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tion amplifiée de la glorification de saint Louis. Ici, plus d'allégorie; ce ne sont plus la Force ni la Religion qui viennent couronner le roi; mais toute la France du treizième siècle réunie autour de lui semble chanter sa gloire. Quant à la troisième toile représentant saint Louis en Egypte, voici en quels termes Joinville raconte le fait dont le peintre s'est inspiré:

"Ceux de la Halca avaient défoncé toute la route avec leurs épées, et, comme le Soudan passait pour aller vers le fleuve, l'un d'eux lui donna d'une lance dans les côtes, et le Soudan s'enfuit au fleuve, traînant la lance, et ils descendirent jusque là à la nage et le vinrent suivre assez près de notre galère, là où nous étions. L'un des chevaliers qui avait nom Taress-Eddin-Octay, le fendit avec son épée et lui ôta le cœur du ventre et alors il s'en vint au roi, la main tout ensanglantée et lui dit: "Que me donneras-tu à moi qui t'ai occis ton ennemi, qui t'eût fait mourir s'il eût vécu?" Et le roi ne répondit rien.

La scène se passe à Minich, près de Damiette, lors de la première croisade de saint Louis. Devant sa tente, le roi, revêtu du costume des croisés, son livre d'heures à la main, le bras appuyé sur l'épaule de son aumônier, reçoit d'un air hautain la députation des émirs qui, l'épée ensanglantée au poing, viennent lui offrir la couronne et les insignes de la souveraineté. Cette toile est d'un grand style; non seulement la composition en peut passer pour un modèle du genre, mais l'expression des figures, la noblesse des attitudes en font une page classique de peinture, d'histoire dans l'acception la plus élevée du mot. On peut seulement regretter que le peintre ne se soit pas assez souvenu que sous le ciel d'Egypte le soleil est ardent et la lumière violente.

ΧΧΧ.

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M. DEMOLINS ET LA SCIENCE SOCIALE

REPONSE AUX CRITIQUES

'EST une illusion, peut-être, mais je ne puis m'empêcher de voir dans cette critique très développée du livre de M. Demolins que vient de nous donner M. l'abbé Brosseau, vicaire à Saint-Louis-de-France, l'heureux présage d'un réveil des études sociales chez notre jeune clergé.

D'autre part l'apparition de cette critique au Canada, sept ans après la publication du livre en France, montre bien l'intérêt persistant qui s'attache au sujet, l'impres sion profonde faite par cet auteur "aussi sérieux que hardi". On n'a pas oublié, sans doute, le bruit que fit dans le temps cet ouvrage sur la supériorité des Anglo-Saxons. Les journaux et les revues, tant de Paris que de la province, toute la presse française, et même celle de l'étranger en furent remplis. Les publicistes les plus en vue s'en occupèrent; et si quelques-uns ne voulurent voir dans le livre que son aspect blessant pour leur amour-propre national, la plupart se montrèrent frappés surtout de la force et de la justesse de ses démonstrations et de son utilité en vue de l'œuvre de la réforme sociale. L'édition

française en est rendue à son 25e mille, et il en a été fait des traductions en anglais, en allemand, en espagnol, en russe, en roumain, en polonais, en arabe et en japonais. Les ouvrages subséquents de M. Demolins (les Français d'Aujourd'hui, l'Education nouvelle, les Routes de l'antiquité, les Routes du monde moderne) ont eu un écoulement rapide, et les deux premiers ont été traduits en plusieurs langues. L'école des Roches, fondée par M. Demolins, avec le concours de quelques pères de familles, tentative hardie de réaction contre les méthodes compressives et routinières du grand internat urbain et de l'enseignement officiel, a eu un succès remarquable. Etablie en 1899, avec une seule maison et 50 élèves, elle comptait, trois ans après, six maisons et 200 élèves.

M. Demolins a été le disciple de Frédéric Le Play, cet esprit profond, original, qui entreprit d'asseoir l'étude des sociétés sur la base solide de l'observation méthodique et monographique. C'est à lui que Le Play confia la direction d'une revue qui devait être l'organe de la science sociale, comme précédemment, il avait confié à l'abbé de Tourville la mission de continuer la science sociale par l'enseignement. M. Demolins fut l'ami fidèle et le collaborateur infatigable de l'abbé de Tourville, saint prêtre, penseur éminent, versé dans la science des hommes comme dans celle de Dieu, et qui tira des œuvres mêmes deLe Play une nomenclature et une classification des phénomènes sociaux beaucoup plus complète et mieux ordonnée que celle du maître, véritable instrument de précision de la science sociale.

Autour de ces deux disciples de Le Play, qui se complétaient d'une manière si heureuse, vinrent se grouper quelques adeptes. Ce sont les collaborateurs de la revue la Science sociale, dont la collection forme aujourd'hui trentesix in-octavo d'études très sérieuses et très éclairantes. MM. Paul de Rousiers, Léon Poinsard, Paul Bureau, de

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Préville, etc., ont publié des volumes d'un grand intérêt social et qui font autorité.

Certes, Demolins et l'Ecole de la science sociale n'ont pas besoin que je les défende. Ils ont à leur acquit de beaux états de service et une réputation d'autant plus enviable qu'elle leur est venue en dehors de toute influence étrangère, par la seule force de la persuasion scientifique. Et si je réponds aux critiques de M. l'abbé Brosseau, c'est uniquement dans la crainte qu'on n'enraye, on qu'on ne retarde, un mouvement d'idées éminemment favorable à notre progrès.

I

M. Demolins, dans la préface de son livre, a nettement défini ce qu'il entend par la supériorité des Anglo-Saxons; elle se résume pour lui dans ces deux termes: puissance d'expansion, puissance de civilisation. Tandis que la Russie, la Chine, couvrent de vastes étendues, mais qui restent en grande partie désertes; tandis que la France, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne n'ont que des colonies de fonctionnaires; les Anglo-Saxons colonisent toutes les régions qu'ils occupent, les transforment, en y introduisant les derniers progrès des sociétés occidentales. Et c'est ainsi qu'ils dominent l'Amérique, par le Canada et les EtatsUnis; l'Afrique, par l'Egypte et le Cap; l'Asie, par l'Inde et la Birmanie; l'Océanie, par l'Australie et la NouvelleZélande.

Or, M. l'abbé Brosseau, qui a pourtant lu cette préface, commence par demander: Quelle est donc cette supériorité des Anglo-Saxons? Elle n'existe pas, dit-il, dans le domaine intellectuel, puisqu'on compte moins de noms fameux anglais, que de noms fameux français, allemands et italiens, et puisque eux-mêmes reconnaissent qu'ils ne sont nullement supérieurs aux Allemands, dans les sciences

positives et la philosophie; nullement supérieurs aux Français, dans la poésie, le roman, l'histoire et la critique; nullement supérieurs aux Italiens, aux Allemands et aux Français, dans la musique, la peinture et la sculpture. Notre contradicteur voudra bien observer que M. Demolins n'a jamais prétendu que les Anglo-Saxons eussent une supériorité quelconque au point de vue de la culture ou de la production artistique, littéraire, scientifique. Il a même écrit ceci: "Nous avons l'esprit plus clair et plus méthodique que les Anglo-Saxons, ce qui est une force énorme pour conduire et orienter les intelligences dans les voies nouvelles. "

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Cette supériorité des Anglo-Saxons, reprend M. l'abbé Brosseau, n'existe pas dans le domaine moral, puisqu'ils n'ont donné que peu de martyrs à la civilisation et à la foi, puisqu'ils ont opprimé les Irlandais, écrasé l'Espagne et les Boërs, puisque leurs mœurs individuelles ne sont certainement pas meilleures que celles des autres races. Encore ici, je prierai notre critique d'observer que la prétention de M. Demolins n'est pas que les Anglo-Saxons soient des saints ou des martyrs, bien que par cette puissance d'expansion et de civilisation" signalée ci-dessus, ils aient peut-être plus que toute autre race aidé à l'avancement matériel et moral des peuples primitifs et à la diffusion du christianisme. M. Demolins ne prétend pas davantage que les Anglo-Saxons aient des procédés très délicats à l'égard de leurs ennemis, ou un sens plus affiné que les autres races de la justice internationale. Et d'autre part, il faut bien reconnaître que le régime de liberté et de "self-government " établi par eux dans toutes leurs possessions à même de tirer parti d'un tel régime, a rendu leur domination, dans l'univers entier, plus acceptable que ne le serait celle d'aucune autre nation. N'en savons-nous pas quelque chose au Canada? On signale le triste état des mœurs dans certains quartiers des grandes

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