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sphères de la pensée et de l'action; elle ne devra prendre fin que lorsqu'elle aura donné tout ce qu'elle peut donner. Le peuple américain est encore à l'époque de l'énergie créatrice, de la vigueur et de l'exubérance juvéniles; il a les allures fantasques, l'humeur capricieuse, les aspirations pleines de contrastes bizarres d'un jeune homme ardent et libre.

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Un soir de l'été dernier, je suis arrivé à Québec par le chemin de fer du lac Saint-Jean, un peu avant dix heures du soir, et le spectacle de Québec la nuit m'a tellement ravi, que je veux le décrire pour compléter le tableau des belles choses que notre ville présente aux regards des touristes à leur arrivée.

Quand vient la nuit, on sait ce qui se passe dans le monde qui s'amuse ou... qui s'ennuie. Les grandes dames revêtent leurs plus riches toilettes, soit pour le dîner, soit pour le spectacle, soit pour le bal. Elles se couvrent de soieries et de dentelles; et, dans leurs cheveux, à leur cou, à leur poitrine et à leurs oreilles, les pierres précieuses étincellent.

Eh bien! pendant l'été, Québec est la ville grande dame, et, quand vient le soir, elle est vraiment admirable à voir sous les rayons incandescents que lui verse le soleil électrique de Montmorency.

Des milliers de faisceaux lumineux planent sur sa tête. Des étoiles scintillantes couvrent son front d'un diadème; elles ornent son cou d'une rivière de diamants; sa large ceinture de murailles semble incrustée d'escarboucles éblouissantes.

Ce n'est plus la ville de guerre, c'est la ville de lumière, la ville astrale, et ses pléiades d'étoiles sont groupées de façon qu'elles la dessinent toute entière dans les formes altières de sa beauté.

Elles s'étagent les unes au-dessus des autres, elles s'allongent en lignes parallèles à tous les degrés de l'amphithéâtre architectural, elles montent en enfilades des bords de la rivière jusqu'au sommet de la montagne, comme des processions de vestales portant le feu sacré.

C'est une illumination féerique, artistique comme un décor d'opéra, vaste comme un pan de ciel étoilé. Aucune autre ville ne possède un pareil amphithéâtre stellaire.

Lorsque dans la nuit noire on sort des bois des Laurentides, et qu'on aperçoit soudainement au loin ce déploiement merveilleux d'étoiles, on croit sortir du noir royaume de la mort et voir surgir dans les hauteurs la céleste Jérusalem.

C'est une apparition si merveilleuse, qu'elle semble surnaturelle et ne pas appartenir à la terre.

Mais non, c'est bien encore la terre, embellie par le génie de l'homme, et si vous voulez me suivre vous verrez que c'est bien le monde des vivants, avec ses attractions et ses joies.

Nous traversons la rivière Saint-Charles, où miroitent les foyers lumineux, et en sortant de la gare nous sautons dans un tramway électrique qui remonte la rue SaintJoseph. C'est la grande artère populeuse du faubourg Saint-Roch, et elle charrie des flots de peuple entre deux rangées de vitrines brillamment illuminées.

Le mouvement est tel qu'il suffit à nous distraire, mais

nous lui tournons le dos, et notre car commence l'ascension de la haute ville.

Il gravit une première colline à toute vitesse. Puis il tourne à gauche en grinçant des roues, et reprend sa course vertigineuse.

Il monte toujours, sonnant, criant, gémissant, et bientôt il traverse une autre grande artère pleine de mouvement, la rue Saint-Jean. Excelsior! plus haut, montons encore: voici l'Esplanade et, la rue Saint-Louis, qui s'élève encore vers l'ouest et descend vers l'est.

Voulez-vous maintenant voir un spectacle unique au monde? Suivez-moi. Je descends du car, je remonte la rue d'Auteuil, et je fais l'ascension des glacis.

C'est frais, solitaire, silencieux. Je marche sur un épais tapis de gazon, et la brise des hauteurs caresse mon visage. Elle s'accroît à mesure que j'approche de l'escarpement de la montagne au pied de laquelle coule le grand fleuve; et bientôt des éclats de fanfares montent de l'abîme et viennent charmer mes oreilles.

Oui, c'est bien l'abîme, immense, insondable, qui s'ouvre sous mes pas et se prolonge dans la sombre profondeur du fleuve. Mais sur la terrasse, accrochée à mi-hauteur de la montagne, une foule énorme circule au milieu des lampes électriques.

La lune monte à l'horizon, et paraît courir dans le firmament sombre, avec une rapidité vertigineuse. Mais non, elle est immobile, et regarde Québec d'un ceil calme et charmé. Ce sont les nuages qui passent sur elle en courant, tantôt noirs et tantôt blancs, floconneux et transparents. Ils s'enfuient vers l'ouest comme un troupeau d'agneaux épouvantés.

L'homme est fait d'ombre et de lumière; mais il aime mieux la lumière que l'ombre, et quand des clartés soudaines l'environnent, son cœur s'épanouit. Or, les jeux de lumière que j'ai sous les yeux sont des plus variés et des plus beaux.

Dès que la nue cesse de voiler son disque argenté, la pleine lune apparaît au-dessus des crêtes sombres de Lévis, et elle inonde le fleuve de ses rayons. Alors tous les réverbères pâlissent devant sa large face lumineuse, et le fleuve prend l'aspect d'un vaste tapis vert sombre, où des joueurs invisibles font danser leurs millions en monnaies d'argent.

Mais quand la lune se cache sous un masque de nuages, les fanaux, les réverbères, les lampes incandescentes reprennent leurs jeux de lumière.

Des étoiles rouges, ou vertes, ou blanches, glissent et se croisent sur le miroir du fleuve. Des traînées de reflets rayonnent et tremblotent entre Québec et Lévis. Des serpents de feu rampent sur les flots, et y déroulent leurs orbes flamboyants piqués de lueurs phosphorescentes.

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Je descends sur la terrasse, et je me perds dans la foule car on se perd aussi bien dans une foule que dans unè forêt - et j'y trouve l'isolement dont mon esprit a besoin. Je vais m'accouder à la balustrade, et je plonge les regards dans le grand vide nocturne d'où montent des effluves frais et embaumés.

Le fleuve dort, et sur son large dos tacheté d'ombre et de lumière se dessinent vaguement des profils de navires qui semblent dormir aussi, avec leurs veilleuses accrochées au mât d'avant, mais il en est d'autres qui glissent silencieusement, flanqués de leurs fanaux rouges et verts.

Devant moi la nature assoupie, peuplée d'êtres inconnus, derrière moi la multitude humaine, grouillante, bruyante, avide de mouvement, exubérante de vie, pensant, sentant, rêvant et jetant dans le vide de la nuit des milliers de paroles plus vides encore, Ce tableau sur lequel les rayons lunaires et électriques alternent et répandent un demi-jour blafard, a je ne sais quoi de doux, de voilé, de vague béatitude.

Des milliers de femmes en en toilettes claires et on

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