoffe ou même un châle

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Voy. Afsos, Araïsh-i mahfil,dans Garcin de Tassy, Hist. de la litt. hindoust.,, p. 361.

de Kachemir dont ils se drapent avec autant d'élégance que peu de prétention.

Mais qu'est-ce qui nous arrête? Je vois plusieurs taureaux qui obstruent la rue déjà si étroite, puisqu'elle n'a guère plus de cinq à sept pieds de largeur et qu'elle est formée par des maisons mal alignées. Ces taureaux s'y promènent d'un pas indolent comme s'ils étaient chez eux. Et en effet, ils le sont, toute la ville est à eux; ils sont sacrés. Pourtant il faut qu'ils laissent passer, et comme ils font semblant de ne pas entendre, on les rosse à tour de bras sans préjudice de leur sainteté. Alors ils se rangent en poussant un grognement sourd et abrupt. Mais rangeons-nous à notre tour. N'entendez-vous pas ces cris qui approchent? Ne voyez-vous pas cette procession qui s'avance comme si elle courait à une noce? Gare! gare! Laissez passer le mort, car c'en est un. Une vingtaine de porteurs. l'acheminent en cadence vers le fleuve où on le brûlera, puis l'eau sacrée recevra ses ossements et la suprême ambition du défunt sera satisfaite. Peut-être était-il venu de 300 ou 400 lieues pour avoir le bonheur de mourir à Bénarès; cela se voit tous les jours. D'ici, l'Hindou orthodoxe va droit au ciel des pitris ou ancêtres.

Arrêtons-nous maintenant auprès de cette pagode peinte en rouge et au sommet doré; c'est la principale. Les bœufs et les brâhmanes ont seuls le privilége d'y entrer à toute heure, et ce n'est pas un privilége que nous voudrions leur envier. L'intérieur d'une pagode n'est ni beau ni propre, et la fumée des nombreuses lampes qu'on alimente avec du beurre fondu y répand une odeur insupportable pour tout autre nez que celui d'un Hindou. Ecoutons ce que le personnage sacré que nous voyons dans le parvis entouré d'un auditoire accroupi sur ses talons se dispose à lui raconter. Toutefois, comme vous n'entendez peut-être pas un mot de la langue du pays, il vaut mieux passer outre et continuer notre promenade. Sortons donc de la ville pour atteindre les jardins.

Déjà le soleil commence à se changer en Apollon exterminateur, et il serait temps de nous abriter sous ces tamarins monstres dont nous voyons la sombre et épaisse verdure au pied des blancs minarets. Là, étendus dans un lieu frais et ombragé, on découvre à plein toute la ville, et on jouit à son aise du vaste panorama des bords du Gange. Ainsi établi, on est tout disposé à prêter quelque attention aux récits qui se rapportent à la

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