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trois ans, nous n'avons pu récolter ni framboises ni cerises, nous qui en avions en abondance avant leur arrivée; et puis, quelquefois, il faut nettoyer après elles.

Voilà que je tombe dans un des défauts que je signalais plus haut, mais croyez bien que ce n'est qu'une légère médisance, et, si mes lectrices veulent bien être discrètes, ça n'ira pas plus loin; nous ne courons pas le risque de nous brouiller avec nos aimables voisines, ce que nous regretterions infiniment. A part ces deux petits défauts, elles

sont si gentilles que nous faisons, avec plaisir, le sacrifice de nos fruits, et, qui plus est, nous cherchons tous les moyens possibles pour leur faire plaisir et leur venir en aide dans leurs besoins. J'allais oublier un autre petit inconvénient de leur voisinage, mais dont nous ne souffrons pas personnellement: elles ne s'accordent pas toujours avec nos intimes, dont je vous entretenais au mois de février Surtout lorsqu'elles sont occupées à élever leur petite famille. Si un écureuil a alors le malheur de passer en vue du nid, vite, l'une d'elles se met à sa poursuite, et malgré qu'elle ne soit pas la plus forte, elle a l'avantage que Santos Dumont offre aux Japonais, c'est-à-dire d'attaquer du haut des airs: le pauvre écureuil n'a d'autres ressources, pour éviter les coups de bec, que de fuir et venir se réfugier auprès de nous.

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Le Cephalepis Lalandi et son nid.

de l'année dernière.

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Il convient d'ajouter que les grives-ah! c'est vrai, j'oubliais de vous dire que c'est d'elles que je vous parlais, n'ont pas tout à fait tort. Quelquefois maître écureuil s'éprend d'un goût désordonné pour les œufs frais, et, si alors, il a le malheur de passer près d'un nid où il aperçoit de ces jolis œufs verts tachetés de brun, il ne sait pas résister à sa passion: il s'assoit sans cérémonie, les prend de ses deux mains et les gobe tout d'un trait. La grive connaissant sa gourmandise, ne lui donne pas la chance de s'exposer au danger d'y succomber. Elle sait que pour toutes les passions le remède le plus sûr est la fuite des occasions.

Je me rappelle la scène comique dont nous fit jouir, un jour, ces poursuites: une de mes petites filles, du fond du jardin, apercevant tout à coup un écureuil fuyant devant une grive qui l'accablait de coups de bec, crut que c'était par méchanceté, et la voilà poursuivant les belligérants. Les trois se rendirent ainsi jusqu'à la maison où la grive abandonna la partie. L'enfant caressant l'écureuil, lui disait: “ne va plus près de ces méchantes grives.

Méchantes! n'en croyez rien, car à part les écureuils, elles ne font la chasse qu'aux vers de terre qu'elles surprennent sortant un peu la tête pour respirer. Avec une dextérité étonnante elles les happent, les retirent de leur trou, les dépècent pour les porter à leurs petits ou s'en nourrissent elles-mêmes, quand les fruits leur font défaut. Pas méchantes, et combien gentilles! Quel bon ménage elles font! Voyez: nous les avons croquées au moment ou leur nid terminé, le père demande à la petite mère, si le berceau qu'ils viennent de préparer, est suffisamment moelleux, pour y élever le fruit de leurs amours. Voyez quelle expression d'affection sincère dans ces regards, dans ces attitudes, et, cet amour ne se démentira pas un instant; elles veilleront l'un à côté de l'autre, tant que leurs petits n'auront pas la force de se passer de leurs soins.

Nos voisines augmentent rapidement. Lorsque nous sommes venus habiter notre maison, nous voyions, de temps en temps, une grive dans le jardin, aujourd'hui le jardin en est plein. J'en ai compté jusqu'à vingt-deux à la fois, faisant la chasse aux vers ou cueillant des fruits pour les porter à leurs nids situés dans les arbres qui nous environnent et jusque sur les ornements du haut de nos vé

Lesbia Gouldi et son nid.

randas. Nous savons

de plus qu'elles tiennent à rester auprès de nous, car le printemps dernier, ayant à faire peinturer les balcons, les peintres jetèrent leurs nids à terre. Trois jours de suite, revenant l'ouvrage, ils trouvè rent les nids recommencés. Quelques jours après leur départ, les nids étaient reconstruits et gar nis d'oeufs prêts à être couvés.

Ce matin, elles

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nous arrivent, après la longue absence de l'hiver et remerciant le Créateur des charmes de cette belle nature qui me ravit, je redis avec le poète:

"Belle autant que jamais je vois fleurir la terre;
Je vois briller aux cieux l'azur que rien n'altère.
Ainsi qu'aux plus beaux jours, de tendresse enivré,
L'aiseau chante, et les fleurs n'ont pas dégénéré. "

Jean Vincent.

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AR un des premiers jours de novembre 1901, le Saghalien, paquebot des "Messageries Maritimes," m'emportait loin de Marseille.

Cette

fois, contrairement à ce que j'avais éprouvé à d'autres départs, au moment où je voyais rentrer sur le tillac la dernière amarre, je ne sentais pas la tristesse intime, le vide angoissant que cause ordinairement la rupture du dernier lien avec la terre natale. J'éprouvais plutôt un véritable soulagement. Il me semblait qu'un stigmate était effacé de mon front, qu'un poids accablant était enlevé de mon cœur. Quoique sur un bateau français, je commençais à respirer l'air de la liberté avec celui de cette immensité liquide. Enfin, moi qui là-bas, dans ma patrie, passais pour un paria, un maudit, un être dangereux, dont l'enseignement néfaste venait d'être interdit, en même temps qu'une loi m'enlevait mes droits essentiels d'homme et de citoyen, j'étais, une fois sur ce navire, complètement transformé! Etait-ce l'effet de la brise marine ou du coup de sifflet de la sirène? Toujours est-il que même aux yeux des fonctionnaires du gouvernement, aux yeux des consuls, des ambassadeurs, des ministres, du Président de la République, j'étais sur mer blanchi de toutes

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