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et de ses différentes parties dès le 2e siècle, mais il constate de plus l'existence même des Messes votives, des Messes pour des personnes particulières, et des Messes pour des défunts. Il fait voir en outre que tous les auteurs qu'il cite s'accordent à en appeler à ce qui existait longtemps avant eux, à ce qui était de tradition apostolique.

Enfin, il prouve jusqu'à l'évidence que les anciennes liturgies qu'il publie et celles qui étaient déjà publiées avant lui, aussi bien que les expressions des auteurs qu'il rapporte, sont incontestablement d'accord pour indiquer d'une manière positive que, malgré quelque variété dans certaines prières selon les circonstances d'un pays où elles étaiens en usage et composées, toutes ces liturgies n'avaient qu'une seule source commune. En effet, dans toutes on rencontre certaines parties, ou tout-à-fait essentielles à la messe, ou qui, sans être essentielles elles-mêmes, se rapportent cependant au point capital, à l'essence du sacrifice, à la Consécration, qu'elles représentent toutes comme étant une véritable transsubstantiation.

En outre, le savant auteur nous communique des détails sur la Messe romaine, d'après un autre manuscrit de Reichenau, no 112, et sur la liturgie grecque, d'après un manuscrit provenant de l'ancienne abbaye d'Ettenheim-Münster, manuscrits qui se trouvent également dans la bibliothèque grand-ducale de Carlsruhe. La connaissance de la liturgie grecque est surtout nécessaire pour bien juger du texte des Messes gallicanes.

M. Mone a rendu par cet excellent travail un éminent service à la science, et par là même à l'Église catholique. Ceux qui savent apprécier ce service lui sauront gré de ce qu'il a soustrait ces saintes reliques aux vicissitudes des révolutions qui agittent sa malheureuse patrie. L'auteur avoue lui-même que c'est ce motif qui l'a déterminé à publier le contenu de ces précieux manuscrits.

Nous ne saurions résister au désir de communiquer à nos lecteurs une partie de cette importante publication, et nous avons choisi le Traité sur la Messe africaine que nous reproduirons dans son intégrité. On y trouvera la preuve du talent supérieur de M. Mone, et du grand intérêt de son travail, là même où il n'a pas de pièces inédites à nous communiquer,

DE LA MESSE AFRICAINE.

S'il n'existe plus de texte complet de la Messe africaine, mais seulement des fragments de quelques prières, on a par contre sur Ce traité, occupe dans l'ouvrage de M. Mone les pages 63 104.

cette messe les témoignages les plus complets et les plus riches d'anciens auteurs, à l'aide desquels il est possible de la recomposer dans la forme qu'elle a cue pendant plusieurs siècles. Je ne connais point de travail étendu de ce genre; d'ordinaire on ne mentionne la Liturgie africaine qu'en passant, et cela parce qu'il n'existe plus de texte '. Elle mérite cependant pour plusieurs raisons une attention particulière.

1o A cause de la richesse de la littérature ecclésiastique de l'église africaine dans les cinq premiers siècles; 2° parce que ces témoignages précèdent les plus anciens monuments de la Messe romaine, et fournissent ainsi à la liturgic des preuves qui sont indépendantes des Sacramentaires romains; 3° parce que, à cause de la liaison étroite de l'église africaine avec l'église romaine, liaison que saint Cyprien proclame ouvertement, on doit admettre que déjà du temps du savant évêque de Carthage l'église romaine faisait aussi célébrer la Messe, et qu'elle ne l'a pas reçue seulement du pape Gėlase I au Se siècle. En effet, sans la conformité du sacrifice chrétien, c'est-àdire sans la Messe, l'église africaine n'aurait pu être en communion avec l'église romaine. Une condition indispensable de la communion de la paix (communio pacis) était la communicatio sacramentorum ou mysteriorum, comme les écrits polémiques contre les hétérodoxes l'indiquent en beaucoup d'endroits; 4" l'Afrique avait des relations multipliées avec la Gaule et l'Orient; de là les rapports de sa liturgie avec la liturgie grecque et gallicanc; c'est pourquoi je de vais y faire attention dans cet écrit, afin d'éclaircir par là les autres liturgies. Pour ces motifs j'ai réuni les témoignages suivants qui se terminent à la mort de saint Augustin en 450, en sorte qu'ils sont tous antérieurs aux Sacramentaires romains. Toutefois la collec

tion des témoignages que je présente ici n'est pas complète; je n'ai utilisé que les sermons de saint Augustin; j'ai laissé de côté ses autres écrits, ainsi qu'Arnobe et d'autres écrivains, parce que je ne voulais pas grossir cet ouvrage et que les témoignages que j'ai réunis suffisent pour le but que je me suis proposé.

§ 1. La messe africaine à la fin du 2o siècle et au commence

ment du 5 siècle.

Aussi haut qu'on remonte dans la littérature ecclésiastique, on trouve des preuves de l'existence de la Messe. Tertullien, qui mourut vers l'an 220, en parle, et son témoignage remonte par consé1 Krazer, De eccles, occid. liturg. p. 94 sq., en dit quelques mots.

quent jusqu'au 2° siècle. Il a, touchant la Messe, de courtes remarques, qu'il n'est pas facile de comprendre si l'on ne connaît pas le contenu de la Messe, tel que le donnent les écrivains postérieurs, saint Cyprien et saint Augustin. Ses expressions doivent par conséquent être comparées avec les paroles de ces saints Docteurs et s'éclaircir par elles. Les écrits de Tertullien avant et après son passage au Montanisme peuvent également servir à prouver l'antiquité de la Messe.

Du temps de Tertullien le christianisme était tellement répandu en Afrique, que les chrétiens formaient dans chaque ville à peu près la plus grande moitié des habitants. Le christianisme régnait en Afrique aussi bien qu'ailleurs surtout dans les villes, de manière qu'à la fin le peuple de la campagne seul fut encore païen; d'où est venu aussi le nom de paganus pour désigner un païen, bien qu'il signifie proprement habitant de la campagne ou villageois 1. La résidence des chrétiens dans les villes et leur grand nombre présupposent nécessairement qu'ils avaient un service ou office divin régulier. C'est ce que Tertullien confirme d'une manière générale, en citant comme usitée la division hiérarchique en évêques, prêtres, diacres et lecteurs ; et cette subordination ne peut avoir son fondement que dans l'exercice du culte ou de l'office divin. D'après cette supposition, on devrait pouvoir produire des citations positives de la célébration de l'office divin; or, cela peut se faire, car Tertullien fait mention de l'office divin ordinaire du dimanche et de l'office divin solennel de Pâques et de Pentecôte, ainsi que de l'office divin renouvelé annuellement pour des personnes particulières. On ne

Tertullien, Ad. Scapulam, c. 2, appelle les chrétiens a tanta hominum multitudo, pars pæne major civitatis cujusque. » Il s'exprime longuement sur le grand nombre de chrétiens dans toutes les parties de l'empire romain, dans son Apolog. 37. Il emploie le mot Paganus pour païen, De coron, milit. 41. « Adolescens quotidie christianorum numerus. » Ad nation. I, 4.

2 J'insiste sur le mot nécessairement. On sait par l'histoire des apôtres que des colonies juives avaient dans toutes les villes étrangères, des synagogues; de celles-ci sortirent les églises; or cette liaison conduit nécessairement à un office divin chrétien. La subordination hiérarchique s'appelle donc ordo ecclesiæ, dénomination qui indique une institution venue de l'antiquité, puisqu'elle était universelle, car l'universalité se trouve dans la notion d'ecclesia. Voir De monogam, 14.. On l'appelait aussi disciplina sacerdotalis. Ibid. c. 12. Les ecclesíastici ordinės (c. 12) sont les degrés des dignités et des consécrations sacerdo tales. Voir aussi De fuga, 14; Apolog. 21.

z Ad uxor. u, ▲, il mentionne les « solennia Pascha. » De fuga in persecut.

jeunait ni les Dimanches, ni les jours entre Pâques et Pentecôte; on ne priait pas non plus à genoux dans l'Église aux mêmes époques.

Les fidèles du sexe masculin demeuraient la tête découverte dans l'église. Les fêtes chrétiennes s'appelaient, comme les fêtes païennes, solennitates. On avait déjà des vigiles, et Tertullien parle des heures canoniales 2. Il appelle les prêtres seniores, traduction littėrale de la qualification grecque de peẞútspot 3. Par conséquent, il y avait de son temps une ordonnance complète de l'office divin, et cette ordonnance est désignée comme venant de l'institution de Jésus-Christ et de ses apôtres.

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L'ordonnance de Jésus-Christ dans toute sa compréhension se nomme chez Tertullien sacramentum, ce qui veut dire révélation qui doit conduire à la sanctification. Cette ordonnance consiste principalement en deux points: fides et disciplina, c'est-à-dire dans la foi chrétienne et dans la prescription de la vie chrétienne. A l'une et l'autre appartient nécessairement le culte, l'office ou ser

14: « Quomodo dominica solennia celebramus. De corona mil. 11; « Dominicus dies.»

↑ De corona mil. 3: « Die dominica jejunium nefas ducimus, vel geniculo adorare. Eadem immunitate a die paschæ in pentecosten usque gaudemus,>> de même De orat. 23. De idololat. 14: a Solennitas christianorum. Ethnicis semel annus dies quisque festus est, tibi octavus quisque dies. »

2 De orat. 29: « Die stationis, nocte vigilia meminerimus. » Il appelle les heures canoniales interspatia et les désigne comme communia (c. 25), ce qui prouve en même temps qu'elles étaient en usage. Les prières se terminaient avec les nones (à trois heures après midi); les vêpres appartenaient déjà à l'office divin du jour suivant. Adv. psychicos, 2. Ceci est d'origine juive.

assis

3 Apolog. 59: Præsident probati quique seniores. » Le nom præsides pour désigner les évêques vient de ce qu'ils avaient un siège (cathedra). Ils y étaient pour prouver leur fonction ecclésiastique de juges, à laquelle ils étaient destinés comme successeurs des apôtres, qui doivent juger les douze tribus d'Israël, Matth. xix, 28.

3 De resurrect. carn. 9: « Deus imaginem suam sacramentis suis disciplinisque vestivit. De præscript. hæret. 26: Christi sacramentum. Apolog. 19 : Judaicum sacramentum, c'est-à-dire l'ancien Testament. Societas sacramenti est le nom donné à la communion avec l'Église chrétienne surtout par rapport à la cène, Advers. Marcion. 1v, 5. C'est pourquoi il dit (De præscript. hæret. 20) qu'à cette communion appartient ejusdem sacramenti una traditio. Ceci est confirmé par un autre passage (ibid. c. 32): « Hæretici non recipiuntur in pacem et communicationem ab ecclesiis apostolicis, scilicet ob diversitatem sa»De idololat. 6: « Sacramentum nostrum.»

cramenti.

le magnifique Graduel de la fête de saint André Constitues eos principes. Comment retrouver, sans cette traduction, ces nuances que rien ne peut faire soupçonner? Et si on ne les retrouve pas, que devient la beauté des mélodies grégoriennes?...

Pour assurer notre marche, nous avons consulté beaucoup d'autres manuscrits, et nous avons acquis la certitude d'une conformité presque parfaite entre eux et celui de Montpellier. Nous citerons ici tout particulièrement le n° 1152 de la bibliothèque Impériale. Il est noté en points, et d'une exactitude remarquable.

$5. De l'unité des manuscrits.

On s'imagine généralement que les différences entre les manuscrits sont très considérables. Jamais préjugé ne fut plus mal fondé. Une telle mobilité serait contre l'esprit éminemment traditionnel qui est le caractère particulier de l'Église catholique dans tout ce qui touche au culte divin. Qu'on ouvre au hasard des manuscrits d'origine diverse; qu'on examine ces notations en points, en lettres, en notes analogues aux nôtres,, on verra que le type du chant est toujours le même, on trouvera partout la même formule mélodique. L'identité n'est pas mathématique. La chercher en pareil cas serait demander un miracle; mais elle est aussi grande qu'on peut le désirer dans des livres écrits à la main, en différents siècles, en différents pays, soumis à toutes les causes d'altérations que le cours des âges amène nécessairement avec lui, surtout dans une matière aussi délicate. Les variantes portent, non pas sur les formules, mais sur la manière de les relier entre elles...

Cette unité des manuscrits est pour nous une conviction profonde, appuyée sur une foule de preuves. Tous les manuscrits que nous avons pu consulter, ceux des bibliothèques de Paris, de Reims, de Cambrai ; ceux des monastères de Suisse, envoyés en France après le pillage des couvents, et maintenant transportés à Rome, et rachetés par le Saint-Père pour être rendus à leurs possesseurs dans des temps plus calmes; les anciennes éditions imprimées des Chartreux et de Portugal, tous se ressemblent, tous reproduisent les mêmes formules, et nous sommes persuadés que, si jamais on lit les manuscrits neumės, le premier résultat sera la confirmation sans réplique de notre assertion.

Est-il besoin d'ajouter que cet accord de tous les documents prouve l'identité d'origine, et que cette origine n'est et ne peut être autre que l'Antiphonaire de saint Grégoire ? En passant sur l'œuvre

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