Page images
PDF
EPUB

fussent présentées, n'étaient pas de nature à être facilement saisies par les masses. Une influence bien autrement efficace était celle des écrits socialistes et communistes qui s'adressaient aux passions et aux appétits grossiers, et qui les excitaient à renverser l'ordre social existant comme le principal obstacle à la félicité universelle. C'était à ces doctrines, comme nous l'avons dit plus haut, qu'avait abouti le catholicisme allemand de Ronge et de ses adhérents; elles n'avaient pas peu contribué à la popularité dont il avait joui quelque temps, et elles avaient trouvé un assez grand nombre d'adeptes dans les classes ouvrières. L'abbé de CAZALÈS.

Revue d'ouvrages étrangers.

I SECOLI

DEI DUE SOMMI ITALIANI

DANTE E COLOMBO

Studiati e delineati da TULLIO DANDOLO,

FRAMMENTO

D'UNA STORIA DEL PENSIERO NE' TEMPI MODERNI.

(Milano. Borroni e Scotti. 1852.)

Avec cette épigraphe: Anzi tutto sono Cattolico ed Italiano.
Avant tout je suis Catholique et Italien.

Tullio Dandolo, un des plus féconds et des plus célèbres écrivains modernes de l'Italie, vient de mettre la dernière main à un ouvrage vraiment remarquable par la nouveauté de la forme, par la variété, l'importance et l'étendue des sujets qu'il traite. C'est, en quelque sorte, une revue universelle qui embrasse tous les siècles, toutes les nations; qui parle histoire, littérature, arts, sciences, religion, politique, philosophie, et fait connaître les phases diverses de notre civilisation. C'est une espèce de panorama où philosophes, lettrés, savants, artistes, archéologues, géographes, diplomates, rois, empereurs, pontifes, en un mot, tous les hommes qui ont eu quelque influence sur leur siècle, passent sous vos yeux et se révèlent à vous tels qu'ils étaient, avec leurs vices et leurs vertus, leurs talents, et souvent avec leur

[ocr errors]

orgueil et leur folle ambition. Cette sorte de mosaïque littéraire se distingue par la variété des tableaux, la correction du dessin, la pureté des lignes, la fraîcheur et l'éclat du coloris, et surtout par l'appréciation judicieuse des œuvres des grands maîtres. Quoique l'auteur ait principalement en vue l'Italie, il prend dans l'histoire de tous les peuples et rassemble les faits les plus saillants de l'époque, qui reflètent, en quelque sorte, la pensée de l'esprit humain, et en sont les manifestations les plus vives. Il nous montre l'influence du génie italien sur les autres nations, et celle des autres nations sur le génie italien.

On pourra se faire une idée de la largeur du cadre de l'ouvrage de Dandolo par son titre seul, et celui des sujets qu'il traite. Chaque titre indiqué fournit assez de matières pour un ou plusieurs volumes. Voici le titre de l'ouvrage : Histoire de la Pensée.

1° Prolégomènes. La Pensée avant Jésus-Christ.

2o Le Christianisme naissant.

3o La Pensée païenne sous l'Empire.

4° La Pensée chrétienne sous l'Empire.

5" Les siècles barbares (du ve au xe).

6" Les siècles du moyen âge (s1o, x1o, x11®).

7° Les siècles xive et xV".

8° Le siècle xvi.

9° Le siècle xvii.

10° La Pensée dans les états du Midi au XVIIIe siècle jusqu'à 1789.

་པ

11° La Pensée en France au xvin siècle jusqu'à 1789.

120 La Pensée dans les états du Nord au viie siècle jusqu'à 1789.

[blocks in formation]

Les premiers volumes que M. Dandolo ait fait paraître sont ceux dont nous allons essayer de faire le compte-rendu. Ils ont été publiés à Milan en 1852, et ont été suivis de trois autres qui viennent d'être livrés à l'impression, que nous analyserons dans divers articles. Ils sont intitulés : L'Italie dans le siècle passé jusqu'en 1789 (2 vol.), La Philosophie et les Lettres en France pendant le XVIIIe siècle (1 vol.), Il nous est permis de juger de l'ensemble de son œuvre, par ce qu'il a déjà livré à la publicité.

L'auteur est avant tout catholique, comme il l'a inscrit au frontispice de son livre. Nos modernes sophistes, sous le nom pompeux et menteur de philosophie de l'histoire 1, se sont attachés à défigurer les faits; ils ont souvent méconnu les bienfaits du catholicisme, et la large part qui revient à la Papauté dans la diffusion des lumières, le progrès des sciences et des arís, et la propagation de la civilisation européenne; il venge le catholicisme et la Papauté des calomnies des sophistes. La plupart des écrivains, surtout dans ces derniers siècles, rejetant le flambeau de la Révélation, imbus des principes erronés d'un philosophisme corrupteur, n'ont voulu prendre pour guide dans leur marche que les lueurs souvent incertaines et trompeuses de la raison, et se sont montrés presque tous fatalistes et hostiles à la Religion catholique, ils ont oublié cette grande vérité exprimée dans ces paroles d'un des hommes les plus célèbres : « L'homme s'agite, Dieu le mène. » Dandolo, dans les grands événements historiques, trop souvent dénaturés par l'orgueil et les passions de l'écrivain, rétablit la vérité, et nous montre partout la sagesse admirable de cette Providence divine, qui abaisse et relève les nations, brise et rétablit les trônes, selon ses desseins souvent impénétrables, mais toujours pour instruire et améliorer les peuples, et pour atteindre ses fins. Là, où le philosophe athée ou déiste voit la main de l'homme, le philosophe chrétien aperçoit la main de Dieu. De là cette largeur de vue, ces aperçus profonds, ces considérations élevées qui, entremêlés de narrations pleines de charme, de scènes émouvantes, de descriptions brillantes, impriment à l'ouvrage un cachet d'originalité qui en rendent la lecture très-intéressante. Grâce à sa vaste érudition, il donne des détails curieux sur les grands hommes qu'il dépeint, et que l'on chercherait vainement chez les biographes. Souvent il les met en scène, cite leurs propres paroles, pour mieux nous faire connaître leurs opinions, et nous fait ainsi assister aux événements mémorables qui devaient avoir une si grande portée sur l'avenir. Il choisit les deux plus grandes figures du 13° et du 14° siècle; celles de Dante et de Colomb.

« L'un donna à l'humanité un nouveau monde intellectuel, l'autre un nouveau monde terrestre. Avec le premier nous voyons l'Europe sortir du sommeil de la barbarie, et, éclairée

Voltaire est le premier qui s'en soit servi. Voir Philosophie de l'histoire, par M. Roux-Lavergne.

par ce nouveau phare, trouver la science des anciens et la greffer sur la science nouvelle qui, dès son apparition, promettait ces fruits admirables que l'Italie recueillit dans la suite. Avec le second nous voyons de nouvelles mœurs, de nouvelles institutions, de nouveaux empires, et surtout de nouvelles conquêtes de notre divine Religion, qui devaient, pour ainsi dire, changer la face du monde. Dans le siècle de Dante, autour du coryphée du savoir moderne, nous trouvons Pétrarque, Boccace, Villani et cette foule de noms glorieux qui ont donné à l'Italie la suprématie dans les lettres et dans les arts, et rendu sa langue si belle et si douce. Dans le siècle de Colomb, et à la suite de ce dernier, nous trouvons des guerriers, des pontifes, des philosophes, des érudits, des géographes et des navigateurs, et parmi ces derniers, Magellan, qui compléta les découvertes de l'immortel Génois, et Améric, qui usurpa la gloire d'éterniser son nom donné au nouveau continent. Et comme si la Providence eût réservé pour ces temps les inventions les plus utiles à l'homme, nous voyons dans ce siècle, si plein de grandes choses et de grands hommes, les sciences et les lettres se donner la main pour faciliter plusieurs découvertes, et celle qui les propage toutes et les rend immortelles, l'imprimerie. »>

Quoique ces quelques mots puissent suffire pour faire apprécier l'importance du livre de M. Dandolo, nous allons essayer de donner une courte analyse des matières traitées dans les deux volumes dont nous avons déjà parlé, en faisant quelques citations qui feront connaître le double talent du philosophe et de l'écrivain.

Premier volume. Le premier article est intitulé: Tradition des lettres en Italie. C'est un aperçu brillant, vrai, chaleureux et savant de la littérature italienne sous le paganisme, à la naissance du christianisme, dans les siècles barbares et pendant le moyen àge. Après avoir montré la décomposition lente et progressive de la société païenne sous l'influence cachée mais persévérante du christianisme, dans les deux premiers siècles de notre ère, il nous montre ce dernier pénétrant dans Rome, et s'exprime ainsi «L'Eglise, à peine née d'hier, possède déjà sa hiérarchie couronnée par le souverain Pontificat, sa liturgie rendue parfaite par le sacrifice eucharistique : dans les images sacrées des catacombes commencent à se montrer les typcs traditionnels de l'art chrétien; la Bible ouvre une source inconnue dans laquelle doivent se retremper les lettres; et les Actes des martyrs

fournissent les premiers matériaux de l'histoire moderne. » Le christianisme, toutefois, malgré ses innovations fondamentales, n'abjurait point la vieille civilisation qu'il voulait régénérer; ces hommes jetés aux bêtes ne reniaient point Rome pour leur patrie, ils croyaient à sa destinée immortelle; ils regardaient l'empire comme le seul moyen possible de conserver la civilisation, et en demandaient la conservation à Dieu; les arts leur fournissaient les moyens d'exprimer leurs idées; par un hardi symbolisme on vit Orphée représenter le Christ qui attire les cœurs à lui. Les premiers Pères signalèrent dans les doctrines des philosophes les traits épars d'une vérité incomplète : on compta des disciples de Platon qui reçurent le baptême sans quitter le manteau. Saint Justin ouvrit à Rome, pour la première fois, une école de philosophie orthodoxe, lorsque, après vingt-cinq ans d'enseignement, il en ferma pour la dernière fois la porte, il le fit en passant de la chaire au gibet, et scella de son sang l'alliance de la science et de la foi. C'est ainsi que le christianisme, déjà maître de l'avenir dont il contenait les germes, rattachait à lui le passé par l'acceptation légitime de tout le savoir des anciens. »

Dante. Le véritable restaurateur des lettres en Italie est le célebre Dante Alighieri, né en 1265, mort, exilé, à Ravenne, le 12 septembre 1321, après avoir meué une vie errante et agitée. Florence, sa patrie, était divisée en deux factions, appelées les Noirs et les Blancs, qui se déclaraient une guerre acharnée; il ne cessa de la regretter jusqu'à sa dernière heure. — Voici comment il exhale ses plaintes dans une de ses canzone, probablement composée au milieu des rochers et des bois de l'Apennin:

[blocks in formation]

Aux vicissitudes politiques, poétiques et scientifiques de la vie de Dante, correspondent les trois caractères distinctifs de ses écrits le traité Della Monarchia, savante théorie de la constitution de l'empire, qui cherche les origines du pouvoir et de la société dans les secrets mystérieux de la Providence;

XXXVI VOL. - 2 SERIE. TOME XVI.

-

N° 93.

1833.

les 23

« PreviousContinue »